Mikel Benoit a aujourd'hui trente ans. A vingt-sept ans, le monde s'est dérobé à ses pieds. Fini les études, fini les joies, fini la vitesse qui vous emporte dans un tourbillon de vie. Il a alors décidé de courir après les espaces, après le temps, après les horizons.
Seul, il a marché sur les plages et il a beaucoup rêvé. Mais il s'agissait d'un rêve éveillé car les autres rêves que nous faisons, riches ou pauvres, éclairés ou pas, sont tous les mêmes. Les rêves éveillés de l'auteur – qui sont des rêves construits et conceptualisés – l'ont emmené dans l'univers de la musique d'abord, de la poésie ensuite. Cette poésie se veut une survivance de l'esprit romantique au sens symbolique, mallarméen.
Elle est fluide dans ses vers, furieuse dans sa prose. Mais c'est bel et bien de surnaturel qu'il s'agit car l'auteur répugne à raconter la vie de tous les jours qui appartient aux hommes, non aux poètes.
La poésie, pour lui, s'émancipe et ne peut que transcender la vie réelle, quotidienne, pour aller dans un ailleurs. La poésie va ailleurs ou elle ne va nulle part : « Et nous, nous cueillons l'étoile pour la plonger dans la mer. La voilà qui explose en un feu d'artifice d'une couleur d'aurore boréale. »
La poésie est sculpture, la poésie est musique : « Je te vois dans les eaux limpides de l'étang, miroitant l'iris en reflet des gais enfants, recousant les lyres dans les cordes du ciel pour faire vibrer l'ivresse de tes sommeils. »
Et ainsi va le rêve éveillé du poète
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Wahid.Bennani : Bonjour Mikel Benoit ! Ça va être un plaisir de découvrir l'auteur de « Les Horizons Déçus ».
Mikel Benoit : Merci, tout l'honneur est pour moi.
Wahid.B : Est-ce là votre premier ouvrage publié ou bien vous en avez d'autres ?
Mikel B: Non, c'est mon premier ouvrage. J'en ai un deuxième qui n'est composé que de poèmes en prose, sans vers libres ni vers classiques.
Wahid.B : Pourrions-nous avoir une idée à son sujet ?
Mikel.B : Il s'agit de poèmes qui sont en continuité avec ceux que j'ai écrits dans le premier recueil mais en plus exacerbé. J'y évoque la souffrance au travail, mon amour de la nature, de la danse et de la musique par le biais du langage poétique. En fait, sans me vanter, je considère que ces écrits sont le pendant des illuminations de Rimbaud. Le lecteur averti me donnera sûrement raison.
Wahid.B : Nous sommes impatients de le lire. Retour à « Les Horizons Déçus », où y a-t-il cette déception ?
Mikel.B : Dans la vie, je considère qu'il y a un âge où on doit faire un choix primordial. Il faut choisir entre la résignation ou l'action. Pour le poète, l'horizon est un lieu où la terre rejoint le ciel, où l'éternité se suspend. L'horizon, c'est pour moi le plus grand ami du poète. Il est le lieu où le début et la fin se côtoient. Il est comme un questionnement métaphysique qui demande des réponses à l'homme qui le contemple. Il a une valeur quasi mystique. Mais il est aussi une déception car si on ne trouve pas en soi la réponse à ce grand questionnement qui est celui du sens que l'on veut donner à sa vie, et que la nature pose à chacun d'entre nous un jour ou l'autre, on se perd en soi-même et c'est le vide qui s'ouvre sous nos pieds.
Wahid.B : Et vous avez trouvé des réponses à ce questionnement métaphysique ?
Mikel.B : Oui, en considérant que la vie réelle et quotidienne n'était pas inconciliable avec l'élévation par l'art. Pendant un temps, je me suis trop consacré à la musique et à la poésie ce qui fait que j'ai perdu pied avec la réalité.
Wahid.B : Vous avez divisé votre recueil en deux parties :
1- Symbiose des contraires
2- Aux confins de toutes les misères.
Quelle en est la raison ?
Mikel.B : La première partie, « symbiose des contraires » est uniquement composé de poésies (tant en vers qu'en prose). Cette partie reflète ce qui éloigne de l'homme et ce qui s'en rapproche, à savoir l'art. « Si l'art est le plus sûr moyen de s'écarter des autres, il est aussi le plus sûr moyen de s'unir à eux » disait Franz Lizst.
J'ai voulu dissocier cette partie de la seconde où on trouve en fait des aphorismes.
Wahid.B : Aphorismes dans le sens de sentence/précepte ou maxime/proverbe ?
