« …Laisser 2 milliards d’êtres humains dans l’extrême pauvreté est non seulement une faute morale mais aussi politique… que les Etats africains investissent sans attendre dans l’amélioration de la nutrition des enfants ».
Au terme de sa visite de travail au Cameroun marquée par les rencontres avec les autorités de Yaoundé et des descentes sur le terrain, le Conseiller Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en charge des financements innovants, invité par l’Unicef, s’est confié à Come4news.com et à Yenoo Belgique.
Dans cette interview, en présentant l’Unitaid qui semble encore mal connu par le grand public, le Président du Conseil d’Administration d’UNITAID s’est voulu plus explicite sur les raisons de cette visite, le bilan de l’action de l’Unitaid au Cameroun. L’ancien ministre français de la culture, de la Santé et des Affaires étrangères qui s’est dit être « choqué » par les ravages de la malnutrition en Afrique, appelle vivement les Etats africains « investir sans attendre dans l’amélioration de la nutrition des enfants ».
Sensible à l’ampleur de ce mal en Guinée-Equatoriale, ce cardiologue devenu est député et maire de Lourdes puis de Toulouse, voit la nécessité de rencontrer « les responsables politiques de cet État et les sensibiliser…»
{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}{mosimage}Docteur, tout d’abord nos vives félicitations à la suite de votre nomination comme Conseiller Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies. Vous venez d’achever votre deuxième visite en terre camerounaise après la première en Août 2011. A quoi consistait cette visite ?
www.unitaid.eu/fr/ est une Organisation de santé publique à vocation mondiale jouant un rôle précurseur : celui de créer de nouvelles sources de financements pour lutter contre les conséquences de l’extrême pauvreté dans le domaine de la santé. Son objectif est de sauver des vies ; il finance des programmes permettant de lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Le financement est basé sur un simple euro prélevé sur chaque billet d’avions.
UNITAID relève les insuffisances du marché des médicaments, prépare, sélectionne et ouvre de nouveaux marchés dont la mise en œuvre est confiée à des partenaires opérationnels comme l’Unicef, la Clinton Foundation (CHAI), Esther, France Expertise
Internationale ou d’autres…
Prenez l’exemple des enfants atteints de sida : avant UNITAID, il n’y avait pas de médicaments pédiatriques car les enfants qui naissent dans les pays riches ne sont pas infectés par le VIH en raison des traitements que l’on donne aux mamans (trithérapies). Les compagnies pharmaceutiques n’avaient donc pas développé de tels médicaments car il n’y avait pas de "marché". Mais c’était oublier que plus de 1000 enfants par jour naissent dans les pays pauvres avec le sida! Nous avons donc développé, avec l’argent de cette micro taxe sur les billets d’avion des médicaments spécifiques pour ces enfants.
Et aujourd’hui, nous sommes fiers de dire qu’UNITAID finance les traitements de huit enfants sur dix actuellement soignés contre le sida !
C’est dans ce cadre que l’Unicef du Cameroun m’a invité pour que je plaide en faveur de la malnutrition chronique au plus haut sommet de l’Etat Camerounais. Nous pourrions, en effet, lutter contre la malnutrition comme nous le faisons contre ces trois épidémies.
Dans le même temps, j’ai souhaité faire le point sur les résultats de nos interventions mises en place par l’Unicef et la Fondation Clinton en mesurant les effets auprès des mères et enfants atteints du VIH/sida.
Et surtout… me rendre compte de toutes les actions qu’il reste à mener…
Il se trouve que malnutrition et maladies infectieuses sont liées car il ne sert à rien par exemple de soigner un enfant atteint de sida s’il reste malnutri !
Quel bilan dressez-vous de votre visite ?
Le bilan est positif même si, une fois de plus, tant reste à faire…
Cette visite s’est imposée d’elle-même. J’ai pu noter l’importance de notre travail qui a permis de baisser le prix des traitements anti rétroviraux (ARV) pédiatriques de 80% et des ARV de 2e ligne pour adultes de 60%!
Ainsi, à budget égal, on peut traiter plus de malades vivant avec le VIH/sida.
Par ailleurs, j’ai pu sensibiliser le Ministre de la Santé sur la nécessité de trouver de nouveaux modes de financements afin de pouvoir pérenniser nos interventions, éviter les ruptures de stocks et soutenir l’Unicef dans un nouveau combat : celui de la malnutrition chronique, véritable maladie insidieuse qui touche près de 33% des enfants au Cameroun !
Quelle évaluation faites-vous des projets financés par UNITAID et mis en œuvre par les différents partenaires opérant au Cameroun pour lutter contre le VIH-SIDA, la Tuberculose et le Paludisme?
