majorité présidentielle, l’éclatement attendu de l’UMP

Alors que le PS est en état de scission permanente depuis le référendum du 29 mai 2005, c’est à l’UMP que les forces centrifuges ont fait éclater un rassemblement artificiel mis en place par Jacques Chirac et Alain Juppé en avril 2002.

Ce matin vers 9 heure 30, c’est au Sofitel Saint-Jacques de Paris, que l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a lancé la nouvelle. Un nouvelle qui va bouleverser le paysage politique français.

Entouré des anciens ministres Pierre Méhaignerie, vice-président de l’UMP comme lui et président de la Commission des affaires économiques à l’Assemblée Nationale, et de François Goulard, député-maire de Vannes, Jean-Pierre Raffarin a annoncé la création d’un nouveau parti, l’Union des Démocrates Populaires (UDP).

La conférence de presse de Jean-Pierre Raffarin

Fort du soutien de plusieurs dizaines de députés et de sénateurs, Jean-Pierre Raffarin a expliqué qu’il était difficile, pour de nombreux parlementaires de la majorité, de travailler au sein de l’UMP entièrement vouée à la promotion exclusive du Président Nicolas Sarkozy.

Jean-Pierre Raffarin a lu devant la presse la chartre commune de l’UDP qui aura vocation à servir de point de départ pour un congrès fondateur prévu à l’automne 2008.

D’une part, l’UDP se défend d’être dans l’opposition, mais revendique le pluralisme de la majorité présidentielle.

Confirmant donc clairement son soutien au gouvernement de François Fillon, l’UDP réaffirme une loyauté sans faille à Nicolas Sarkozy mais avec l’autonomie d’action demandée par de nombreux parlementaires.

Cette loyauté sera aussi pleinement en action lors des prochaines échéances électorales avec une alliance dès le premier tour avec l’UMP sauf dans les cas où une primaire n’engagerait aucun risque à la majorité présidentielle. L’UDP souhaite notamment des listes communes aux européennes et aux régionales qui auront lieu en 2009 et 2010.

D’autre part, surfant sur l’impopularité de Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin a justifié ce départ de l’UMP par de nouvelles circonstances, très différentes du contexte d’avril 2002 qui avaient vu Jean-Marie Le Pen accéder au second tour de l’élection présidentielle.

« Désormais, le Front National est en mort clinique, et un visage multiforme de la majorité présidentielle n’est plus un danger électoral pour la démocratie » a expliqué l’ancien Premier Ministre qui a également ajouté que « le MoDem n’est plus non plus une menace pour la majorité » après les nombreuses défaites (Paris, Lyon, Marseille, Pau…) que le parti de François Bayrou a subies aux municipales de mars 2008.

Soutenu officiellement par l’ancien Président du Sénat René Monory, ce nouveau parti a pour ambition de replacer les réformes présidentielles dans un cadre plus social.

Cependant, Jean-Pierre Raffarin a insisté sur deux points : qu’il ne s’agissait pas de ressusciter l’archaïque clivage UDF-RPR des années 1980-1990, étant donné que son initiative était aussi soutenue par d’anciens RPR, ni de maintenir un clivage entre juppéistes ou villepinistes contre sarkozystes, également anachronique depuis l’élection de Nicolas Sarkozy.

Jean-Pierre Raffarin a d’ailleurs confirmé avoir reçu un mot d’encouragement de la part de l’ancien Président de la République Jacques Chirac ainsi que de ses anciens Premiers Ministres Alain Juppé et Dominique de Villepin, même si ces deux derniers n’ont aucune prétention à reprendre une action nationale.

En effet, Dominique de Villepin, qui reste encore mis en examen dans l’affaire Clearstream, a clairement laissé entendre qu’il ne souhaitait pas « rentrer dans la politique politicienne » mais qu’il avait « mal pour son pays » et Alain Juppé, dont la confortable réélection à Bordeaux dès le premier tour, a indiqué qu’il resterait « exclusivement au service des Bordelais » même s’il était « un observateur éclairé de la vie politique nationale ».