Mikel.B : Il s'agit d'aphorismes qui sont des cris de désespoir et c'est pour cette raison que je les ai intitulés « aux confins de toutes les misères.» Ce sont mes tous premiers écrits mais j'ai voulu les placer à la toute fin de mon recueil. Je les trouvai complètement inutiles dans un premier temps et j'en avais même honte parce que je m'y révélai sans concessions. Avec le recul, j'ai commencé à les trouver plus accessibles à un lecteur éventuel que mes autres écrits. Je les ai donc gardés et je les ai trouvés, finalement, assez amusants. Comme quoi, le plus désespérant peut, avec le temps, devenir consolateur. Car c'est ainsi que je conçois mes aphorismes, comme des écrits consolateurs et ce malgré certains emportements façon romantisme exacerbé.
Wahid.B : En effet, c'est une belle démonstration de la symbiose des contraires. (Sourire) Cependant il reste à démontrer que Chénier avait tort en disant que : « L'art ne fait que des vers, le cœur seul est poète »
Mikel.B : Je suis d'accord avec cette affirmation car pour moi, une œuvre d'art vient du cœur et elle va aux cœurs. Mais je pense que, héla, dans cette entreprise, l'artiste reste souvent un incompris, surtout en matière de poésie. Peut-être l'artiste doit-il être désintéressé et faire de son art un jardin secret sans trop se soucier d'une éventuelle reconnaissance. Pour de nombreux poètes, comme Saint-Pol-Roux et bien sûr les poètes maudits, l'envie de dire des choses et l'impérieuse nécessité de les écrire l'emportaient à mon avis sur le besoin de reconnaissance. Pour cela, il faut sans doute faire plus confiance à son cœur qu'à l'art au sens noble où je l'entends. Je ne suis ni complètement un défendeur de l'art pour l'art ni complètement un défendeur de l'art engagé. Ma poésie oscille souvent entre ces deux versants. Pour moi, le XIXème siècle parle avec le cœur alors que le XX ème siècle est plus tourné vers le désir de conceptualiser l'art. Mais si il y a encore des cœurs sensibles, et il y en a à mon avis chez mille poètes, c'est tant mieux.
Wahid.B : L'artiste, en publiant ses pensées, ses ouvrages, ne cherche-t-il pas, en quelque sorte, de la reconnaissance ?
Mikel.B : Si, c'est certain. Mais on ne la cherche généralement pas au départ puisqu'on chante, en poésie, ses croyances et ses rêves. Or les croyances et les rêves sont en principe libres et désintéressés.
Wahid.B : En parcourant votre ouvrage on a l'impression que c'est Goya qui a écrit quelques uns de vos poèmes. (Sourire) C'est dû à quoi, ces images violentes et sanguinaires ?
Mikel.B : C'est du romantisme au sens strict, c'est-à-dire une alternance de phases violentes et de phases rationnelles. Cela provient de la dialectique tempête/sérénité, dont la plus évidente illustration est selon moi le premier mouvement de la symphonie pathétique de Tchaïkovsky.
Mais peut-être qu'on peut aussi y voir du Goya, comme vous dites, ou tout forme de peinture expressionniste, notamment Van Gogh.
Wahid.B : Il n'y a pas que du sang mais aussi des moments d'amour, de chant, de danse… Le tout raconté d'une manière poétique particulière.
Considérez-vous votre style d'écriture, disons, un peu particulier ?
Mikel.B : J'espère que ma poésie jouit d'une part de mystère indécelable car c'est pour moi un des aspects essentiels du chant écrit. En effet, ma poésie se veut plus mouvement que parole. C'est pour cette raison que les références à la musique et à la danse sont une constante de ma poétique. Dans la vie, je considère que tout est mouvement et que rien n'est statique. Je crois aux mouvements intérieurs, comme ceux de l'âme qui chante. Je crois aussi à la beauté des mouvements du corps. Pour moi, les illusions les plus belles sont ces trois mouvements que constituent la musique, la danse et la poésie. L'amour est sans doute la matérialisation de toutes ces illusions indispensables à la vie de l'homme.
Wahid.B : La musique est, en effet, omniprésente dans votre ouvrage. Dites-nous Mikel, vous êtes aussi musicien ?
Mikel.B : J'ai étudié la flûte traversière pendant trois ans mais j'ai arrêté récemment. Je préfère l'écouter sur ma chaîne hi-fi. Mon père était sculpteur et c'est sans doute de lui que je tiens mon grand intérêt pour la chose artistique, c'est-à-dire la musique et la poésie entre autres.
Wahid.B : « La poésie va ailleurs ou elle ne va nulle part » selon vous. Pourquoi ?