Depuis 2007, dans le cadre du programme sur la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant (PTME), on a pu :
- tester 285 000 femmes enceintes et près de 50 000 nouveau-nés ;
- mettre 5 000 enfants sous traitements antirétroviral (ARV) et 9 000 adultes sous ARV de 2ème ligne ;
- délivrer des traitements antituberculeux pour 50 000 adultes et 27 000 enfants ;
- diagnostiquer quelques centaines de cas de tuberculose multi résistante, maladie mortelle à 100%…
Un grand chemin a été parcouru, mais il faut rester vigilant et ne pas baisser les bras.
N’oublions pas, par exemple, que sur 100 malades atteints de sida dans le monde, seulement 40 sont traités !
Après VIH-SIDA, la Tuberculose et le Paludisme, UNITAID s’engage aussi dans la lutte contre la malnutrition chronique dans le monde et notamment dans les pays africains. Pourquoi cet engagement ?
Je n’ai pas encore proposé au Conseil d’administration d’UNITAID l’extension de notre mission à la lutte contre la malnutrition chronique.
Mais, si nous trouvons de nouveaux financements innovants, je le ferai. Pourquoi?
Parce que plus de 30% des enfants africains de moins de 5 ans sont atteints de malnutrition chronique! De plus, ce fléau ne se voit pas, avance masqué et laisse des séquelles irréversibles. La malnutrition chronique est responsable de 45% de la mortalité infantile avant 5 ans!
Comme je vous le précisais au début de cette interview, le traitement des enfants doit être pensé dans sa globalité. Il faut avoir une approche multi sectorielle du traitement de ces enfants. Encore une fois, soigner des êtres humains, si on les laisse malnutris, cela ne sert à rien.
Selon l’Unicef, la malnutrition chronique fait perdre chaque année 727 millions de dollars pour le Cameroun, soit près de 3 % de son PIB. Quand on sait, de plus, que l’on aura un retour sur investissement de 30 dollars pour chaque dollar investi, on ne peut que souscrire à l’idée d’améliorer la nutrition des enfants !
Que proposez-vous concrètement aux Etats et gouvernements africains notamment au Cameroun ?
Je souhaite aider les pays africains à mettre en place des financements innovants. En dehors de la taxe d’aéroport de 10000 francs CFA par voyageur comme au Cameroun, on pourrait imaginer une contribution de solidarité sur les ressources extractives, les téléphones mobiles, internet…, car un microscopique prélèvement peut générer des fonds importants et sauver des vies. Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières…
Ensuite, je souhaite que les Etats africains en général et le Cameroun en particulier, puissent investir sans attendre dans l’amélioration de la nutrition des enfants.
Tout se joue avant les 1000 premiers jours de la vie de l’enfant. Après c’est trop tard.
Par ailleurs, à travers nos partenaires, nous allons aider le Cameroun à s’équiper de machines pour tester la mesure de la charge virale. C’est essentiel dans le suivi des personnes vivant avec le VIH car indispensable pour signaler le moment où surviennent des résistances aux médicaments nécessitant d’en changer.
Il s’agit là du projet OPP-ERA mis en œuvre par France Expertise Internationale, dépendant du Ministère des Affaires Étrangères Françaises.
ESTHER, autre partenaire opérationnel, travaille sur la décentralisation de la prise en charge et appuie le Cameroun dans ses efforts pour améliorer la disponibilité, l’approvisionnement et l’usage des ARV dans le cadre du projet ESTHERAID.
Quelques heures après votre entretien le 7 novembre avec le Président Paul Biya et à la suite des séances de travail avec le Ministre camerounais de la Santé Publique André Mama Fouda, peut-on dire que vous êtes satisfait à l’issue de ces rencontres avec les autorités Camerounaises ?
Oui, je suis satisfait de l’entretien que j’ai eu avec le Président Biya car j’ai pu le sensibiliser à l’importance de la malnutrition chronique dans son pays et lui proposer des moyens innovants de lutte contre ce terrible fléau.
Je l’ai trouvé particulièrement attentif à nos propositions comme il l’avait d’ailleurs été en 2007 en étant un des tous premiers Chefs d’Etat à rentrer dans UNITAID, instaurant dans son pays la micro taxe de solidarité sur les billets d’avion.
Et quel écho avez-vous de la gestion des fonds apportés au Cameroun grâce à la taxe prélevée sur les billets d’avion en 2012 et 2013?
Depuis 2007, UNITAID a engagé près de 20 millions de dollars qui ont été investis dans des projets mis en œuvre par des partenaires opérationnels tels que l’UNICEF, la Clinton Health
Access Initiative (CHAI), Esther, France Expertise Internationale, DNDi. Je vous en ai donné les résultats, plutôt satisfaisants.
Le Cameroun est-il à jour de ses cotisations auprès d’UNITAID ?
