Mariage pour tous : pourquoi pas pour personne ?

Le tribunal constitutionnel espagnol, à la demande du Parti populaire (majoritaire et au gouvernement) examinera ce soir un recours visant le mariage homosexuel. Il s’agit de remettre en cause la réforme du Code civil espagnol adopté en 2005 par le gouvernement socialiste de José Zapatero. Selon la presse espagnole, ce recours sera rejeté… En France, il semble que tout le monde s’en contrefiche mais la une de Charlie-Hebdo, estimée provocatrice, fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, elle a le mérite de mettre l’accent sur l’argumentaire de l’église catholique romaine à propos du mariage entre personnes de même sexe. Au nom de quoi au juste s’y oppose-t-elle ?

Qui a au juste inventé la sainte trinité (père, fils, saint esprit) que la couverture de Charlie-Hebdo, à paraître demain mercredi, caricature avec le titre « Mgr Vingt-trois a trois papas » ? On peut se rapporter à Wipedia : c’est le père de l ‘église Tertulien, vers 200, marié comme d’autres, hérétique aux yeux de ses adversaires, qui s’inspire du droit romain et fixe une doctrine qui sera longtemps oubliée, puis remise au goût du jour, vers 450 (concile de Chalcédoine) .
De même, au nom de quoi, si ce n’est d’elle-même, l’église catholique romaine (et d’autres) a-t – elle propagé une conception du mariage qu’elle défend mordicus ? Joseph, premier époux de Marie, selon la vulgate chrétienne mais non musulmane (pour d’autres, Jésus serait le fils adultérin d’un soldat romain), était peut-être veuf ou même divorcé, père d’autres enfants.

On l’escamote avec l’assomption, sans pouvoir dire ou réfuter qu’elle ait pu avoir d’autres époux ou concubins, ou même d’autres enfants.
Pourquoi donc avoir sacralisé le mariage ? Histoire de s’opposer aux païens et aux hérétiques ? Pour asservir les femmes ?
À chacun ses croyances. Cela commence, dans l’église romaine, vers 1200. Auparavant, nul besoin d’un prêtre pour s’unir. Puis, vers 1516, Érasme, enfant bâtard (du fait de l’église d’alors) jamais marié, peut -être enclin aux amitiés homosexuelles, mais auteur d’un Traité du mariage, esquisse une remise en cause. La suite est à peu près balisée dans le monde occidental, avec des épisodes visant à garantir la pureté raciale (Allemagne, États-Unis), puis apparaît la revendication du « mariage pour tous ».

Affirmer un pouvoir

Comme certaines églises – surtout évangéliques, protestantes, ainsi celle réformée vaudoise, récemment – la catholique apostolique romaine aurait pu récupérer cette revendication et gonfler ainsi les rangs de ses fidèles.
En France, selon le sociologue Olivier Bobineau, de l’EPHE (peu suspecte de négliger les faits religieux ; voir sur Rue89), la pratique religieuse catholique assidue ne concerne plus que 2 % de la population française, et parmi ce faible nombre, les bulles et encycliques papales ne valent plus obligat ions pour conduire la vie, sentimentale et autre, des pratiquants.
Paul VI, puis Benoît XVI, ont freiné des quatre fers, et si ce n’est tous les évêques ou cardinaux, nombre de prélats ont exprimés des préjugés homophobes. À présent, d’autres arguments sont avancés. Mais pourquoi donc la polyandrie (une épouse, plusieurs époux, pratiquée en Asie) serait -elle supérieure ou inférieure à d’autres types d’unions ? Peut-être aurait – elle convenu, s’il faut en croire les gazettes, à une Rachida Dati, sans doute pas à d’autres, mais pourquoi n’est-il pas laissé la possibilité à chacune (et chacun) de contracter au besoin des actes civils convenant à la situation du moment ?
Que les personnes concernées veuillent ensuite officialiser leur union, engraisser les traiteurs ou les bijoutiers et autres fournisseurs, grand bien leur fasse, que ce soit dans un édifice religieux ou autre.
En quoi d’ailleurs, des élus, sollicités par les évêques de France, sont-ils plus qualifiés que d’autres pour « reconnaître la différence sexuelle » ? Au nom de quoi faudrait-il se définir femme ou homme
à l’exclusion de tout autre variante de genre ? Parce qu’un eunuque, un châtré, ne pourrait devenir
pape, pas davantage qu’une femme (dont les gonades ne sont pas bene pendentes) ?

