Par le gros bout de la lorgnette, évocation du traitement réservé à l’entretien du nouveau Monsieur Françafrique de l’Élysée, l’avocat Robert Bourgi, qui arrose de fèces Villepin, Chirac, Juppé, quelques autres, dans le titre de Lagardère, « frère » de Nicolas Sarkozy, le Journal du dimanche. « Trop, c’est trop », qu’il disait. Mais c’est comme la charité, il vaut mieux ne pas redouter d’en faire trop, de peur de ne point en faire assez… Là, elle commence surtout par soi-même.

Le Monde : « Dans le livre de Pierre Péan, La République des mallettes, il [Robert Bougri] témoigne de ces pratiques concernant les fonds occultes. ».

Libération : « L’avocat (…) a accordé cet entretien au JDD peu avant la parution d’un livre de Pierre Péan, La République des mallettes… Dans cet ouvrage, [paragraphe]… Dans ce livre, [autre phrase]… ».

Le Figaro : pas une seule mention du livre de Pierre Péan chez Fayard dans le long article d’Aude Lorriaux qui prend soin de conclure que, de François Hollande à Bernard Accoyer ou Gérard Larcher (UMP), on souhaite bien sûr, bien sûr, que la justice fasse la part des choses.

En revanche, oui, il a finalement été question du livre de Pierre Péan dans Le Figaro. En « Flash Actu ». Ce qui permet de mettre une dépêche (AFP ou Reuters) dans le « fil » Le Flash > Actu, dont il est possible de consulter l’intégralité, si on veut bien cliquer sur le lien « Tout le Flash Actu ». Mais une nouvelle chasse l’autre rapidement sur le site, et si certaines dépêches apparaissent en une dans le menu du « compartiment » (frame) de gauche, d’autres n’y figureront jamais. Passez muscade (petite boule de liège utilisée par les escamoteurs dans leurs tours de passe-passe, nous détaille Le Grand Robert : « se dit d’une chose qui passe rapidement ou que l’on fait disparaître avec adresse, aisance ou désinvolture ».).
Mediapart : j’ai peut-être mal cherché, mais j’ai l’impression qu’évoquer Pierre Péan (« votre recherche n’a donné aucun résultat »), ou Jean-Marie Colombani (ancien patron du Monde, cofondateur de Slate, qui, lui, se fait habiller pour l’hiver), pose problème à la rédaction.
Denis Robert, retiré des « affaires », a pourtant droit à l’indulgence.

On ne chante pas trop « con-fra-ter-ni-té » sur l’air de Sensualité d’Axelle Red, chez Mediapart, pour tout le monde. « Chirac et Villepin mouillés jusqu’au cou par Bourgi » apparait, vers 16 heures ce dimanche, en « brève », et pas de mention de l’ouvrage de Péan chez Fayard.

Le JDD mi-figue, mi-raisin

Le JDD : question – « en pleine affaire Clearstream… ». Tiens, Clearstream, les paradis fiscaux, cela reste l’affaire Sarkozy-de Villepin.
Pas trop de question gênante sur la destination des fonds, réponse vague de Bougri : « Je ne sais pas ce que Chirac et Villepin en faisaient. C’est leur problème. ». Mais la question évoque Pierre Péan qui avait suggéré leur destination et « demandé à Éric Woerth (…) qui n’a jamais eu vent de ces espèces. ».
Certes, dans ce long entretien, le livre de Péan est directement évoqué, mais non cité. Cependant un encadré renvoie sur « Alexandre Djouhri, l’autre homme de l’ombre » et « le livre de Péan, plongée brutale dans le monde gris des porteurs de valises. ».
Laurent Valdiguié, du JDD, poussant ses feux, n’allait pas demander brutalement à son interlocuteur s’il était la « gorge profonde » de Péan, s’il n’avait pas l’impression de jouer le « contre-feu » au bon moment pour dédouaner le clan Sarkozy. Je n’aurais peut-être pas fait de même, me contentant peut-être de conserver sous le coude les réponses en « off ». Ne spéculons pas au-delà…
Et puis, la formulation de la question « Pourquoi prendre la parole aujourd’hui ? » a peut-être été abrégée pour la publication (une longue question, si la réponse la contient plus ou moins, est réduite à sa plus simple expression, histoire de ne pas jouer les Zemmour qui disserte sans fin en ne laissant pas son interlocuteur, qu’il est censé interviewer, en placer une).

Pour qui sait lire « entre les lignes », la réponse se suffit à elle-même. Bougri a bien déballé à Péan ce qui l’arrangeait, lui, et indirectement Nicolas Sarkozy, actuel employeur du « successeur de Jacques Foccart », de ce nouveau Monsieur Françafrique.

Le grégarisme de la presse est l’un des traits distinctifs de l’analyse des médias et un sujet récurrent dans les écoles de journalisme. Bizarrement, des exceptions confirment la règle, n’est-il pas ? Car tout le monde avait eu connaissance de la dépêche AFP reproduite largement par Libération, et Le Monde, et signalant : « Dans le livre de Pierre Péan…» (voir supra). Certains reprennent, d’autres escamotent.

Embarrassant… ou non ?

Dans mon « papier » d’hier samedi, « Grosses commissions : les tam-tams et mallettes de Péan », je relevais incidemment que le « livre de Péan pourrait bien “embarrasser” Le Figaro. ». Je partais du principe qu’il n’était nul besoin de se précipiter pour lire les bonnes feuilles du Péan dans Marianne, il suffirait de lire la presse de ce dimanche. J’avais raison et… tort. Attendons demain, lundi. Mais dans la mesure où une révélation chasse l’autre, il se pourrait que Bourgi ait contribué à faire passer – un temps – La République des mallettes à la trappe. Petit aparté à destination de Fayard (ou de Péan, s’il dispose encore d’exemplaires d’auteur) : je figure dans l’annuaire… épargnez-moi, voulez-vous, la virée à la bibliothèque.

