Le Times en ligne gratuit, c’est vraiment fini

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Rupert Murdoch l’avait annoncé, c’est fait. Plus question d’accéder gratuitement au contenu du quotidien britannique The Times sans payer. En fait, le site Timesonline, expurgé des contenus moins grand public, subsiste, mais incite à passer, depuis le 25 mai 2010, à l’actuelle version de Thetimes.co.uk. Au-delà de cette actualité, le passage à la consultation payante donne l’occasion de faire le point sur d’autres tendances actuelles de l’information participative en ligne…


Pour le moment, et pendant un mois, les souscripteurs à titre d’essai peuvent accéder gratuitement au nouveau site du Times. Il suffit, comme pour naguère accéder aux articles du Washington Post, de communiquer son courriel et divers renseignements. Mais à la fin de l’essai, il faudra opter pour l’une des deux formules d’abonnement, à la journée (pour une livre sterling), ou à la semaine (deux livres), si l’on en croit The Guardian. En effet, nulle part il ne vous est indiqué, lorsque vous vous abonnez au service à titre d’essai, quels prix seront par la suite demandés.

 

Il est d’ailleurs possible que l’information du Guardian soit incomplète. Les tarifs indiqués peuvent ne valoir que pour le Royaume-Uni et les abonnés résidant à l’étranger, ou ne disposant pas d’un compte bancaire libellé en livres, se verront peut-être proposer un autre tarif.

 

Ce passage de la gratuité à la consultation payante, qui ne pourra être contourné en visualisant les articles via les caches de Google, est une tendance lourde de la presse déclinée tant en versions imprimées qu’en ligne. C’est en l’anticipant que la nouvelle Agence centrale de presse a fondé son modèle économique.

 

Pour le moment, en France, les grands quotidiens, hormis France Soir et Le Parisien-Aujourd’hui ou encore L’Humanité, tels Le Figaro, Libération ou Le Monde, ont opté pour des formules mixtes. L’essentiel de l’actualité est consultable en ligne, mais certains articles ne sont accessibles qu’à des abonnés ayant souscrit un abonnement payant. Dans certains cas, le fait d’être abonné permet de commenter (Le Monde), ou de le faire plus aisément (Le Figaro). Le Times innoverait en la matière en ce sens que l’anonymat (préservé par un pseudo, même si l’adresse de courriel de l’abonné est connue de la rédaction) ne sera plus préservé qu’en contournant les règles (il sera toujours possible de se créer un pseudo lié à une autre adresse de courriel). Les spécificités du dispositif sont encore floues…

 

Rupert Murdoch n’a pas appliqué déjà la formule à tous ses autres médias, où à ceux dont il est le principal actionnaire (Fox News, Sky News), ni même aux seuls quotidiens imprimés. The Wall Street Journal, par exemple, dispose d’une formule mixte à la française (seuls certains articles sont réservés aux abonnés). Son groupe, News Corp, par ailleurs propriétaire de MySpace, d’une chaîne sportive en ligne, Scout Com, jouera sans doute encore longtemps sur les deux tableaux (accès gratuit ou payant). Mais son initiative devrait avoir des conséquences car elle sera suivie de très près par d’autres groupes de presse.
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Une autre tendance émergeante consiste à faire participer autrement les Internautes soucieux d’obtenir des informations de qualité en leur proposant de financer la couverture de sujets. The Times veut, avec sa nouvelle formule, resserrer les liens entre la rédaction et les lecteurs. Pour sa part, le site du Figaro a lancé une nouvelle « rubrique » dans le but d’interpeller les visiteurs et de leur proposer un choix de sujets que la rédaction approfondira. À la suite du Post (.fr), du groupe Le Monde, le site du Figaro propose un sujet hebdomadaire : « Qu’avez-vous retenu de l’actualité de la semaine ? ». Cette logique de mieux « coller » aux attentes du lectorat est poussée plus loin par des sites qui proposent aux visiteurs de financer, par des dons, des souscriptions, les coûts de reportage des sujets qu’ils désirent voir traiter. En France, le projet Glifpix reprend le modèle américain de Spot. De la sorte, un groupe d’internautes peuvent soit se rallier à un projet de reportage proposé par un « journaliste » (professionnel ou improvisé, spécialiste d’un domaine, militant d’une cause), ou devenir les attachés de presse d’une cause qu’ils entendent défendre. Le lien entre les donateurs et l’investigateur peut se poursuivre au cours de la réalisation du sujet (sa progression est détaillée, à la manière d’une road-story comme celle de deux journalistes stagiaires de Sciences Po parties suivre les destinations des panneaux indiquant « Autres » ou « Toutes » directions), ou par la suite, après publication, des mises à jour étant publiées.
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Le fondateur de Glifpix, ancien redchef du Monde, considère : « Nous partons du constat suivant : ni la publicité, ni les abonnements en parviennent, actuellement, à financer une rédaction qui produit des articles de qualité. ». D’où l’idée de faire « miser » les lecteurs sur les sujets proposés. « Les lecteurs qui ont misé sur un sujet in fine financé intégralement, reçoivent des “ tickets d’influence ” qui leur permettent d’influencer la ligne éditoriale quotidienne du site, en votant pour des sujets de synthèse qui seront traités gratuitement par la rédaction. ». Glifpix se positionne aussi en concurrent de la Nouvelle ACP en ce sens que, comme Spot, il proposera aux médias d’acheter les articles comme ils le feraient à des pigistes.

