Le bourreau, incarnation de la justice punitive, n’a pas toujours été le personnage terrifiant qui ôte la vie de façon violente. Personnage très controversé, il fascine autant qu’il inspire la haine et le mépris. Très présent dans l’histoire, son existence est pourtant, à l’instar de la répulsion qu’il inspire, quasiment niée et donc mal connue.

Qui sait encore, en effet, que tout en personnifiant la main qui tue, il fut aussi autrefois considéré comme un puissant guérisseur ?

 

{mosimage} Si les exécuteurs de la justice criminelle existent depuis l’antiquité, le métier de bourreau en lui-même est apparu au cours du XIIIème siècle. Le développement des centres urbains a nécessité la mise en place d’une certaine organisation judiciaire, et avec elle est née la sentence capitale : la peine de mort. C’est avec l’acceptation par les hommes de celle-ci qu’est apparue la nécessité de désigner une personne qui sera chargée de ces exécutions, le bourreau.

 

Agent de la justice chargé d’appliquer les châtiments aux criminels, le bourreau doit être capable de supplicier les condamnés et de les exécuter. Peu importe que la sentence soit décidée ou non par la justice, ceux qui acceptaient ce poste devaient donc en supporter les conséquences. Appliquer la mort est une fonction frappée d’ostracisme car durant l’Ancien Régime, le bourreau est également tenu de torturer ses victimes. Il est d’ailleurs prié de rendre l’exécution la plus spectaculaire possible afin d’enchanter le public. Il dispose pour cela de tout un arsenal de méthodes et d’instruments tous plus cruels les uns que les autres. Jusqu’au XVème siècle, la mort qu’il inflige est toujours lente, violente, et extrêmement douloureuse. Par la suite, les victimes seront discrètement étranglées avant de subir les coups les plus violents et les sévices mortelles. A partir de 1791, une loi interdit la torture préalable et la guillotine, pour affreuse qu’elle soit, rend la mort plus rapide et moins douloureuse aux condamnés.

Celui qui est dénommé le « Maître » ou l’ « exécuteur des hautes et basses œuvres » ne se substitue pas au geôlier mais sa charge couvre l’exécution de la sentence du début à la fin. Il lui revient de dresser lui-même l’échafaud, de tourmenter et torturer le condamné, pour enfin faire disparaître le corps dont il aura ôté la vie et nettoyer les lieux une fois la sinistre besogne effectuée. Il transportait d’ailleurs le cadavre au cimetière de nuit afin d’éviter l’opprobre du peuple qui le haïssait. Le bourreau pouvait être secondé par un ou plusieurs valets. 

Paria dans la société, il était souvent la cible des quolibets et des huées de la foule qui venait pourtant assister en masse, fascinée, à ses exécutions. On le considérait avec un mélange de crainte, de mépris et de fascination. Dès le XVème siècle, il fut prié de porter le signe distinctif de sa fonction : l’insigne d’une épée sur son manteau, le port d’un petit bâton à la ceinture ou encore d’un bout de tissu de couleur vive à la manche gauche. Ces signes variaient selon les régions. Il devait en outre revêtir le jour des exécutions un manteau rouge ou bien aux couleurs de la cité qu’il servait. Le pain destiné au bourreau était posé à l’envers par les boulangers, origine peut-être de la croyance selon laquelle poser le pain à l’envers porte malheur. Les marchands refusaient de lui vendre leurs marchandises si bien que fût instauré le droit de havage selon lequel il percevait une partie de ses émoluments par prélèvement sur les marchandises exposées aux halles et contre lequel les marchands ne pouvaient s’élever. Ce droit fut toutefois aboli en 1775. 

Le bourreau disposait d’un certain nombre d’autres avantages comme l’exemption de la taille, de la gabelle et des redevances de mouture au moulin et la gratuité de son logement. Il disposait en outre du droit de s’approprier les vêtements du condamné et du contenu de ses poches ou de louer des places aux curieux venus assister à l’exécution de certains condamnés célèbres.

