Il y a quelques temps j'avais écrit, sur mon blog, un article traitant du gavage en Mauritanie . Un commentaire en réponse dit (..) "mais ce n'est pas de leur faute, ils ont été éduqués de la sorte" (..). Ces quelques mots soulèvent la question de notre droit à juger les actes d'autrui et une autre relative à l'honnêteté intellectuelle.
A moins de penser que les hommes et les femmes évidemment sont "méchants", ce qui laisse supposer une volonté de nuire et de détruire, la majorité des individus n'agit qu'en conformité avec son éducation, ses traditions sociales et religieuses. Les individus ont été éduqués de la sorte.
Hormis quelques malades mentaux, la majorité des individus qui commettent des actes condamnables ne le font pas avec une volonté délibérée et manifeste de nuire. C'est la tradition, ça c'est toujours fait comme ça, déjà nos ancêtres, j'ai trouvé ma mère qui faisait comme cela….
En toute bonne foi et bonne conscience.
Une génération différente, des hommes affublés d'une sensibilité différente ou d'une autre culture jugeront sévèrement de tels comportements.
Les comportements condamnables sont légions dans nos sociétés dont une bonne partie sont légitimés par la tradition et la culture. Je cite en vrac : l'exploitation exacerbée opérée sur les jeunes bonnes et encore plus sur les petits talibés esclaves de leurs marabouts, l'excision, les mariages précoces et arrangés, la place de la femme, celle des enfants…
Tout cela est profondément ancré dans notre culture, parfaitement conforme à nos moeurs. Jusqu'à un certain point, la corruption et la patrimonialisation du pouvoir accompagné du népotisme sont aussi inscrits dans les traditions.
Nous ne sommes pas responsables de l'éducation que nous avons reçu, c'est indéniable, mais jusqu'à quel point pouvons nous nous réfugier derrière cette éducation pour justifier nos actes ?
A partir de quand est-on capable et doit-on juger l'éducation reçue et éventuellement en renier certains aspects ?
L'éducation reçue peut-elle toujours justifier celle que nous donnons à nos enfants ?
A partir de quand la bêtise et l'ignorance ne sont plus pardonnables ?
Tous ces comportements étaient normaux pour nos ancêtres, peut-être même vertueux et estimables. Le monde a changé, la conscience humaine aussi.
La non responsabilité justifiée par l'éducation et la tradition entraîne t-elle automatiquement la non culpabilité ?
C'est le premier problème soulevé et il est d'importance.
Nous tolérons très bien la survivance de comportements criminels à condition qu'ils se passent chez nous et que les acteurs soient de notre culture, que ce soient nos voisins et nos frères…
La condition des petites bonnes qui triment 12 h par jour, 6 jours par semaine pour un sac ou deux de riz par mois ne soulève pas beaucoup d'indignation. La raison en est simple.
La tradition d'envoyer les nièces chez leur tantes pour s'occuper du ménage est une vieille pratique et surtout : nous en sommes les bénéficiaires de cet esclavage. Les petites bonnes ne travaillent pas chez un affreux colon blanc caricatural ou pour un industriel/négrier. Non ! c'est dans nos familles qu'elles travaillent…
Cela m'amène à soulever le deuxième problème. Je vais le faire sous une forme chère à nos éminents juristes : la similitude des formes.
Si un comportement actuel condamnable est toléré et justifié par une tradition et une éducation, il serait juste d'appliquer ce principe de manière universelle. Ce qui est bon (à appliquer) pour nous doit l'être pour les autres.
Cela nous met dans une situation gênante pour juger l'esclavage et la traite dont a été victime le continent africain.
L'esclavage était une tradition bien établie à l'époque. Nombre de sociétés étaient basées sur l'esclavage y compris en Afrique. Cet esclavage était conforme à la tradition, aux moeurs et à la morale de l'époque.
Saint Augustin, un des grands père de l'église chrétienne s'est longuement interrogé sur l'esclavage et sur les conditions nécessaires pour qu'il soit moral. Cela n'avait alors, rien de choquant.
L'esclavage, affreux crime, a été perpétué par des hommes pour qui cette pratique était conforme aux moeurs.
Doit-on excuser l'esclavage et la traite sous prétexte que les négriers ne violaient pas la morale de leur époque et de leur société ? Le vocable associé à traite et esclavage est crime contre l'humanité. Crime punissable par la loi. Crime dont les auteurs ne seront jamais jugés puisque morts depuis très longtemps.
Il ne vient à l'idée de personne de pardonner à ceux qui ont jadis commis ce crime. Au nom de la réciprocité des formes doit-on tolérer et laisser impuni le quasi esclavage des petits talibés, celui des jeunes bonnes, les coutumes archaïques oppressives sous le prétexte que les auteurs de ces actes ont été éduqués ainsi et qu'ils n'y voient aucun mal ?