Humain. Intense. Maîtrisé. Un grand Cronenberg. 

C’est facile, il suffit de trouver ce qu’on appelle en journalisme : un angle

Et quand on hésite entre plusieurs angles d’attaque en l’occurrence et au choix  une réflexion sur la thématique du corps dans l’œuvre de Cronenberg, les histoires d’amour impossibles, les grands films mafieux et Viggo Mortensen, il y a un truc qui fonctionne à tous les coups c’est de commencer  par parler du film en partant de son titre original.

Avec un peu de chance (bon je fais semblant qu’il y a un risque mais comme ce n’est pas du direct tout est prévu à l’avance) on débouche sur un angle d’attaque sympathique qui donne l’impression de couler de source.

 

« Eastern Promises » soit « les promesses de l’Est » ce qui sonnait un peu trop comme le titre d’un film érotique soft du dimanche soir sur M6 avec moldaves girondes et orgies sous la neige a été traduit en français par « Les promesses de l’ombre ».

Deux titres extrêmement  bien choisis qui éclairent chacun une partie du film.

Comment écrire une critique cinématographique ?

Les promesses de l’Est seront celles faites à Tatiana, une jeune fille russe à qui l’on a promis une vie meilleure à Londres et qui finira son calvaire et sa vie entre les mains d’une infirmière émotionnellement impliquée (Naomi Watts), désireuse de trouver une famille à l’enfant qui vient au monde au moment où sa mère le quitte.

Son enquête l’amènera à croiser le chemin de Semyon, patriarche russe à l’apparence paisible de vieux papy restaurateur mais qui s’avère être à la tête d’un réseau mafieux dont les lieutenants sont le fils Kirill (Vincent Cassel) et l’homme de main mutique et fidèle Nikolai (Viggo Mortensen).

Plus le film avance et plus on se dit que c’est ce dernier qui pourrait être à  la fois celui qui porte ces promesses de l’ombre  (ami ? amant ? allié ?) et celui qui finit par y succomber (papillon aux ailes tatouées qui finit par se brûler à la flamme qu’il voulait éteindre).

 

Disons le tout net : « Les promesses de l’ombre » est un film intense.

Un grand film qui refuse le sentimentalisme au profit de l’émotion nue (voir notamment la mort de Tatiana traitée avec une sobriété qui n’enlève rien à l’émotion), qui dépeint des personnages qui restent ambigus jusqu’au bout de leur (in)humanité à l’exception de Naomi Watts l’ange biker, fragile mais déterminé.

Tous les rapports humains sont traités ici avec une finesse qu’il est de plus en plus rare de voir au cinéma et qui repose  sur l’intelligence du spectateur auquel le film fournit toutes les pièces lui permettant de compléter lui même le puzzle psychologique.

Qu’il s’agisse de la violence virile de Kirill que l’on devine nourrie par une « anormalité » refoulée et l’ombre de la figure paternelle, du mutisme de Nikolai dont l’humour et le regard trahissent une sensibilité exacerbée sans oublier Anna que son origine et son passé rattachent de manière subtile et pourtant directe aux drames qui se jouent.

Et toute cette finesse ne serait pas possible sans  des acteurs exceptionnels qui sont ici dirigés de main de maître et qui font littéralement  corps avec leurs personnages.

Le moindre petit regard, le moindre geste retenu, la moindre hésitation tout dégage une profonde authenticité  et pour l’œil averti, une maîtrise totale.

Rien que pour cet épatant numéro d’acteurs, le film est un régal et une histoire dans laquelle on a envie de s’impliquer jusqu’au bout.

 

Sur un autre plan, certains déplorent le fait que depuis quelques années, Cronenberg semble avoir délaissé le fantastique et son obsession pour la chair et ses déformations (cf la Mouche, Chromosomes, Scanners) pour des histoires plus classiques dont le seul vestige de ses outrances passées serait des effets gores sans filtre.

Je crois qu’ils se trompent. Pour moi Cronenberg a simplement fait évoluer  sa réflexion en passant du cadre théorique (le corps d’un point de vue abstrait que le fantastique permet de livrer à toutes les manipulations) au point de vue pratique (le corps réel en action).

Dans « les promesses de l’ombre », il suffit d’y regarder de plus près pour voir que chaque élément dramatique majeur faisant avancer le récit ou même le structurant est directement lié au corps.

Tatiana était une chanteuse qui fini enceinte, droguée et prostituée.

Anna est une infirmière, plus précisément une sage femme.

Semyon est un restaurateur. Nikolai est tatoué.

Voilà pour les grands lignes maintenant pour rentrer dans les détails et en essayant d’en révéler le moins possible : homosexualité, problème omniprésent de la race (dans la bouche des russes), peur du Sida (chez les prostitués et l’épisode de la seringue), importance des tatouages véritable biographie du porteur, sévices subis par le corps (tranchage, découpage) et pour finir l’idée même de corps comme agent étranger (l’infiltration)

D’ailleurs ce n’est sûrement pas un hasard si la scène choc du film est un combat sauvage dans un sauna entre Viggo Mortensen entièrement nu et deux mafieux tchétchènes. Une scène dans laquelle Cronenberg expérimente plus avec les corps que son apparence de baston musclée de série B pourrait le laisser penser.

 

Voilà donc un film qui tient toutes ses promesses (oh oh oh) et même un petit peu plus.

Un film qui va à l’essentiel, c'est-à-dire l’humain, qui raconte une histoire universelle en dépit de son apparent communautarisme et qui est porté par un quatuor de comédiens en état de grâce.

Un film intense et en dépit de sa froideur, très humain, à l’image de son anti héros Nikolai.

Un très grand Cronenberg et un possible film du mois.

 

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