Je ne vais pas plus revenir aujourd’hui, lundi, qu’avant-hier, sur les détails d’un sondage (Institut Harris-Le Parisien), qui donne Marine Le Pen devançant Nicolas Sarkozy, dont je ne sais s’il précède ou talonne Martine Aubry. Ce que je relève, c’est que personne (sauf erreur) n’a relevé qu’une femme serait, aux yeux des Françaises ou des Français, plus à même d’incarner la fonction présidentielle qu’un homme. Eh, bien, tant mieux. Ou tant pis.

Terrain glissant, mouvant, celui de la subjectivité. Je pressens que je vais consigner de grosses approximations prêtant le flanc à des commentaires diversifiés. Ce n’est que sur un site proche du Front national (nationspresse.info) que j’ai relevé cette phrase d’un sympathisant FN : « elle est une femme séduisante ce qui est important dans cette société du paraître… ». Et encore, était-ce avant la publication du sondage Institut Harris-Le Parisien. Je constate que la « mâle assurance » (ouh-hou, qu’ai-je donc proféré là !) d’une Michèle Alliot-Marie le doigt sur la couture du pantalon dont elle ne se départit guère, relevée naguère par les commentateurs, n’a guère non plus été évoquée à l’actif de l’ancienne ministre des Affaires étrangères. La séduction ne suffit pas.

Exit ce qui alimentait encore les chroniques de la campagne présidentielle de 2007 : le genre, le sexe. Tant mieux. Tant pis. Tant mieux puisque – enfin – je veux croire que la remarque d’un observateur qui m’est proche, qui le déplore, selon laquelle les Françaises et les Français, dans l’isoloir, formeraient encore une fraction significative se refusant à voter pour une femme, semble obsolète. Tant pis, car, ne serait-ce que pour s’en féliciter, « nous » n’accordons plus d’importance à un phénomène qui, je le crois, reste latent, prégnant. Même marginal.

La question remonte à trois millénaires, à la louche, avec des périodes diversifiées, des avancées et des reculs. Comme l’exprime, à propos de tout autre chose (la domination coloniale en Afrique du Nord), l’historienne Sophie Bessis, sur Mediapart : « Tout présent contient la totalité du passé… ». Donc, Olympe de Gouges et la reine Margot autant que la falsification de la loi salique des origines, pour faire très court. Je m’en tiendrai au passé très récent.

Je vois, dans ma boule de cristal, et après seulement deux verres de rhum ingurgités, un effet Merkel qui profite tant à Martine Aubry qu’à Marine Le Pen. Mais aussi, par ricochet, un effet Sarkozy. Jamais, pour la période récente, même au temps de Margaret Thatcher, les Françaises et les Français n’ont été de manière aussi évidente marqués par la comparaison entre deux chefs d’État, l’un homme, l’autre femme. Et qu’ont-elles et ils constaté ? D’un côté un macho agité par des pulsions, de l’autre, une dirigeante relativement sereine, maîtresse d’elle-même autant que les circonstances le lui permettaient. Séduisantes, Angela, Marine, Martine ? Oui, peut-être, surtout en tant que repoussoirs d’une masculinité incarnée par un Nicolas caricatural. Désormais snobé par une Rachida Dati ou une Rama Yade ! Peut-être, demain, mouché par une Michèle Alliot-Marie et devant recruter Carla Bruni pour se faire acclamer. J’avais prévenu : lises et marécages des clichés, des idées toutes faites.

Enfonçons-nous encore davantage. Par comparaison, en désacralisant l’exercice, souvent apanage masculin, du pouvoir, Nicolas Sarkozy a paru falot ou immature face à une Angela Merkel ou une Viviane Reding, qui n’a rien retiré de ses propos à son encontre. Cécilia Malmström, commissaire européenne à l’Immigration et la sécurité, n’a pas encore renvoyé Claude Guéant dans ses cordes, mais on peut présager que Nicolas Sarkozy, cette fois, ne montera pas lui-même au créneau. Ce n’est pas si dérisoire de le pointer. Je ne sais si, dans les coulisses de l’UMP, en apartés et à voix basses, ce type de conversations de comptoir trouve des échos. J’ignore si Cécile Duflot et Eva Joly, en conciliabule avec Cohn-Bendit, abordent ce type de considération en évoquant les ambitions d’un Nicolas Hulot. Selon Sud-Ouest, et l’agence Mediaprism pour le Laboratoire de l’Égalité, 91 % des électrices et électeurs « seraient prêts à voter pour une femme à l’élection présidentielle. ». On sait ce que je pense de ces consultations. Surtout lorsqu’il s’agit d’un échantillon interrogé via l’Internet et « redressé sur les critères de sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, revenus et lieux de résidence ». Il ne s’est trouvé que 6,4 % des répondantes et répondants pour affirmer : « la tête du pays, c’est une place pour un homme. ». C’est encore une proportion énorme, si tant était qu’elle refléterait vraiment une réelle intention de vote. Évidemment, hormis au zinc du Rendez-vous des 6,4 % et à la cantonade, la question ne sera jamais énoncée ainsi (j’avais prévenu, cela va voler bas…) : « Entre un bouffon comme Sarkozy et une greluche comme Merkel, pour qui tu votes, toi ? ». La réponse importe assez peu puisque la conversation dérivera sans doute ensuite sur les hameçons, le copinage ou l’animosité envers le garde-pêche, et que je ne vois guère ces gaillards faire un barrage contre une candidate aux cantonales en se précipitant aux urnes.

Mais formulée autrement, je pressens déjà cette interrogation faire bruir les buvettes de l’Assemblée ou du Sénat. Question : avec qui Nicolas s’affichera-t-il en campagne, en 2012 ? Lagarde, Kosciusko-Moriset, Pécresse ? Nora Berra, Roselyne Bachelot-Narquin, Chantal Jouanno, Marie-Anne Montchamp, Nadine Morano, Marie-Luce Penchard, Jeannette Bougrab ? Une ex-« jupette » ? Elles étaient douze dans le gouvernement Juppé (mai-novembre 1995). Pas Simone Veil, quand même ! Bernadette Chirac ? Laquelle, à propos de Marine Le Pen, a confié au Parisien : « C’est une femme et puis il y a la nouveauté. ». Un peu court, Madame. Il reste en tout cas « imprimé » dans la mémoire des électrices que Nicolas Sarkozy n’a pas su durablement faire place à une ministre de poids auprès de lui. Il n’y a même pas de Marie-France Garaud (proche conseillère de Georges Pompidou) dans son entourage. Personne d’envergure pour se « crêper le chignon » (hmm… j’avais averti) avec Aubry ou Le Pen devant les caméras. À moins de remettre en selle, si elle l’accepte, Françoise de Panafieu, en s’aliénant encore peut-être davantage Rachida Dati, Nicolas Sarkozy ne dispose guère de faire-valoir féminin crédible. Il aurait peut-être dû y songer lors du dernier mini-remaniement qui n’a pas été suivi de la nomination de secrétaires d’État. Une solution peut-être : poser le plus souvent possible auprès d’Angela Merkel. Cela risque d’être à double tranchant, car la faille serait d’accentuer la comparaison. Et puis, avec une perruque et un tailleur à la Tchatcher, désormais, le costume serait trop large pour lui.