Je viens de finir de lire ce livre paru en mars dernier et que viennent de m’offrir – pas par hasard – des amis.
En effet, non seulement je lis "Le Monde" depuis 46 ans maintenant mais j’ai eu aussi l’occasion de rencontrer quelques uns de ses journalistes – Jacques de Barrin (†), Michel Noblecourt, Alain Faujas (qui sont cités dans ce livre) – et même, au fil du temps, d’être sollicité par le quotidien pour y rédiger "tribune libre" et autres "point de vue", à trois reprises ( publiés en 1976, 1978 et 1979).
C’est dire si cet ouvrage ne pouvait que m’intéresser.
D’autant qu’ Eric Fottorino a été un acteur majeur lors des crises qui ont secoué le "Quotidien du soir"
J’ai été passionné par la première partie. Pas étonnant, l’auteur y raconte sa passion pour le journalisme. Son accession à cette profession, d’abord comme pigiste à Libération et à La Tribune de l’économie, avant de réaliser son rêve: entrer au Monde, ce qui est chose faite en 1986.
S’en suivent des évocations captivantes de ses reportages et voyages dans de nombreux Pays.
Ensuite, on entre dans les coulisses du journal "Le Monde" et la chronique est palpitante. Le stress de la page blanche, le stress de la pendule qui tourne trop vite, le stress du bouclage sont parfaitement bien rendus.
Et puis en 2006 et en 2007, Eric Fottorino est Directeur de la Rédaction. On comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une sinécure….
Vient la dernière partie. Celle qui relate la période ( (février 2008 – décembre 2010) où Eric Fottorino est devenu Directeur de la Publication. Celle où, comme il le dit lui-même, il n’en revient pas de voir son nom inscrit en haut à droite de la première page, à coté de celui du Fondateur du journal, Hubert Beuve-Méry.
Et là, on est encore moins dans la sinécure. On plonge au cœur de l’enfer que l’auteur a vécu.
A ce stade, c’est presque un roman policier, tant l’intrigue est haletante. On se demande aussi si Eric Fottorino va régler ses comptes.
Il n’en est rien.
Sa conclusion est tout à fait exacte: "Au cours de ce Tour du ‘Monde’, j’ai tenté d’exprimer une vérité, ma vérité".
On va vivre quasiment au jour le jour les luttes intestines, les grenouillages, les conspirations, tant internes qu’extérieurs.
C’est ainsi qu’on va également se retrouver quelques temps en arrière, dans l’arêne politique ou plus exactement au plus haut sommet de l’Etat, en compagnie de M. Sarkozy et de son Conseiller Raymond Soubie (que j’ai rencontré du temps où il officiait à Matignon aux cotés de Raymond Barre…).
Les pièges et chausse-trapes tendus par l’ancien Président sont décrites par le menu. Il est parfaitement clair que le Directeur déteste le Président et vice versa.
Au sein de l’équipe du Monde, Eric Fottorino n’attaque personne. Parfois on se dit même qu’il est trop gentil.
Il a la dent dure, cependant, à propos d‘ Edwy Plenel, l’un de ses prédécesseurs à la tête de la Rédaction.
On comprend qu’il en veut beaucoup à Jean-Michel Dumay, Président de la Société de Rédacteurs du Monde (SRM) qui après l’avoir fait élire à la Direction de la Rédaction, va lui mettre les bâtons dans les roues lorsqu’il sera devenu Directeur du journal.
L’auteur va être beaucoup plus ambigu à propos de Jean-Marie Colombani (qui fut Directeur du journal de 1994 à 2007). Tantôt il accumule les reproches, tantôt il lui tresse des lauriers…
En revanche, on sentirait presque de la tendresse pour Louis Schweitzer (Président du Conseil de surveillance de 2008 à 2011) et pour Claude Perdriel (membre de ce même Conseil).
Mais dès qu’il s’agit d’Alain Minc, Président du Conseil de surveillance du Monde de 1994 à 2007, on sent la haine, qu’il suscite chez l’auteur, transpirer à chaque ligne. On ne peut pas lui donner tort, surtout à la lecture des guets-apens, assortis d’une hypocrisie phénoménale, que lui fabrique constamment le personnage, y compris après son éviction du Monde, lorsqu’il est devenu "visiteur du soir" de M. Sarkozy.
Enfin, Eric Fottorino va longuement expliquer son action lorsqu’il a fallu se résoudre à recapitaliser le Groupe de presse. C’est fort instructif sur le marigot politico- financier-industriel ! Mais on a cependant le sentiment que l’auteur se livre alors à un plaidoyer pro-domo. Mais bon, après tout, c’est "sa vérité".
Et je dois dire que pour la fin du livre, je suis resté sur ma faim.
L’auteur bâcle en quelques lignes la gouvernance du Groupe par MM. Bergé, Niel et Pigasse ( trio surnommé "BNP"….) et sa révocation pure et simple par ceux-ci le 15 décembre 2010.
Dommage ! Mais quelle tranche d’Histoire de la Presse.
Eric Fottorino est également écrivain:
1988 : Le Festin de la terre – 1989: La France en friche – 1991 : Rochelle – 1992 : Besoin d’Afrique – 1993 : L’Homme de terre – 1994 : Les Éphémères – 1996 : Aventures industrielles – 1998 : Cœur d’Afrique (Prix Amerigo Vespucci) 1999 : Nordeste – 2000 : Un territoire fragile (Prix Europe 1 et Prix des Bibliothécaires) – 2001 : Je pars demain – 2003 : C’est mon tour – 2004 : Caresse de rouge (Prix François Mauriac de l’Académie Française) – 2004 : Korsakov (Prix des libraires et Prix France Télévisions) – 2005 : Le Tiers sauvage – 2005 : Lire tue, (avec Nicolas Vial) – 2007 : Baisers de cinéma (Prix Femina) – 2007 : Petit Éloge de la bicyclette – 2009 : L’Homme qui m’aimait tout bas – 2010 : Questions à mon père – 2010 : Paris Plages : De 1900 à aujourd’hui – 2011 : Femmes éternelles (avec Olivier Martel) – 2011 : Le Dos crawlé – 2012 : Mon tour du « Monde » – 2012 : Berbères.