 

La rémunération des contributions, pour modeste qu’elle soit avec le modèle de Come4News, n’est pas d’une totale nouveauté. Le « mix » entre articles vendus puis diffusés en « copiegauche » (Creative Commons ou autre) est plus original. De même, l’outil « de gestion des débats » proposé par Glifpix, et qui sera testé cet été par Bayard Presse, laisse envisager d’autres types d’évolutions. Cet outil, qui évoque fort les discussions de Wikipedia, affiche « une synthèse du débat en cours, grâce à une cartographie sémantique qui représente le débat, et se met à jour automatiquement en temps réel », et attribue automatiquement « à chaque commentaire / proposition de correction, un indicateur de pertinence, calculé par une brique technique spécifique. ».

 

On peut s’interroger sur ces évolutions qui pourraient prêter le flanc à des manipulations (pour faire « vrombruir » le lancement d’un produit, la tournée d’une vedette du spectacle, les visées d’un groupe de pression… et Glifpix limite au cinquième du total le montant de la contribution d’une seule personne ou groupe, ce qui est très facile à contourner) mais aussi à l’orientation de la ligne éditoriale des rédactions. À priori, c’est une avancée. « Si les commentaires, critiques et contestations des lecteurs sont bien entrés dans les habitudes du journalisme web, l’idée de tenir compte de « corrections » qui s’affichent en temps réel peut être déstabilisante. Dès lors que la vérification et la précision des informations fournies pour toute production est une exigence évidente pour le journaliste-auteur comme pour la supervision éditoriale par l’équipe de Glifpix, les modifications proposées par le “ wiki ” peuvent être considérées comme une remise en question de la crédibilité du contenu, » signalent les fondateurs de Glifpix. Rien à redire sur ce point si ce n’est qu’au contraire les commentaires enrichissent utilement l’article commenté : ils feront « la valeur ajoutée » de la production journalistique. Mais on peut se demander si cela ne conduira pas les journalistes à mieux « angler » leurs sujets pour répondre aux attentes d’une majorité plus véhémente ou plus active. Certes, pour des raisons commerciales, ils le font déjà. Certes, les services commerciaux des médias influent déjà sur les contenus, amenant les rédactions, selon le type de support, à favoriser des sujets (faits-divers, animaux domestiques, enfants, loisirs, reprise de sujets « vus à la télé », « votre argent », infos « pratiques », &c.). Mais ce type démarche peut être aussi la source de ce que certains pourraient valablement considérer en tant que « dérive » du choix éditorial. L’usage départagera les opinions à cet égard. À suivre attentivement (et donc, à commenter).

 

Petite note d’actualisation :

Comme je l’ai reçu par courriel le 2 juillet 2010, la mesure est entrée en apllication.

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.”