En outre, les trafics étaient chose courante dans la vie des bourreaux : revente de corde, de graisse, mais aussi de mandragore ou encore de râpure de crâne de pendu… D’aucuns s’arrangeaient également pour faire commerce du corps des pendus !

Au XVIème siècle, la peine de mort était entrée dans les mœurs et faisait partie de la vie quotidienne. Mais la fonction manquait de candidats, si bien que c’étaient souvent des générations successives d’une même famille qui endossaient ce rôle. Citons pour exemple la célèbre famille Sanson, bourreaux à Paris de père en fils durant sept générations. Celui qui devenait exécuteur pour la justice achetait sa fonction et pouvait ensuite la transmettre ou la vendre selon son bon vouloir.

Avec l’augmentation de leur nombre, les bourreaux se sont regroupés en corporations, ce qui leur permettait de retrouver un peu de vie sociale. Les mariages s’effectuaient entre familles de même corps de métier et il n’était pas rare que la femme du bourreau officie avec celui-ci.

L’Histoire nous a d’ailleurs appris que la fonction n’a pas toujours été tenue par des hommes, même si rares ont été les femmes à endosser ce rôle. Parmi les faits connus figure l’histoire surprenante de Marguerite-Julienne Le Paistour, qui devint bourelle à Strasbourg sans que l’on sût qu’elle fut femme.

Battue par sa marâtre, elle décida à vingt ans de fuir la maison paternelle déguisée avec les vêtements de son frère. Elle exerça divers métiers sous les traits d’Henry, le jeune homme pour lequel elle se faisait passer. Elle se retrouva finalement à Strasbourg, sans le sou, et son destin bascula lorsqu’un bourgeois s’enquit de sa situation et la prit à son service. Elle ignorait alors qu’elle venait d’entrer au service du bourreau de la ville. Mais elle prit rapidement goût à officier en tant que valet du bourreau, lequel lui enseigna son office. Avec les années, elle exerça elle-même cette charge dans diverses cités et jusqu’à Lyon où elle était reconnue pour son zèle. Elle fut démasquée lorsque, vexée que le jeune homme lui ait refusé ses avances, sa domestique l’espionna, découvrit la supercherie et la dénonça au Procureur du Roi. Elle fut incarcérée à la prison de Lyon où elle resta dix mois avant d’épouser un laquais dénommé Noël Roche, ce qui lui valut sa libération.  

 

Si l’image du bourreau a perduré dans toute l’horreur qu’elle représente, on sait moins, cependant, que les bourreaux ont longtemps été considérés comme des guérisseurs et que « le peuple les préférait, en général, pour remettre les membres brisés ou démis, croyant que celui qui rompait les os aux scélérats devait mieux savoir les remettre que les chirurgiens »1. Nombreux étaient ceux, en effet, à s’être exercés aux opérations chirurgicales. D’ailleurs, qu’il soit guérisseur, tanneur, bourrelier ou équarisseur, rares étaient, jusqu’au XVIème siècle, les bourreaux à ne pas occuper une autre fonction. Un célèbre bourreau de Lyon, reconnu comme guérisseur, utilisait un remède bien connu de la médecine contre la goutte sciatique : l’emplâtre de poix de Bourgogne. Une autre croyance voulait que le fait de toucher de la main un bourreau après qu’il ait exercé sa tâche guérisse certaines maladies.

Mais les superstitions liées à la figure du bourreau découlent plus sûrement du fait que certains d’entre eux monnayaient la vie des condamnés en simulant leur exécution. Il leur suffisait alors de ne pas serrer suffisamment la corde autour du cou ou encore de dépendre le supplicié le plus rapidement possible en lui administrant les soins nécessaires.

La foule a toujours aimé croire aux miracles…

 

 

 

 

1 CHESNEL (A. de), Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés et traditions populaires où sont exposées les croyances superstitieuses des temps anciens et modernes, tome XX de l’Encyclopédie théologique, Paris, E. Lechevalier, 1856.