À quelques minutes, voire secondes, de la proclamation des résultats officiels de l’élection législatives partielles dans le Lot-et-Garonne, les partisans de Marine Le Pen ont fait leur deuil. Le remplaçant de Jérôme Cahuzac sera l’UMP Costes, le FN Bousquet-Cassagne est battu (avec un écart sans doute de 5 % des voix seulement). Le nombre des bulletins nuls ou blancs, dans le cadre d’une participation en hausse, est éloquent, pour beaucoup, c’était bonnet blanc ou blanc bonnet.

Harlem Désir a été peu entendu, Jean-François Copé peu ou beaucoup, selon l’analyse qu’on en fait. Jean-François Copé, avec sa ligne de non-soutien, non-réciprocité, dans le cas d’un duel PS-FN, a été largement entendu par l’électorat de gauche ou par les sceptiques. Il n’a pas non plus vraiment réussi à contenir largement la poussée de l’électorat frontiste, qui a sans doute bénéficié de l’apport d’une partie des abstentionnistes.

Les cantons ruraux n’ont pas redressé les résultats de Villeneuve-sur-Lot, peut-être du fait que le candidat FN, fort jeune, n’a pas séduit suffisamment. Sud-Ouest, qui a détaillé en continu les votes des cantons entourant la préfecture, ne donnait pour l’instant qu’un seul canton périphérique (Monclar d’Agenais, par la suite, ce sera aussi Sainte-Livrade et Laroque-Timbaud) donnant le candidat devançant, d’une assez courte tête, le candidat de l’UMP.

À Cancon, l’écart était très faible, avec 48,88 % pour Bousquet-Cassagne, ou encore à Penne d’Agenais (49,96). Mais ce dernier était plus nettement distancé dans la plupart des autres cantons ruraux. Patrick Cassany, maire PS de Villeneuve, reconnaissait la victoire de Jean-Louis Costes, peu avant la proclamation des résultats définitifs. 

Dans la ville-préfecture, Jean-Louis Costes ne l’emporte pas finalement aussi clairement. Il ne cumule que 51,74 % des voix. Sans doute grâce, quand même, à des électeurs socialistes ou de gauche. Mais il aurait dû largement distancer son concurrent sans les blancs ou nuls.

L’UMP, en présentant un tel candidat, que finalement rien ne distingue du FN, a donc remporté un pari très risqué. Ce n’est que de justesse que le FN est battu grâce à des apports extérieurs à la droite sarkozyenne. Il n’est pas tout à fait sûr que la droite dite républicaine se soit davantage mobilisée.

Le regain de participation a sans doute profité surtout au vote blanc. Sans qu’il y ait de consigne officielle, ou officieuse, tout juste des déclarations publiques, relayées par les médias, de militants socialistes ou autres. Jean-Louis Costes était prêt à se présenter en indépendant si l’UMP ne lui octroyait pas l’investiture.

À 19 heures 46, il ne restait que 14 bureaux à dépouiller. Gilbert Collard a commenté que cette défaite était une grande victoire pour le FN et Étienne Bousquet-Cassagne proclamait que le Front républicain était « mort ». Il estime que la bascule se fera aux municipales et aux européennes. En fait, surtout aux européennes, car le FN ne pourra pas présenter dans candidats pour toutes les mairies.

Le candidat frontiste a progressé de près de 20 points ; l’écart n’a été que de 2 545 voix (53,76 % pour l’UMP).

Sur RTL, Nathalie Kosciusko-Morizet a estimé que le FN n’apporte « aucune solution ». Le problème pour l’UMP, c’est que ses solutions ont été mises en œuvre depuis plus d’une décennie en continu. Le PS n’a pas vraiment instauré une réelle rupture. Quant à l’UMP, dans cette élection, il a misé sur le court-terme : un si jeune député FN n’aurait pas tardé à comprendre où se trouvait son intérêt, ses réelles perspectives de carrière, il aurait pu être facilement absorbé… comme tant et tant d’autres avant lui.

Jean-Louis Costes a eu l’amabilité de remercier les électeurs de gauche mais il a indiqué ne pas avoir « de message particulier à passer à l’UMP à Paris » ; il pourra sans doute continuer à cumuler des mandats et des fauteuils. Selon Sud-Ouest, si des soutiens du FN ont crié « corrompu » à son intention, d’autres ont scandé « Allez Jean-Louis ».

Un front poreux

Cette porosité entre FN et UMP, qui ne date pas d’hier, ni même d’avant-hier, le « ni-ni » (FN ou PS) de Copé et même Juppé (selon d’autres réflexions) sonne le glas, à gauche, de l’automaticité du réflexe anti-FN : le plutôt le choléra que la peste, pour ainsi dire, ne fonctionne plus à la base.

Ce n’est pas qu’il soit considéré que le FN de Marine Le Pen serait vraiment moins antisocial que celui de son père. À tort ou à raison, le FN est toujours considéré comme le soutien naturel du patronat, sa roue de secours si la droite dite républicaine venait à être trop déconsidérée.

Le courant Gauche forte du PS partage cette approche. Le député PS Yann Galut, rejoint celui du courant Gauche populaire, Philippe Doucet, qui considère qu’il faut être deux pour danser le tango et que le mariage pour tous les républicains suit la même logique. Si l’un n’en veux pas (l’UMP), l’autre n’est plus tenu à l’esprit de corps et peut se séparer.

Razzy Hammadi, autre député PS, considère qu’UMP et FN « portent le même discours ».  

