L’Italie est en proie à une crise politique féroce. Elle s’est engouffrée dans un tunnel où la sortie semble s’éloigner à chaque pas, le plafond commence à s’écrouler et à force, elle risque de se retrouver aculée sans aucune échappatoire. Aux termes des dernières élections générales des 24 et 25 février, les italiens n’ont pas réussi à départager les différents candidats. Sans gagnant clairement désigné le pays se retrouve sans  chef et divisé, si la Chambre des Députés penche à gauche, pour le Sénat la situation n’est pas aussi nette. C’est l’impasse et aucun gouvernement ne peut être nommé. Dans un monde où la finance est de plus en plus liée à la politique, les conséquences sur la bourse de Milan se sont fait sentir. L’indice a chuté de presque 5% à la fermeture. Une dégringolade vertigineuse comme la confiance du peuple vis à vis de la classe politique. 


Car la cause de ce désastre électoral c’est bien la perte de fiabilité envers les personnes qui sont au pouvoir et ce n’est pas pour rien que le taux de participation a diminué de 8%. Il est nécessaire de traduire cela comme un cri de désapprobation, pas seulement lié à l’Italie mais à l’Europe entière. Un continent devenu le laboratoire privé des banques accrocs des paris et des jeux, en temps normal cela se diagnostique comme une maladie et se soigne, mais dans ce contexte rien n’est fait et la danse continue. On a bien vu le retour de la momie Berlusconi, désirant interpréter le rôle de l’homme providentiel, mais dont les rangs  se sont clairsemés de 6 millions de voix, idem pour le Parti Démocrate avec un effectif revu à la baisse, 3.5 millions de personnes en moins et une ablation de 50% pour la Ligue du Nord, un coup de tonnerre pour Mario Monti dont la politique d’austérité était supportée par ces acteurs traditionnels du paysage politique. 


Le véritable vainqueur de ce scrutin est un homme dont on n’attendait rien, un trublion, un novice de l’art machiavélique du pouvoir, Beppe Grillo et son Mouvement 5 Etoiles, qui a réussi à rassembler plus de 8 millions de votes pour obtenir respectivement 25.6% à la Chambre Basse et 23.5% dans la Haute. 


Qui est Beppe Grillo, dont le nom fait penser à un insecte ? Né en juillet 1948 à Gênes, il se forme à la comptabilité et la joie des chiffres. Une extase qui le pousse à tenter sa chance, un peu hasardeusement, dans la comédie. Arpentant les plateaux de télévision, il se taille une réputation, entre 1977 et 1979, il officie régulièrement dans Secundo voi. Les années 1980 commencent très mal, dans un accident de voiture qu’il a causé involontairement, il perd 3 de ses amis et sa liberté pendant 1 an et demi. Une fois sa peine purgée, il réapparaît devant les caméras avec un ton satirique et un discours acerbe à l’encontre des politicards. Dans les années 1990, il s’éclipse mais continue d’affûter sa plume pour esquisser des diatribes sur des thèmes qui lui sont chers. Sa plus belle pièce est à l’époque, un récital où il met en avant les manigances des grandes entreprises avec la classe dirigeante. Il continue sa carrière en collaborant dans des magazines, au cinéma, en rédigeant des livres ou en se produisant seul sur scène. 


Beppe Grillon est un homme influent dont le blog est considéré comme l’un des plus consulté d’Italie. Grâce à cette position de force il crée le Mouvement 5 Etoiles, le 04 octobre 2009. Les 5 étoiles dont il est question sont : l’eau publique, les transports "durables", le développement, la connectivité et l’environnement. Le "v" dans le logo, la grande lettre rouge se démarquant des autres, signifie le "v" de la victoire mais également celui de "vaffanculo", un terme que tout le monde aura compris, sinon un dictionnaire italien-français peut se trouver dans toutes les bonnes papeteries. Très vite le succès s’est construit autour de ce courant se voulant comme "une association libre de citoyens", des "non affiliés" adeptes de la e-démocratie. C’est bien là le credo du Mouvement 5 Etoiles, faire participer le plus grand nombre par le biais des réseaux sociaux.


Quels sont les idées prônées par Beppe Grillo et ses grillinis ? L’antipolitisme et la critique des gouvernants sont le socle du mouvement, Beppe jouit des scandales éclaboussant ses rivaux. Berlusconi et ses affaires sexuelles ou encore Monti et ses magouilles avec la haute finance, Morte del Peschi, Finmeccanca, et avec des grands groupes d’hydrocarbure. Plus que le rejet de la classe politique, c’est l’Europe et la monnaie unique qui sont en ligne de mire. Ses solutions : la sortie de la zone Euro et le refus pur et simple de ne pas payer une dette dont les citoyens ne sont pas responsables.


Pour resserrer les liens avec les déçus, Grillo planche sur une loi anticorruption qui aurait pour effet de condamner d’inéligibilité à vie un politicien, s’il a déjà été condamné auparavant. Il souhaiterait fixer le seuil maximum a deux mandats, ni plus, ni moins. L’Etat n’exercerait plus de monopole, idem dans le milieu audiovisuel, et la part des petits actionnaires serait accrue. On en rajoute une couche avec l’arrêt des subventions publiques destinées aux partis. La mise en place d’un politomètre afin de jeter un oeil sur la longue durée, sur l’enrichissement ou non des dirigeants.


Économiquement parlant, le Mouvement 5 Etoiles est assez libéral, il souhaite que l’Etat réduise son train de vie, stop aux dépenses inutiles surtout dans un contexte aussi sévère où tout le monde est impliqué. Fin des stock-options, des parachutes dorés, plafonnage des salaires des grands patrons, une façon de ingénieuse pour financer le "revenu de citoyenneté". Une mesure phare aux contours assez vagues et qui pourrait aux premiers abords sembler exclusive. Concernant la santé, elle doit être gratuite, du moins, pour les petits soins, pour les plus importants, être payée en fonction du salaire, et pour les médecins, bien faire la distinction entre carrière privée et carrière sociale.


L’écologie prend une grande place dans leur argumentaire, elle doit permettre la création d’emplois verts, le développement d’une économie propre, une lutte contre le gaspillage et l’urbanisation effrénée. Les usines doivent se tenir très loin des centres villes, les incinérateurs doivent être prohibés, et la construction d’infrastructures pour accueillir les vélos encouragée. Pédaler pour aller travailler, il n’y a rien de mieux, on se faufile entre les voitures et évitons les embouteillages. Les pollueurs risquent d’être pendus haut et court en cas d’encrassements intempestifs de notre environnement tellement Grillo est virulent sur ce dossier.


Voilà en quelques lignes ce que l’on pouvait dire de ce jeune courant surfant sur la vague de mécontentement inspirée par les Indignés. Beppe Grillo a-t-il réussi où notre Coluche national a échoué? Seul le futur nous le dira mais pour certains, il reste un clown s’imposant dans un monde qu’il ne connait pas, un provocateur sans maîtrise des arcanes de la politique.