Provisoirement, Jean-Pierre Raffarin devient donc le président de cette nouvelle structure, Pierre Méhaignerie son secrétaire général et François Goulard, qui avait depuis plusieurs semaines travaillé en ce sens, devrait prendre la présidence du nouveau groupe UDP à l’Assemblée Nationale. Raffarin a également annoncé qu’il ne présiderait pas l’UDP après son congrès fondateur.

Commentaires

Issu du Parti Républicain et des Jeunes Giscardiens, Jean-Pierre Raffarin a ce matin osé franchir le Rubicon.

Et pour cela, il a multiplié les clins d’œil à ses anciens compères de l’UDF et même du MoDem, ne serait-ce que par le lieu, où se tenaient habituellement, il y a une dizaine d’années, les conseils nationaux de l’UDF, ou par l’appellation, qui reprend non seulement le ‘populaire’ de l’UMP et du PPE (Partit Populaire Européen regroupant entre autres la CDU allemande et les Conservateurs britanniques), mais aussi celui de ‘démocrates populaires’ contenu dans le très ancien PDP (parti démocrate-chrétien d’avant-guerre), ancêtre du MRP puis du Centre démocrate de Jean Lecanuet et enfin du Centre des démocrates sociaux présidé par… Pierre Méhaignerie de 1982 à 1994 (auquel avait succédé François Bayrou).

D’après les premiers décomptes de François Goulard et Pierre Méhaignerie, 36 députés UMP ont décidé de franchir le pas, ce qui va avoir un effet désastreux pour l’UMP qui perdrait ainsi sa majorité absolue à l’Assemblée Nationale (281 au lieu des 289 pour la majorité absolue).

C’était ce travail souterrain pour convaincre les parlementaires UMP qui a nécessité tant de mois, mais qui a connu le succès grâce en partie à la défaite électorale de l’UMP aux dernières municipales et cantonales et à l’impopularité de Nicolas Sarkozy qui est devenu donc moins invincible.

Déjà le 21 mars 2008, 20 députés UMP menés par Pierre Méhaignerie avaient publié une tribune de défiance aux Échos en écrivant : « Nous soutenons la volonté de réforme du gouvernement, mais nous restons très vigilants vis-à-vis du contenu des réformes, qui ne peuvent se faire sans esprit de justice. » et : « Trouver le bon équilibre en deux exigences : plus d’efficacité et davantage de justice » [NB : efficacité économie et justice sociale, ce sont les deux dadas de Pierre Méhaignerie depuis trente ans !].

Un groupe UDP devrait également voir le jour au Sénat où Jean-Pierre Raffarin continue d’avoir de grandes ambitions, même si la situation est encore assez confuse.

Deux ministres actuels ont osé approuver Jean-Pierre Raffarin : le Secrétaire d’État chargé des Transports Dominique Bussereau, ami de longue date, et le Secrétaire d’État chargé du Commerce Hervé Novelli. La Ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie serait prête à faire le pas et son compagnon Patrick Ollier (ancien Président de l’Assemblée Nationale) l’a déjà fait.

Parmi les parlementaires qui ont adhéré à la démarche, on peut citer entre autres le maire de Troyes François Baroin (ancien Ministre de l’Intérieur), l’ancien Ministre des Entreprises Renaud Dutreil (qui a complètement échoué à Reims), l’ancien Ministre des Affaires Étrangères Hervé de Charrette, l’ancien Ministre de la Justice Pascal Clément (battu aux cantonales, pourtant président de conseil général sortant), ainsi que le député Loïc Bouvard (Morbihan), le député-maire de Vienne Jacques Rémillet, ainsi qu’un autre député isérois, Georges Colombier, le ‘troisième député MoDem’ Thierry Benoît (Ille-et-Vilaine), et l’ancien ‘dissident’ souverainiste Nicolas Dupont-Aignan (député de l’Essonne).

