Conversation avec Laurie Mylroie, docteure de Harvard, ancienne conseillère de Bill Clinton et cerveau derrière la guerre en Irak.
Laurie Mylroie est docteure en sciences politiques de Harvard, ancienne professeur à Harvard et au US Naval War College. Spécialiste du Moyen Orient, arabophone, elle a été conseillère de Bill Clinton sur l'Irak durant la campagne présidentielle de 1992. Experte auprès du Pentagone dans les années qui ont suivi le 11 septembre, elle a été qualifiée de "cerveau derrière la guerre en Irak" par le Washington Post.
Ses articles ont paru dans tous les grands journaux américains et elle écrit une chronique mensuelle pour le magazine American Spectator sur le Moyen Orient et la Guerre contre le Terrorisme. Auteure de plusieurs livres qui ont provoqué de vifs débats à Washington, elle est aujourd'hui adjunct fellow à l'American Enterprise Institute.
Note : Cet article est fondé sur une riche correspondance échangée avec Laurie Mylroie entre le 8 janvier et le 5 mars dernier (et qui se poursuit). ( http://leblogdrzz.over-blog.com )
Laurie Mylroie est docteure en sciences politiques de Harvard, ancienne professeur à Harvard et au US Naval War College. Spécialiste du Moyen Orient, arabophone, elle a été conseillère de Bill Clinton sur l'Irak durant la campagne présidentielle de 1992. Experte auprès du Pentagone dans les années qui ont suivi le 11 septembre, elle a été qualifiée de "cerveau derrière la guerre en Irak" par le Washington Post.
Ses articles ont paru dans tous les grands journaux américains et elle écrit une chronique mensuelle pour le magazine American Spectator sur le Moyen Orient et la Guerre contre le Terrorisme. Auteure de plusieurs livres qui ont provoqué de vifs débats à Washington, elle est aujourd'hui adjunct fellow à l'American Enterprise Institute.
Sa critique des élites
Nous avons de gros problèmes avec nos élites, ici aux Etats-Unis. Elles ont l'habitude de voir le gouvernement comme une vache à traire. Il n'existe pas de réelle responsabilité et de sens du devoir. C'est, au contraire : prend, prend, prend. La seule exception à cette règle est l'armée américaine.
Cette tendance est expliquée dans mon livre Bush vs the Beltway, avec le commentaire d'un collègue (en fait, mon directeur de recherche au Washington for Near East Policy Institute) quand je lui expliquais, en 1998, que laisser Saddam Hussein au pouvoir selon les souhaits l'administration Clinton représentait un grave danger. Il m'a répondu : "nous vivons dans des temps cyniques, tout le monde se soucie en priorité de sa carrière". Ce trait de caractère est dominant parmi l'élite américaine, y compris chez les professionnels de la sécurité.
Je le répète, l'armée fait exception, elle qui apprend rapidement. Mais le laxisme est maître chez certains intellectuels, les réalistes et les néoconservateurs, y compris les spécialistes du Moyen Orient. Ils auraient pu étudier les questions de sécurité en détail mais ont choisi apparemment de ne pas le faire. Prenez Michael Rubin. En juin 2001, je l'ai rencontré et nous avons discuté de mon livre Study of Revenge sur l'implication de Saddam Hussein dans le terrorisme international. Mais au final, il ne voulait pas savoir. Alors que je terminais mon exposé, il m'a simplement répondu "vous êtes vraiment en avance sur votre temps sur le sujet" sans poursuivre les recherches plus avant.
L'organisation des cellules terroristes
Au-delà de la question de la guerre en Irak – qui demeure un débat capital, bien sûr -, il y a la nature même du terrorisme islamiste et l'autonomie de ses combattants, des questions que certains néoconservateurs ignorent parcequ'elles exigent plus de connaissances qu'ils n'en ont.
Deux vision existent. Soit nous considérons le terrorisme comme une entité propre, à l'image de l'ancien empire soviétique ; des Etats satellites et des partis communistes affiliés et disséminés à travers le monde. Appellez cela le modèle de "l'oeuf dur". Cette entité serait refermée sur elle-même et difficile à pénétrer pour des forces étrangères. Soit nous voyons les cellules terroristes comme des franchises, comme des spaghettis disséminés dans une pièce. Elles ne sont pas sous contrôle unique mais existent en tant que cellules clandestines répandues sur la planète.
