L’incertaine relance par le BTP et la construction

L’une des mesures phares annoncées par Nicolas Sarkozy lors de son dernier passage à la télévision est censée « conserver des emplois en France » grâce à une relance de la construction. D’une part, la mesure de déréguler en majorant les droits à construire de 30 % n’est pas tout à fait nouvelle, d’autre part ses retombées sur l’emploi et le prix des loyers sont fort incertaines.

Il y a, de la part de Nicolas Sarkozy, une forte propension au recyclage.
Le taux de 30 % de construit supplémentaire correspond en fait à une augmentation de 10 % par rapport à l’existant dans de nombreux cas.
La Loi de mobilisation pour le logement et l’aide à la construction, passée sous son quinquennat, en 2009, prévoit déjà divers cas de majoration de 20 % (et même de moitié, 50 %, pour des logements sociaux).
D’autre part, en cas de bâti « vert », c’est également 20 %.
10 % de « mieux » (ou de pire si cet accroissement aurait des effets pervers) vont-ils avoir un effet de déclenchement ?
Pour le moment, depuis 2009, on ne peut pas dire que le BTP se soit précipité pour profiter de l’aubaine, ni même les particuliers.
Il n’est même pas sûr que les très riches propriétaires qui veulent ainsi s’affranchir de contraintes pour s’élargir dans des sites classés ou protégés puissent profiter de l’aubaine. Quant à l’augmentation de l’offre locative, on peut nourrir quelques doutes. On voit mal le diocèse catholique de Paris rehausser d’un tiers les tours de Notre-Dame-de-Paris pour y loger des suisses et des bedeaux. L’exemple est certes caricatural, mais image-t-on que Christian Clavier, en Corse, ou Alain Jouyandet (ancien du gouvernement Fillon), dans le Var, en butte à des réglementations pour agrandir leurs propriétés secondaires, vont ainsi louer des surfaces supplémentaires, si ce n’est à de très riches vacanciers ? Il est toutefois abusif de considérer que cette mesure ne serait qu’un cadeau supplémentaire aux plus riches propriétaires fonciers ou aux promoteurs de résidences de luxe… D’autres mesures d’assouplissement, plus techniques, sont intervenues en novembre et décembre 2011, d’autres encore entrent en vigueur en mars prochain. Mais admettons que cet effet d’annonce puisse avoir valeur incitative pour celles et ceux n’étant pas au courant des dispositions antérieures. Si les retombées pour le logement en général sont aléatoires, pour la création de chantiers, donc l’emploi, le coup de pouce devrait être bénéfique.
Hausse des prix du foncier ?
L’un des effets pervers pourrait être le renchérissement du foncier. Oh, pas partout. Alors que les dispositifs Scellier ont conduit à fourguer des résidences pour étudiants en pleins déserts universitaires, rehausser de plusieurs étages ces immeubles n’en fera guère remonter la valeur, ni la demande locative quasi inexistante. Mais, là où peuvent s’ériger des résidences de luxe, ce sera autre chose. La valeur d’un terrain est calculée par le promoteur en fonction du ratio Rdc+x. S’il passe à plusieurs étages de mieux, un prix supérieur de la surface au sol peut devenir rentable. Mais si les y ou z étages sont loués à des prix correspondant à la qualité supérieure du construit, cela se répercute sur l’ensemble des loyers des immeubles à proximité. Le prix moyen du secteur augmentant, lors du renouvellement des baux, les propriétaires loueurs peuvent en tenir compte.
Il en serait autrement pour des emprises destinées à des logements sociaux. François Hollande envisage des cessions gratuites de terrain. Nicolas annonce crânement, à Longjumeau, qu’il préfère les baux emphytéotiques (généralement de 99 ans). Ce qui n’est absolument pas nouveau. Va-t-on revoir des tours et des barres plus hautes ? Ce n’est pas sûr.
Quel emploi ?
L’un des arguments par Nicolas Sarkozy, c’est que la relance par le bâtiment créée des emplois qui ne sont pas délocalisables. C’est vrai pour les emplois subalternes, faux pour certains emplois de contremaîtres ou cadres qui, fort de leur expérience acquise sur des chantiers nationaux, peuvent être incités à poursuivre leur carrière à l’étranger, parfois dans des filiales des mêmes grands groupes.
Mais de quels emplois s’agira-t-il ? Comme dans la construction navale, cela encouragera le recours à des sous-traitants étrangers qui multiplieront les contrats temporaires. Certes, ces ouvriers étrangers, le temps de leur séjour, consomment plus ou (plutôt) moins sur place. Mais admettons que ce ne sera pas le cas pour les petits chantiers. Ce seront donc soit des clandestins, soit des bénéficiaires de cartes de séjour, soit des Français dont on dit trop qu’ils sont « issus de l’immigration » qui en profiteront majoritairement. Pourquoi pas ? Qu’en fera-t-on lorsque la demande sera satisfaite ? Faudra-t-il prévoir, comme sous Giscard, des « aides au retour » ?
Emplois pour allogènes
On verra par ailleurs, sur Come4News, qu’à partir du 1er juillet, les personnes en attente de naturalisation devront répondre à des questions de « culture » française (du genre « Quand fut aboli l’esclavage ? » ou « Qui est Brigitte Bardot ? »).
Diplômée d’un mastère, tout comme moi, l’auteure de l’article sècherait sur certaines questions, d’ailleurs ambigües (pour l’esclavage, lors de la Révolution, ou du temps de Victor Schœlcher, cela, pour moi, se discute).
Je doute d’ailleurs fort qu’une brillante physicienne, bac+5 néo-zélandaise, âgée de moins de 25 ans, sache encore qui est ou était Brigitte Bardot.
Qu’on soumette donc Claude Guéant à ces questions, pour voir…
Le chantier de rénovation de ma cage d’escalier emploie une dizaine de personnes qui s’expriment dans divers idiomes étrangers.
Le travail n’est pas mal fait, je n’ai voté que pour le choix de l’entreprise, et seul, finalement, le résultat m’importe.
J’en connais d’autres, en France depuis 30 ans, passés « Cotorep » (handicapés), ou ne trouvant plus d’embauche, et ne pouvant envisager une retraite décente : ils bricolent, font taxi clandestin ou autre…
Nicolas Sarkozy, toujours près de Longjumeau (au Mennecy, le 2 février), ou plutôt l’UMP de l’Essonne, aurait réquisitionné des travailleurs du bâtiment pour assurer sa claque sur un chantier. Je n’y étais pas, les photos sont parlantes : ne figurent sans doute que des travailleurs antillais ou de La Réunion pour l’entourer.
Les militants de l’UMP auraient gagné à enfiler un bleu ou une salopette et à se coiffer d’un casque pour minorer la portée des arguments de Marine Le Pen à propos de cette relance par le bâtiment. Ce n’est pas un jugement de valeur sur la composition des équipes des chantiers de l’Essonne, c’est une constatation : en termes d’images, c’est là une maladresse.