Le député de Nancy Laurent Hénart (ancien secrétaire d’État) est également de la partie, alors qu’il sera le probable successeur de Jean-Louis Borloo à la tête du Parti radical valoisien, ce dernier ayant cependant critiqué l’idée d’une « désunion dans une période où il faut rassembler ». Sa collègue nancéienne Valérie Rosso-Debord l’a également suivi malgré la mission que lui a confiée le Ministre du Travail Xavier Bertrand.

En revanche, initialement approchés, l’ancien ministre Hervé Mariton (villepiniste), et les députés Marc-Philippe Daubresse et Bruno Le Maire (ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin) ont refusé de participer à cette aventure, préférant inaugurer leurs nouvelles responsabilités au sein de l’UMP.

Dans les parlementaires de la première heure, il y a aussi la sénatrice Fabienne Keller, ancienne maire de Strasbourg (largement battue en mars 2008).

Parmi les non-parlementaires, cette initiative a été approuvée par l’ancien ministre et ancien maire d’Amiens Gilles de Robien ainsi que par l’ancien député-maire de Rouen Pierre Albertini, l’ancien maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc, l’ancien maire d’Angoulême Philippe Mottet, l’ancien député-maire de Pacé Philippe Rouault (Ille-et-Vilaine), l’ancien député grenoblois Richard Cazenave et le conseiller municipal de Grenoble Matthieu Chamussy (ces deux derniers voyant dans la création de l’UDP un échappatoire à Alain Carignon qui contrôle l’UMP de l’Isère).

Ce qui a fait dire perfidement au secrétaire général de l’UMP Patrick Devedjian que « l’UDP [était] le rassemblement des ex- et des anciens notables ». ajoutant qu’il ne manquerait plus que Philippe Douste-Blazy pour que tout le monde soit au complet.

Dans les coulisses…

Cette conférence de presse a fait appel donc à un peu d’audace de la part de quelques responsables UMP.

Mais apparemment, ce qui a été l’élément déclencheur fut le discret encouragement du Premier Ministre François Fillon qui a été très en colère de la réorganisation de l’UMP réalisée le 28 mars 2008 avec l’arrivée, pour épauler Patrick Devedjian, des ministres Nathalie Kosciusko-Morizet et Xavier Bertrand, ce dernier étant le véritable rival de François Fillon.

Officiellement, François Fillon a évidemment condamné dans un communiqué « toute tentative de désunion de la majorité » mais a souhaité que « les amitiés et la loyauté restent présentes » pour poursuivre les grandes réformes présidentielles.

Un autre élément a favorisé également la dissidence : Jean-Pierre Raffarin a eu la confirmation que Nicolas Sarkozy ne souhaitait pas son élection à la Présidence du Sénat et qu’il ferait tout pour lui faire barrage par un soutien massif soit à Jean-Claude Gaudin, réélu laborieusement maire de Marseille, soit à Gérard Larcher qui se prépare au poste depuis un an.

La création de l’UDP permettrait de créer un groupe au Sénat (ce qui n’est pas encore acquis) qui pourrait renforcer la position de Jean-Pierre Raffarin face à d’autres rivaux pour la succession de Christian Poncelet.

Réactions

Toute la matinée, de nombreuses réactions se sont fait connaître surtout à droite et au centre de l’échiquier politique.

Pour François Bayrou, président du MoDem, la création de l’UDP montre à l’évidence qu’il avait raison dès février 2002 lorsqu’il avait bravé l’assistance (7 000 personnes) pour s’opposer à la création de l’UMP. Cependant, il a exclu toute alliance possible avec l’UDP qui « restera inféodé à l’UMP et à Nicolas Sarkozy pour les investitures et le financement et n’aura qu’une autonomie de façade ». François Bayrou a réaffirmé l’indépendance du MoDem qui « doit rester un parti libre ».

La plus virulente de l’UMP est sans doute la nouvelle Secrétaire d’État chargée de la Famille, Nadine Morano, qui a violemment protesté contre « ces félons qui trahissent le Président de la République » et a demandé à l’UMP de retirer tout soutien, politique et financier, à « ces élus carriéristes qui n’ont pas accepté de ne plus être au gouvernement ». Elle s’est aussi moqué de Jean-Pierre Raffarin, « roi de la manœuvre » qui « met en péril l’union de la majorité pour ses basses ambitions sénatoriales ».