Laurent Wauquiez (UMP) veut « mettre tout le monde autour de la table » pour statuer sur le mariage. Qui cela au juste ? Les libres -penseurs aussi ? En France, combien de couples hors mariage et hors Pacs (trois Pacs pour quat re mariages à présent), dont les conjoints reconnaissent ou non des enfants, seraient- ils appelés à se prononcer ? En 2010, 54,8 % des naissances ont lieu hors mariage, et on ne sait plus trop combien l’église catholique baptise d’enfants (elle préfère mettre en avant les 3 000 baptêmes d’adultes annuels). On ne sait d’ailleurs pas si les diverses églises, tout comme les partis polit iques ou les syndicats pour leurs nombres d’adhérents, ne trafiquent pas les chiffres qu’elles veulent bien divulguer. Il y aurait 2 000 diacres en France… mariés, veufs, célibataires (voire autres). Tout juste peut-on apprendre qu’en fin 2011, le nombre des catholiques européens aurait faiblement reculé (-0,1 %).

Qui caricature vraiment ?

La France est encore amalgamée à un pays catholique. C’est tout aussi fallacieux, comme l’exprime
l’abbé Grosjean, à propos de l’équipe de Charlie-Hebdo, que d’avancer : « ils se disent journalistes, c’est juste offensant pour leurs confrères. ». Il s’agit de caricaturistes, d’éditorialistes, et de quelques pigistes qui parfois enquêtent… Et l’abbé Grosjean caricature aussi.

Non, en dépit des affirmations d’André Vingt-Trois, le mariage homosexuel (ou, pourquoi pas, comme le Pacs, entre membres d’une fratrie, nombre réduit à deux on ne sait pourquoi), ne serait absolument pas « le mariage de quelques-uns imposé à tous. ». D’autant qu’on ignore totalement le nombre d’homosexuel·le·s soucieux de se marier.
La réalité, c’est que depuis le 31 octobre dernier, seuls 175 « élus locaux pour la famille » (s’opposant au mariage des homosexuel·le·s) ont estimé urgent de signer un manifeste. Et encore, on n’en connaît que trois, la liste n’étant pas accessible sur le site.

Too much ado… ’bout not much

La réalité, c’est qu’en Espagne, depuis fin juin 2005, la loi n’a concerné que 20&nbps;000 familles, pour la plupart constituées antérieurement. Et encore, c’est là le chiffre avancé par une association militante (qui recense près de 23 000 cas en six ans). La première année, il n’y a eu qu’environ 4 500 unions entre homosexuel·le·s en Espagne. Allez, mettons 50 000 personnes concernées sur plus de 30 millions d’adultes. « Profondément injuste et pernicieux pour le bien commun », a soutenu sans rire la conférence épiscopale catholique romaine espagnole. Combien d’autres injustices beaucoup plus flagrantes en Espagne, en ces années de crise économique ?

Le Parti populaire espagnol, dont des élus s’étaient prononcés pour la loi en son temps, se retrouve emberlificoté par des déclarations contradictoire, mais généralement, il est considéré de sa part que le rejet de son recours ne serait pas un drame.

Pas davantage un drame, en fait, que cette couverture de Charlie-Hebdo. Les voies du divin sont impénétrables, et la trinité, peut-être dérivée de la trimurti de l’hindouisme (ou shivaïsme, avec Grahma, Vichnou et Shiva), peut tolérer, dans l’hindouisme, l’homosexualité (les homosexuels étant « bénis » selon le brahmanisme). Il n’est guère que le bouddhisme tibétain, sans pour autant nier toute évolution sociale, pour condamner sans véhémence les relations homosexuelles. La plupart des mythologies antiques toléraient ce genre de représentation. Les lois indiennes imposées par les britanniques, visant à bannir l’homosexualité, sont très peu appliquées. 

Mais les hindouistes fondamentalistes ont bien vu tout le parti qu’ils pouvaient tirer : il s’agit de s’opposer, comme chez les musulmans, à la « décadence occidentale ». En dépit, paradoxalement, des textes religieux et de la statuaire des temples. Manipuler la spiritualité et surtout dicter des règles incitant au respect d’une hiérarchie de « guides » seule détentrice de la « véritable » autorité sont des pratiques vieilles comme le monde. Les dieux, s’il en est, s’en amusent. Quant à la « vierge » Marie, qui peut dire comment elle préférait se faire honorer de son vivant » ?

Il est vrai que Luz, l’auteur de la couverture, n’a pas vraiment arrondi les angles (du saint esprit, en particulier). Ce n’est qu’une caricature.
Quant à la question du mariage, de la procréation, résumons. L’église catholique condamnerait-elle encore celle qui désirerait « faire un bébé toute seule », et la brûler ou lui assigner de force un époux (chargé de la châtier ?). Finalement, elle en est encore là. Une grossesse non désirée reste plus légitime qu’une désirée hors mariage. Peut-être faudrait-il songer à mettre fin au mariage.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Mariage pour tous : pourquoi pas pour personne ? »

  1. Un dieu qui n’est capable d’enfanter qu’un enfant en plus de deux millénaires, alors qu’il y a tant de religieuses qui n’attendent que cela, est-ce bien sérieux ?

  2. Charly-Hebdo fait fort….

    A la place d’être crucifié, il aurait pu être empalé, l’histoire du monde aurait changé

    [img]http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/7c/Empalement.jpg/220px-Empalement.jpg[/img]

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