Notez par ailleurs que l’Élysée et la société Immobilière 3F démentent formellement, dans Le Figaro notamment, avoir eu recours à des figurants : « étaient présents les 67 ouvriers travaillant quotidiennement sur le chantier, ainsi que le personnel d’encadrement des sociétés participant au projet. ». Tiens, bizarre, car « mon » grand chantier voisin, pourtant abrité (une rénovation en vue de créer 90 logements sociaux), s’est tu ce matin… En raison du trop grand froid, les divers corps de métier ont renoncé.
C’est où, l’Essonne ? Mitoyen de la Corse ? Ah, non, en Île-de-France… Où l’on était hier sous zéro. Mais Sarkozy, c’est peut-être, comme l’ex-président Mao, un « Soleil rouge » irradiant.

Je ne saurais dire si les nouveaux emplois profiteront à des Français, de toutes origines, émargeant actuellement au Pôle emploi, à des jeunes issus des centres de formation du BTP, ou à des ouvriers venus de l’Union européenne ou d’ailleurs. Notons que les propositions de François Hollande sur le même secteur du bâtiment auront sans doute les mêmes effets, sans qu’on puisse dire si elles s’avéreront globalement bénéfiques et à quel(s) terme(s).
Espérons que la relance sera accompagnée de mesures d’accompagnement, de reclassement, de facilitation d’une meilleure intégration et reconversion des travailleurs étrangers. Qu’ils pourront aussi disposer – à des prix convenables – des bâtiments locatifs qu’ils auront contribué à construire.
Ce qui est sûr, c’est que, pour ceux désirant faire souche et participer à l’économie européenne, user de subterfuges pour les dissuader d’acquérir la nationalité est une piètre solution. Les priver ad vitam du droit de vote aux élections territoriales n’est pas non plus de nature à faciliter leur intégration.
Passé l’effet d’annonce…
Nicolas Sarkozy se refuse à encadrer les loyers, ce qui n’aurait pas, selon lui, fonctionné, même en Union soviétique. Qu’il aille donc, à présent, avec un salaire local, chercher à se loger dans les pays de l’ex-bloc communiste (au sens large, Roumanie et ex-Yougoslavie incluse). En Roumanie, un simple studio pour célibataire ou couple sans enfant, c’est deux-tiers d’un salaire minimum devenu inférieur à celui constaté dans certaines régions chinoises.
De plus, on ne croit pas que la Suède et les Pays-Bas, qui encadrent les loyers, aient jamais vu les chars soviétiques déferler sur leurs sols. S’il y avait afflux de travailleurs étrangers, ce dont je ne saurais présumer avec certitude, il faudra bien les loger. Comment ? À quels prix ? Où ?
En soi, je ne saurais dire si les dispositions que Nicolas Sarkozy voudrait voir mettre en vigueur (autoritairement dans certaines communes se refusant à densifier ?) auront des retombées fastes ou néfastes, ni vraiment pour qui.
François Hollande, ou un ou une autre, pourrait d’ailleurs fort bien les reprendre à son compte que cela ne me ferait pas varier. Telles quelles, sans accompagnement, sans modulation, ces mesures sont problématiques.

Ce qui serait détestable serait que, faute d’efficacité apparente rapide, elles poussent à susciter l’érection de chalandonnettes ou de maisons Borloo, cette fois en Rdc+3 pour accommoder deux familles qui se verraient obligées, dans les dix-douze ans, de procéder à leur rénovation totale.
Déjà, les malfaçons dans les bâtiments construits en partenariat public-privé (PPP), contrats qui ont été développé outre mesure, laissent présager de forts surcoûts immédiats et à terme incertain.
La relance par le bâtiment, soit. À condition qu’elle ne soit pas débridée, propulsée juste pour produire des statistiques de l’emploi, ou quelques immeubles dont on couperait le ruban devant les caméras sans envisager leur entretien, leur mode de « fonctionnement » (chauffage… desserte… réseaux…). Pour le moment, cela ne reste qu’un commode argument de campagne électorale.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

Une réflexion sur « L’incertaine relance par le BTP et la construction »

  1. Toujours du [i]Figaro[/i], au conditionnel :
    « [i]Les ouvriers et les faux ouvriers auraient été priés de faire semblant de travailler devant la presse, alors que la température glaciale leur interdisait de travailler ce jour-là.[/i] ».

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