Le Ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, également président du Parti radical valoisien, s’est déclaré « très affecté » par l’idée de ses amis et a espéré leur « retour rapide au bercail » invoquant l’enfant prodigue. Pour Jean-Louis Borloo, l’heure est à la réunification des radicaux, séparés depuis l’union de la gauche en 1971, et a annoncé qu’une « initiative commune » serait prochainement lancée avec Jean-Michel Baylet, président du PRG (radicaux de gauche), sans en dire plus.

Du côté du Nouveau Centre, le président du groupe NC à l’Assemblée Nationale François Sauvadet et le Ministre de la Défense Hervé Morin (président du NC) ont refusé de commenter publiquement. Le député-maire de Drancy, Jean-Christophe Drancy, soucieux de son autonomie, a d’ors et déjà regretté une « initiative isolée et sans concertation » tandis que Charles de Courson ne serait pas hostile à une « fusion négociée du NC dans l’UDP » afin de devenir une « véritable force de frappe capable d’imposer ses idées face à l’UMP ». De son côté, le député-maire de Châtellerault Jean-Pierre Abelin a laissé entendre qu’il rejoindrait l’UDP.

Imposer ses idées, mais quelles idées ? a semblé rétorquer le président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale Jean-François Copé, ambitieux député-maire de Meaux et ancien juppéiste, qui a accusé le coup en évoquant une « véritable agression de l’intérieur ». Son groupe, en effet, n’aura désormais plus la majorité absolue et devra négocier avec l’UDP. Jean-François Copé a ironisé sur une « tentative vouée à l’échec » car « sans unité idéologique », citant la présence du souverainiste Dupont-Aignan aux côtés du pro-européen Méhaignerie par exemple, et rappelant opportunément l’échec de la tentative des rénovateurs en avril 1989.

Au Parti socialiste, si les éléphants n’ont pas caché quelques sourires, rares sont ceux qui se sont exprimés ouvertement. Laurent Fabius a par exemple salué « le courage politique de Jean-Pierre Raffarin » qui a décidé de « sortir de l’emprise de Sarkozy et de son parti monolithique » tandis que François Hollande a estimé que la situation à droite n’était « pas bouleversée, puisque l’UDP [restait] ump-éisée ». Ségolène Royal a rejeté l’idée de faire des alliances avec l’UDP mais a affirmé que cette clarification était nécessaire et que le PS devrait aussi clarifier rapidement.

Une majorité éclatée, une impopularité croissante, un échec électoral…

Avec cette création de l’UDP, l’année 2008 risque bien d’être une ‘annus horribilis’ pour Nicolas Sarkozy qui doit faire face à de nombreux défis dont le premier est la préparation de la présidence française de l’Union européenne, première véritable épreuve du feu depuis le début de son mandat.

De quoi faire sourire l’opposition et en particulier le Parti socialiste…

Mais saura-t-il profiter de ces circonstances si propices ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (1er avril 2008)

Pour aller plus loin :

L’intégralité de la conférence de presse de Jean-Pierre Raffarin du 1er avril 2008.

2 réflexions sur « majorité présidentielle, l’éclatement attendu de l’UMP »

  1. Je pense que, tôt ou tard, l’UMP éclatera… Le premier à le quitter, et ce fut entre les deux Tours des Présidentielles « 2007 », aura été Nicolas Dupont-Aignan, qui a fondé son propre mouvement : DEBOUT LA REPUBLIQUE !

    La volonté du Président de la République à vouloir refonder l’UMP (voir mon article dernièrement publié sur come4news : « Majorité présidentielle : l’UMP au garde à vous ») aura des conséquences quelque part graves, d’autant qu’il y a eu un clash entre la Secrétaire d’Etat à l’Ecologie avec Jean-Louis Borloo, son Ministre de tutelle !

    Je ne sais pas ce qu’il en sera par la suite. Mais, il se pourrait bien que ce Quinquennat se termine mal pour la Majorité présidentielle.

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