Quelque peu gênés aux entournures, les élus UMP craignant pour la poursuite de leur carrière en cas de triangulaire défavorable, mettent en cause le gouvernement qui ne peut redresser la situation de l’emploi héritée de leur législature. Le diagnostic est juste, quand tout va à peu près près convenablement, voter droite républicaine ou gauche républicaine est affaire de convictions et l’alternance finit par corriger l’appui accordé un temps à l’adversaire.

Comme NKM, Christian Jacob reprend le thème d’un FN n’apportant pas de réponse durable aux problèmes, ni « de réponses sur l’emploi ». Lequel se dégrade depuis le premier choc pétrolier des années 70, soit depuis près de quarante ans. Années pendant lesquelles, si le FN n’était pas au pouvoir, il était largement représenté par des ministres issus de groupes ultra-libéraux ou de groupuscules de l’extrême-droite la plus radicale (anciens du Gdu, d’Occident, &c.).

Cadeaux aux entreprises, flexibilité du travail (stages, CDD, intérim… recours à des sous-traitants étrangers mieux disants…), baisse réelle des rémunérations (notamment du fait de reclassements à des niveaux inférieurs), stagnation des rémunérations (y compris pour les petits fonctionnaires), &c., ont été largement mis en œuvre et application, de fait.

Détérioration du pouvoir d’achat et de l’emploi ne sont pas plus le fait de l’actuel gouvernement que de ses nombreux prédécesseurs depuis les années Pompidou-Giscard, avec, passagèrement, non pas des embellies, mais des phases moins lourdement nuageuses.

De ce point de vue, à gauche, on ne voit pas non plus ce qui distingue fondamentalement le FN de l’UMP. Alors, même si l’équivalent hongrois montre bien que le FN pourrait se montrer fortement liberticide sans du tout améliorer la situation économique et sociale, les deux formations sont perçues comme du pareil au même sur ce plan. Aucun Grec n’a remplacé les vendeurs ambulants sénégalais envoyés aux urgences ou expulsés manu-militari par Aube dorée et ses électeurs fortement employeurs de main d’œuvre saisonnière n’embauchent pas de Grecs… 

En fait, ni l’UMP ni le PS ne sont plus du tout en mesure de tenir des troupes électorales hors des cercles militants (l’érosion des adhésions est forte dans les deux camps). Et encore… La seule différence est que, à l’UMP, les partisans du Front républicain se taisent ou tergiversent tandis qu’au PS ses tenants et ceux qui n’y croient plus s’expriment.

Quant à dire que le FN ait vraiment progressé dans le Lot-et-Garonne, c’est peut-être exagérer la signification des chiffres. Le très jeune candidat, Étienne, fils de son père, Serge, qui avait soutenu le candidat UMP, notable pas trop mouillé, ne doit nombre de votes qu’à lui seul. Le gendre idéal est bien loin d’incarner un changement radical. Certes, les voix qui se seraient portées sur Catherine Martin, qui a refusé de passer de candidate FN à suppléante, ne lui ont pas trop manqué, ou ont été largement compensées. Mais son électorat est sans doute volatil.

C’est l’autre aspect du problème : selon les circonscriptions et les personnalités, l’UMP devient davantage un repoussoir que le FN. L’enjeu s’est amenuisé. La perception n’est plus la même. Catherine Martin, qui briguerait désormais la mairie de Villeneuve, avait déclaré à Sud-Ouest qu’elle ne roulait « pour sa pomme ». « Si c’était le cas, ajoutait-elle, je serais depuis un bon moment à l’UMP et avec la gueule que j’ai, je serais élue. ».

Désaffection, vases communicants

Autre problématique : les 15 % de bulletins blancs ou nuls (dont deux portant le nom de Cahuzac) dans certains cantons, le total passant de 2,18 % au premier tour à 14,25. Du rarement, rarement vu. Compte tenu des abstentions (le cumul blanc-nul-abstentions étant de 55 %), on ne peut pas dire que Costes ait été bien élu. Moins du quart des inscrits. Comme l’a titré La Dépêche, Costes a battu « le FN et le vote blanc ». Malheureusement, le détail par canton, dont les trois dans lesquels le candidat FN est donné en tête, n’est pas donné par la presse.
Le sentiment que j’en retire est qu’une partie de l’électorat ne croit plus du tout qu’aucun des partis pouvant prétendre à l’alternance au pouvoir (donc, aussi, à présent, peut-être le FN) ne tiendrait ses promesses. Le grand écueil que risque à présent le PS, c’est que le FN puisse être autant désormais considéré que lui apte à réduire (un peu) l’austérité.

Tandis que l’UMP, elle, peut conserver une base forte, un socle, qui considère que l’austérité, si cette formation l’emporte, ne sera encore et toujours que d’abord pour les autres, moins bien lotis. Une illusion pour beaucoup. C’est au fond l’essentiel du message de l’UMP qui réfute que le FN constitue une alternative crédible. Luc Chatel (UMP) déclare qu’entre PS et FN, l’effet de vase communiquant est en train de se vérifier. Ce qui laisse entendre que le FN devra en tenir compte, et que l’essentiel en serait endommagé pour l’électorat UMP. C’est oublier un peu vite que cela ne mobilise que celles et ceux dont la situation s’est améliorée ou maintenue au cours des années RPR-UMP. Ou qui croient que les revers ne sont que passagers. Le socle est certes solide, mais sa périphérie s’effrite. 

Un petit indice : cherchez UMPSFN via Google. Ce qui était naguère marginal gagne du terrain. Employé côté ex-FN tout comme ex-PS ou ex-UMP. Jacques Bompard (ex-FN) avait employé le sigle, il est désormais loin d’en détenir encore l’exclusivité. C’est peut-être en germe ce qui fait davantage son chemin que le Front national.