Lequel de ces deux modèles est le plus correct ? Aujourd'hui, nous utilisons les deux, sans réaliser qu'ils sont contradictoires. Pour un Etat étranger, il est bien plus simple d'utiliser des groupes terroristes s'ils s'articulent comme des "spaghettis". Je pense que ce modèle est le plus correct. Les cellules islamistes sont pénétrées par des services de renseignement d'Etat, lesquels les utilisent pour frapper des objectifs décidés, non pas par un Ben Laden ou un Nasrallah, mais par un gouvernement. Il n'est pas nécessaire de partager les mêmes idées. Après tout, les Américains se sont servis des jihadistes afghans ! Tout le monde peut les utiliser.
Je ne revendique pas de spécialisation pour les pays comme la Russie ou la Chine. Mais récemment, j'ai eu une discussion avec un ancien membre du Congrès républicain qui conserve de nombreux contacts au sein du Pentagone. Je lui ai dit que si les choses tournaient mal entre les Etats-Unis et la Chine, ou la Russie, ces pays auraient tout avantage à se servir des jihadistes à des fins militaires, puisque nous, Américains, avions une vision si fausse du terrorisme moderne. Bien sûr, la Russie n'agirait pas directement, mais pourrait utiliser un Etat comme l'Iran ou la Syrie comme poupée gigogne.
Sa réponse m'a surprise. Il a acquiescé et ajouté que les Russes vouaient une haine farouche aux Etats-Unis et souhaitaient se venger de la chute du communisme et du démembrement de la puissance soviétique. Est-ce que le gouvernement américain se prépare à une telle éventualité ? J'en doute, vu son apathie face à l'Irak.
L'histoire secrète de la guerre en Irak
Avez-vous lu le Washington Post de dimanche dernier [2 mars] ? Il est écrit que je suis "le cerveau derrière la guerre en Irak". Ce n'est pas faux. Lorsque le 11 septembre a eu lieu, les politiciens américains connaissaient mes travaux sur la nature du régime de Saddam Hussein. Même Richard Clarke avait dû rendre des memos sur le contenu du livre. Il le jugeait sans valeur, pensez donc, mais il avait dû le lire quand même.
Lorsque j'ai été appelée à témoigner devant la Commission du 11 septembre, l'un de ses membres les plus éminents, le professeur Zelikow, un proche de Condoleezza Rice, partageait mes vues sur l'implication irakienne dans le 11 septembre. Mais la Commission a préféré réécrire l'histoire.
Comprendre l'origine des kamikazes n'est pas l'essentiel, contrairement à ce que l'on a pu vous dire. Ils ne prenaient pas les décisions. Les véritables cerveaux des attaques étaient Khalid Cheikh Mohammed et Ammar al-Baluchi.
L'histoire de la guerre en Irak n'a jamais été aussi lisse que les médias le prétendent. Après le 11 septembre, l'Irak espérait que les Etats-Unis blâme Al-Qaeda et Al-Qaeda seulement. Lorsque les Etats-Unis ont attaqué l'Afghanistan, ce qui était anticipé, les Irakiens ont compris que toute autre attaque serait mise sur le compte d'Al-Qaeda. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les attaque d'anthrax d'octobre.
Saddam a failli réussir. L'un des éléments qui ont enrayé la machine était mon travail avec Study of Revenge. Il s'agissait de la seule étude sur le renseignement irakien de l'après Guerre du Golfe ayant animé le débat national entre 1993 et 2001, d'abord en conférences puis dans un ouvrage. C'est pour cette raison qu'il y a eu tant de suspicion envers l'Irak après les attentats. Lorsque Bush a décidé d'abord d'attaquer l'Afghanistan, la Maison-Blanche a fait taire les rumeurs, mais celles-ci sont réapparues avec les attaques au moyen d'un produit extraordinairement léthal, l'anthrax.
Les attaques d'anthrax sont la clé pour comprendre la guerre en Irak, et c'est la raison pour laquelle elles n'ont jamais été élucidées, malgré la mort de cinq citoyens américains. Sans le débat qu'avait suscité Study of Revenge, les Etats-Unis n'auraient pas réagi aux lettres empoisonnées. Mais il y avait tant d'indices montrant une implication irakienne que les services de sécurité américains ont préféré couvrir l'affaire d'une chape de plomb. Officiellement, le renseignement américain ne connaît toujours pas le responsable de cette attaque biologique sur le territoire national… Cela ne semble choquer personne…
Ainsi, l'idée d'une invasion de l'Irak n'est venue que tardivement. S'il n'y avait pas eu les lettres d'anthrax, sans doute le gouvernement américain aurait-il continué à blâmer un seul "groupe terroriste" et laisser un Etat mortellement dangereux préparer la prochaine tragédie.