Du point de vue du comptoir du Café du Commerce, qu’évoque si bien Bernard-Henri Lévy pour déqualifier qui le contredit, cela peut s’interpréter ainsi : « tous pourris, donc tous amnistiés (d’avance) ».
Lassitude. Procès Chirac in absentia, Woerthgate dans les limbes, &c. La fable de l’avocat (je ne vous remémorerai la blague de l’ingénieur, de Satan et des avocats, qu’en commentaire infra), qui oppose (en filigrane) « le doigt dans le cul » de Villepin au « crochet de boucher » de Sarkozy, la sobriété de l’un et les doses de rye « ration John Wayne » de l’autre, la montre Piaget de l’un (Chirac) et les modestes Rolex (Nicolas S.), les valises (du « Grand ») et les comptes (du « Petit »), ferait volontiers sourire.

Nessus et saint Martin

Beau comme l’antique, l’allusion d’Aude Lorriaux (Figaro) à la tunique que Déjanine aurait envoyée à Héraclès (« Déjanine aurait envoyé une tunique empoisonnée à Héracles » – sic).
Après l’affaire DSK, je n’oserai plus claquer la bise sur la joue d’Aude, mais je lui tendrai volontiers la mienne, en gage de rémission. Car, en effet, la tunique de Nessus (ou Nessos), qu’invoque Bougri, s’interprète diversement.
Le centaure Bougri-Nessus viole Dejanine et la revêt de sa tunique ensanglantée et empoisonnée ; Déjanine, leurrée, croyant que cette tunique lui assurera la fidélité d’Héraclès, la lui transmet et ce dernier ivre de douleur, se fait brûler vif. Bougri, « cadeau empoisonné » au JDD, qui transmet à de Villepin et Chirac, aurait peut-être mieux fait de se dispenser de cet « effet de manche » (employé tel un manche). Mais le relever tel que le fait Aude Lorriaux, c’est soit de l’art, soit faire preuve d’ignorance (ce que je ne veux croire) ou de précipitation (fort admissible) ou d’une lacune documentaire (pas sûr que la « doc’ » soit très pourvue en personnel, un dimanche au Fig‘).

Anne Lorriaux ne fait pas tout à fait la même lecture que moi de l’entretien de Bougri au JDD, c’est normal, c’est son droit. Heureusement d’ailleurs : la presse doit être diverse, et si La Gazette (antan de Renaudot et Panckouke) n’évoqua même pas la prise de la Bastille, Le Figaro d’Aude Lorriaux ne dissimule pas systématiquement tout ce qui pourrait être gênant. On peut valablement aussi se livrer à une lecture bienveillante des propos de Bougri.

Phrase essentielle de Bougri : « j’en ai assez des donneurs de leçon et des leçons de morale. ». Je ne vais pas non plus trancher ma tunique déontologique, tel un saint Martin tartuffe. Cela revient –aussi – à reprendre à son compte la phrase du Voleur de Darien, « je fais un sale boulot, mais j’ai une excuse, je le fais salement », en sous-entendant que, si ce n’est moi, c’en sera un autre, alors… Ou alors, alors…

Lessiveuse surmultipliée

Les questions qui ne sont pas posées sont parfois aussi révélatrices que celles le paraissant. Le JDD clot l’entretien avec une petite perfidie téléphonée à l’intention d’Alain Juppé. Omar Bongo a donc fait fonctionner le Club 89, réglant le loyer, les salaires, peut-être les frais de bouche, du « machin » de Juppé. Attention, avenue Montaigne, il n’y a pas de HLM de la Ville de Paris du temps des Tibéri. Mais là, le JDD avait sous la main le conseiller de Nicolas Sarkozy pour l’Afrique. Et la Libye, elle n’est pas sise en Afrique ? Et les déclarations du fils Kadhafi sur le financement de la campagne électorale de Sarkozy par son père, ce n’est plus d’actualité ? Les contrats de Djouhri ou Takkiedine en Libye, cela ne mérite plus l’attention ? Pas de tension entre Juppé et Sarkozy à propos de la Libye ? Il est vrai que cet entretien est un peu « fleuve » et que tous les affluents (et flux d’argent) ne pouvaient être évoqués.

Je n’y peux rien, cet entretien m’évoque un adage. Ignorez ce que fait ma main gauche, voyez donc ce que faisait la droite de mes prédécesseurs. Superficiellement, la médialogie retiendra ce qui est patent : il n’en a pas été fait le même usage selon les supports, le livre de Péan a été mentionné formellement ou non. Plus profondément, il pourrait rester dans les annales. Pas seulement en raison du « doigt dans le cul » de Villepin, qui chatouillera l’une sans faire bouger l’autre. Encore un doigt d’antitode pour contrer le poison des tuniques d’autres centaures ?

Les fèces, en pharmacie, c’est la lie qu’on laisse reposer. Elles décantent, en politique, le temps qu’il est jugé idoine avant de les remonter à la surface. Dans cet entretien, Robert Bourgi a la diarrhée sélective. Apothicaire dérive d’apothêkê (boutique). Un compte d’apothicaire de vingt sols, disait Molière, en vaut dix. L’« impayable » boutiquier Bourgi a plutôt minoré l’inventaire. On verra bien si la justice lui administrera son purgatif en clystère. Histoire de lui rafraîchir la mémoire autant que les entrailles : quelques étrons adamantins doivent bien y subsister.