 

Autre petite note d’actualisation :

Qui s’intéresse à la question tentera de retrouver (et il faudra sans doute payer pour accéder aux archives), l’entretien de  Jay Rosen avec Xavier Ternisien dans Le Monde (mis en ligne le 7 sept. 2010), « Les journaux doivent montrer qu’ils ont une vision du monde et la défendre ». Il doute fort que l’accès payant, sans valeur ajoutée supplémentaire, soit économiquement viable.

 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/07/les-journaux-doivent-montrer-qu-ils-ont-une-vision-du-monde-et-la-defendre_1407723_3236.html

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Le Times en ligne gratuit, c’est vraiment fini »

  1. On peut aussi s’interroger, à cette occasion, sur le devenir de C4N… Seriez-vous prêts à céder une partie de votre rémunération pour que des sujets soient approfondis en priorité ?
    Faut-il préfigurer un sujet sur C4N et le soumettre à la « concurrence » ?
    C’est un tout autre débat que je me propose d’aborder par ailleurs (une autre contribution sur le sujet des évolutions de la presse participative).
    Juste un truc : le système de cotation des commentaires de Glifpix a été lourdement subventionné… Peut-être pourrait-on demander à le tester sur C4N ?
    Attendez peut-être que le sujet soit lancé pour commenter (ailleurs, après publication).

  2. Les commentaires permettent effectivement de « rectifier le tir » ou d’enrichir l’info. Mon esprit d’escalier me glisse à l’oreille ainsi que j’ai oublié de mentionner Categorynet, site qui, pour ses abonnés, permet de diffuser des communiqués de presse à… des journalistes d’un domaine particulier voulant bien les recevoir (et les poubelliser de la même manière que d’autres par ailleurs).
    Un des autres thèmes pouvant être abordé n’est pas nouveau : des abonnés, c’est des adresses de courriel.
    Pour [i]The Times[/i], on peut penser que la baisse de fréquentation due à la fin de la gratuité d’accès sera compensée par la détention d’un fichier de CSP+ qui pourra être commercialisé (soit de gens à plus fort pouvoir d’achat que le visiteur gratuit lambda).
    Ancien des tout débuts de la « presse alternative régionale » ([i]Uss’m Follik[/i] – Issu du Peuple – et autres titres des années 1970), je n’ai pu qu’en constater le relatif, mais cuisant pour la plupart, échec (quelques titres, en général très locaux, subsistent).
    Je vois bien sûr les nouvelles initiatives à l’aune de cette « lanterne qui ne permet que de mesurer le chemin parcouru » (et non celui dans lequel on s’engage).
    Avec un grand scepticisme, donc. Mais se montrer dubitatif ne veut absolument pas dire qu’on ne doit pas s’engager, tenter, persister.
    Parfois, on se décourage : la censure dont a été victime l’ouvrage d’Anne Larue (voir sur Come4News, mais aussi, si peu ailleurs…) aurait, naguère, suscité une mini-manif devant le siège des éds Classiques Garnier, des tribunes libres dans des titres « [i]mainstream[/i] », et des rédactions auraient traité le sujet, au moins en brêve ou billet. Là, si par exemple Indymedia a repris l’info, c’est parce que je m’en suis chargé.
    Cela se vérifie toujours : une info exclusive n’est un scoop que si elle est reprise. Le premier papier sur les décharges de dyoxine, dû à un confrère de [i]L’Union[/i], n’a été cité que des années plus tard par de rares rédacteurs ou rédactrices (de [i]Science&Vie[/i], par exemple) qui n’ont pas craint de ne pas faire semblant de découvrir un sujet lourdement négligé (et jugé, à l’époque, pas assez porteur).
    C’est aussi pourquoi cette manière d’être à l’affût de ce qu’attend le lectorat me semble, sinon lourde, du moins un peu pesante : quelles contraintes en germes viraux suppose-t-elle ?
    Si toute info doit être plébiscitée par le lectorat pour être mise en valeur, cela peut avoir des implications qu’on (ne) soupçonne (pas).

  3. Dans le même genre que Categorynet, on a la Conférence virtuelle (plus chère, 99 euros par diffusion de communiqué). Je suppose qu’il y a d’autres services du même type qui me sont inconnus. Une recherche rapide m’a orienté vers Pressodebit (marrant à voir).

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