La taxe sur les billets d’avion prélevée au Cameroun est parfaitement récoltée par l’administration camerounaise et vient s’ajouter aux sommes récoltées par les différents pays.
Depuis 2007, grâce à son engagement dans la Santé publique internationale, le Cameroun a versé à UNITAID près de 1,5 million de dollars, participant ainsi aux résultats obtenus dans la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme dans le monde. C’est un bel exemple de solidarité Sud-Sud.
14 pays seulement sur plus d’une centaine au monde ont adhéré à UNITAID. Qu’est-ce qui justifie la réticence selon vous des autres Etats ou gouvernements ?
C’est un combat permanent. C’est le combat de ma vie. Comment faire comprendre à la Communauté Internationale que laisser 2 milliards d’êtres humains dans l’extrême pauvreté est non seulement une faute morale mais aussi politique ? Comment nier que la pauvreté fait le lit de tous les extrémismes ? Pourquoi se cacher la vérité ? Un enfant meurt toutes les trois secondes d’une maladie évitable ou curable !
Notre égoïsme vis à vis de ces sujets sera la cause de violence et de guerre d’ici la fin de ce siècle. D’autant plus que, d’ici quelques années, ces populations pourront consulter internet sur leurs smart phones et pourront comparer leur mode de vie au nôtre.
La seule solution est de convaincre les Chefs d’Etat et de Gouvernement du Nord comme du Sud d’inventer la mondialisation de la solidarité après avoir créé les mondialisations de l’économie et de la communication.
Ceci dit, il n’existe pas de réticence à adhérer à UNITAID. Cependant, instaurer une taxe dans un pays, toute solidaire soit elle, requiert quelques temps de préparation dans l’élaboration du processus et plusieurs pays sont en cours d’examination de l’introduction de cette taxe de solidarité.
Parlant de l’ampleur de la malnutrition chronique dans certains pays d’Afrique, il ressort, selon les statistiques de l’Unicef, que la Guinée – Equatoriale est le plus frappée par cette gangrène (Cf. Graphique sur la position du pays – Cameroun- par rapport à la malnutrition chronique). Qu’est ce qui peut justifier selon vous cet état des choses étant donné que c’est un pays riche à faible démographie (moins de 02 millions d’habitants)?
Nous devons travailler avec les responsables politiques de cet État et les sensibiliser à ce paradoxe : d’un côté, des ressources pétrolières considérables et de l’autre, ce chiffre concernant la malnutrition chronique…
Voilà un exemple de pays où une contribution de solidarité sur les ressources extractives aurait du sens.
A votre avis, le secteur privé peut-il sauver l’Afrique de la malnutrition ?
Ce qu’il faut créer, c’est un vrai partenariat public privé.
Mais soyons clair : si je ne crois pas à l’assistanat économique, je suis persuadé de la nécessité de fournir gratuitement les Biens Publics Mondiaux : nourriture, eau potable, santé, éducation, assainissement et planning familial.
C’est ce que j’appelle le "cercle vertueux". Donner les Biens Publics Mondiaux aux enfants, c’est permettre d’avoir des citoyens en bonne santé, instruits et formés. Ensuite, à eux de s’organiser et de rentrer librement dans le capitalisme social et dans la démocratie c’est-à dire en toute connaissance de cause. Mais nous devons leur assurer, au départ, les Droits essentiels. Le cas de la malnutrition est intéressant. Voici un exemple où nous pouvons créer un partenariat public privé. Il suffit d’assurer à une compagnie africaine capable de produire des aliments nutritifs dont la qualité serait reconnue par l’UNICEF une quantité de commandes lui permettant de faire du profit. Après appel d’offres bien évidemment.
Avez-vous un message particulier à l’endroit des décideurs Africains ?
Oui : les financements innovants alloués au développement représentent une des composantes majeures de la sécurité et de la Paix dans le monde pour le 21ème siècle. Nous devons travailler avec les dirigeants africains. Je suis persuadé de leur bonne volonté.
Nous pouvons vivre un moment historique : celui où l’Afrique va décider elle-même de son avenir. La croissance et la jeunesse du monde sont là, sur ce continent. A eux de jouer !
Pour terminer, puis-je formuler un vœu, ou plutôt faire un rêve?
Bien sûr! Lequel ?
Vivre le plus vite possible le jour où quatre ou cinq Chefs d’Etat africains annonceront ensemble qu’ils mettent en place un système commun de contributions de solidarité sur leurs ressources extractives. Cela sera de nature à changer le monde.
Mon deuxième vœu est qu’ils choisissent UNITAID comme Organisation Multilatérale pour recevoir ces fonds afin que nous lancions le premier plan mondial de lutte contre la malnutrition chronique…
Interview réalisée par Marcien ESSIMI
Il faut que les Africains se prennent en charge !