Mikel.B : Je ne sais pas si j'ai eu raison d'écrire ça. Ma poésie va certainement ailleurs mais ce n'est pas une obligation pour toute la poésie. Mais si la poésie ne va pas ailleurs, elle reste innocente et on n'y ressent pas le « sel » ou le piquant qui fait pour moi la beauté de l'art. La poésie où la douleur ne transparaît pas me paraît être une chose simple, jolie et presque enfantine mais elle ne me transporte pas.
Wahid.B : Mais la douleur et la joie ne sont-elles pas une symbiose des contraires du fait qu'elles peuvent inspirer aussi l'une que l'autre ?
Mikel.B : Si, tout à fait. Je ne peux que reprendre les termes de Beethoven qui a dit : « de la souffrance naît la joie. » Mais on pourrait aussi dire que la souffrance peut-être un mal nécessaire si, en allant à elle, on la transforme en lui donnant une signification musicale ou poétique.
Wahid.B : À vingt-sept ans, le monde s'est dérobé à vos pieds et vous allez connaître l'univers de la musique et puis celui de la poésie.
La souffrance est-elle le portail de ces deux univers ?
Mikel.B : Oui, la souffrance est un des thèmes principaux de mes écrits. Mais l'espérance est aussi présente, de même que la joie. Pendant longtemps, je me suis cru plus malheureux que les autres et ma poésie trahit cette faille. Je m'imaginais que je dormais dans la rue, que tout le monde me haïssait. Je comprends aujourd'hui que ces idées ne sont pas tout à fait vraies mais elles ne sont pas complètement fausses non plus. En effet, on ne sait jamais de quoi l'avenir sera fait et on peut très bien se retrouver demain dans la rue…
Wahid.B : En fait, le mal du siècle, le mal de René, héros autobiographique de Chateaubriand, non ?
Mikel.B : Oui. Nous vivons à une époque où la machine et la virtualité l'emportent sur le besoin de donner une signification à la nature. On se coupe de nos racines, on s'enferme dans le confort et on ne considère plus cette nature que comme un objet dont on se sert. Or, pour un romantique, la nature parle et elle n'est pas seulement un enjeu politique ou écologique. L'ère industrielle a sûrement anéanti cette proximité de l'homme avec la nature. « O nature, toi qui fît ces hommes saintement » disait Rimbaud en évoquant les massacres dont furent victimes les partisans de la Commune.
Wahid.B : L'ouvrage mène dans un univers poétique où se mêlent les croyances, les mythes et les visions poétiques. L'orient est aussi présent avec ses fanatiques et ses femmes qui font la danse du ventre.
Cela nous sort, un peu, de cette poésie trop personnelle.
N'était-ce pas là votre objectif ?
Mikel.B : Tout ce que je peux dire, c'est qu'après mes deux premiers recueils de poésie, je reviendrai de toute manière à une poésie beaucoup plus réaliste car je suis à peu près sûr d'avoir épuisé mes réserves dans le domaine du symbolisme poétique. En tous les cas, il s'agira d'une poésie plus tranquille et plus modeste dans ses proportions et dans ses ambitions. Je pense qu'une page se tourne dans ma vie et ma poésie tournera avec elle. Par contre, j'aurai toujours un attachement intime avec le romantisme musical et poétique que j'adore. Là encore, comme disait le pianiste canadien Glenn Gould : « je suis un romantique incurable. »
Wahid.B : Elle est si importante que ça, la poésie dans votre vie ?
Mikel.B : Je ne pourrai jamais m'en passer mais en tant que créateur, elle me donne parfois des difficultés car j'ai la sensation d'arriver à la fin d'une étape en ce moment même. Je me remets en question. De plus, je cherche aussi du travail.
Wahid.B : La préparation de ce premier ouvrage vous a pris combien de temps ?
Mikel.B : Tous mes écrits, y compris les prochains à paraître et dont je parle plus haut ont été écrits de ma 27ème à ma 30ème année. Ils ont été maniés et remaniés avec soin et lenteur, tapés et retapés, lus et relus. C'est pourquoi je trouve que mon travail est assez abouti.
Wahid.B : Vous aviez cherché à le publier chez un éditeur traditionnel avant de connaître l'édition Mille Poètes ?
Mikel.B : J'ai fait appel à la société des écrivains, mais c'était trop cher pour moi. J'ai envoyé des manuscrits au Cherche-Midi et à la maison Thélès. Après, j'ai trouvé Mille Poètes. J'attends toujours des réponses pour le Cherche-Midi et Thélès.
Wahid.B : Nous vous souhaitons beaucoup de réussite Mikelet merci pour votre temps et vos réponses.
Mikel.B : Je vous en prie.
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Les Horizons Déçus
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