Le ticket restaurant électronique ou comment faire reculer notre pouvoir d’achat

Cette semaine, une nouvelle attaque a été menée contre le pouvoir d’achat d’un grand nombre de salariés. Une attaque d’une telle fourberie qu’un grand nombre d’entre vous, j’en suis sûr, n’a même pas compris que c’était une attaque qui, si elle réussit (ça en prend le chemin, mais ce n’est pas encore fait), va faire reculer d’une bonne centaine d’euros mensuels le pouvoir d’achat de tous ceux qui bénéficient de tickets restaurant.

Les tickets restos, aujourd’hui, ce sont des billets. Moins pratiques que les vrais parce que les commerçants ne les acceptent pas toujours facilement, mais vous arrivez toujours à les liquider sans jamais aller une seule fois au restaurant, si tel est votre souhait. Moi même, étant incapable de manger pour près de 200€ par mois, j’en revends une partie à mon voisin qui les liquide pour moi, bref, on arrive toujours à s’arranger.
Il ne faut pas avoir peur de le dire : ces tickets restaurants constituent une niche fiscale. Dans les faits, c’est une prime non imposable que les entreprises peuvent verser à leurs salariés. Ces derniers la dépensent dans les restaurants ou pas selon leur souhait.

Si ce gouvernement avait l’intelligence de comprendre la situation ainsi, on pourrait avancer : inutile, en effet, de maintenir ce système compliqué, polluant et inefficace là où il suffirait de créer une exonération fiscale. Evidement, cela ne plairait pas aux actionnaires de Natixis qui vivent en partie de cela. Reste à savoir si le gouvernement a vocation à défendre les intérêts de Natixis ou ceux de la collectivité.

A bien y réfléchir, le système était bancal dès le début : vous donnez des tickets de 8€ à des gens qui gagnent 1200, 1500 euros par mois, et vous espérez qu’ils vont en prendre un tous les midis pour manger, ce qui leur reviendrait à 160€ par mois. Ce montant est d’une disproportion patente avec le niveau de vie qu’offrent les salaires précédemment avancés. 8€ pour manger tous les midis, c’est un budget de riche. Une fois par semaine, pourquoi pas, mais pas tous les jours. Il faut imaginer le repas entre collègues du jeudi, mais pas une habitude quotidienne. Sans parler des gens qui travaillent près de leur domicile et qui en profitent pour rentrer manger le midi avec leur conjoint(e) et leurs éventuels enfants.
Bref, un tel système ne pouvait qu’être contourné et c’est normal : ce n’est pas au gouvernement de vous dire où vous devez manger.

Evidement, le loby de la restauration ne l’entend pas de cette oreille, puisqu’il voudrait, lui, que chacun aille dépenser bien sagement ses tickets au restaurant, si possible en rajoutant 6€ de sa poche pour prendre le menu à 15€ pour faire vivre des gens dont le métier consiste généralement à aller à métro le matin, acheter des plats préparés à 2€ pièce pour les revendre sous forme de menu à 15€ le midi après avoir ôté l’emballage. C’est évidement pour cette raison et aucune autre que la restauration ne fonctionne plus : 13€ rien que pour retirer un plastique et mettre un machin au micro-ondes ? Je crois que je vais le faire moi-même… Les quelques restaurateurs qui continuent à travailler honnêtement s’en sortent. Ils ne font pas fortune, évidement : qui a dit que l’on pouvait faire fortune en faisant cuire des frites ?
Vous seriez surpris de voir des bars-restaurant dans des trous paumés qui arrivent à bien vivre en faisant une cuisine simple mais saine et sans chercher à entuber le client en lui refilant des machins sous vide. Les ouvriers et les paysans du coin y vont une fois par semaine, c’est leur petit plaisir, ce qui suffit à avoir 10 ou 15 repas tous les midis, le reste du chiffre d’affaire provenant du bar tabac. Evidement, dans ces campagnes où tout se sait très vite, le restaurateur qui servirait des cochonneries en boîte se survivrait pas très longtemps. Et on voudrait nous faire croire que les brasseries en pleine ville n’y arrivent pas et qu’il faut les aider.

Comme le lobby de la restauration ne peut pas compter sur le talent de ses membres, il fait pression sur les pouvoirs publics et les émetteurs de titres restaurants pour forcer les salariés à entrer dans le moule et dans la logique absurde du système : pas question de rentrer chez vous le midi pour voir vos enfants ni d’apporter votre gamelle au bureau. Le midi, vous devez faire ce que tout bon Français doit faire quand il ne travaille pas : consommer, en l’occurrence, aller au restaurant et casquer.
Jusqu’à maintenant, personne ne savait comment articuler tout ça, il était trop facile de contourner ce principe. Mais le numérique apporte aujourd’hui la solution : il permet d’autoriser ou d’interdire les paiements en fonction des règles que l’on définit, contrairement aux chèques papiers. Le but des règles ci-après est suffisamment clair pour qu’il soit inutile d’en débattre :
> Interdiction d’utiliser les tickets numériques en dehors des jours de travail.
> Interdiction d’utiliser plus de deux tickets par jour
> Contrôle des produits achetés : uniquement de la bouffe à emporter ou à consommer sur place.
Pourquoi tant de formalités ? Il serait plus simple de dire directement que les tickets restaurants sont réservés aux restaurants.

Un mauvais calcul
Généralement, les salariés ont le choix entre les tickets et un restaurant d’entreprise. Le restaurant d’entreprise propose en gros un menu complet contre un ticket restaurant (dans la pratique, vous allez au restaurant d’entreprise et vous ne recevez pas le ticket correspondant au repas le mois d’après, ce qui revient au même). Ceux qui choisissent de prendre les tickets le font pour arrondir les fins de mois, et pas pour manger dans une brasserie le midi, ce serait idiot, le restaurant d’entreprise offrant généralement un bon rapport qualité/prix.
Si, par cette mesure, vous parvenez à empêcher les gens d’utiliser leur tickets pour autre chose que les restaurants, le résultat ne se fera pas attendre : ils iront systématiquement au restaurant d’entreprise et l’industrie de la restauration ne s’en portera pas mieux.
Comme toujours, les gagnants seront les patrons.
Les entreprises : pour une raison que je ne connais pas précisément, elles incitent le plus souvent leurs salariés à aller dans ces restaurants d’entreprise. Il est permis de subodorer que le restaurant d’entreprise leur coûte moins cher (tarif par salarié moins élevé, mais peut-être aussi facilités de paiement), mais je n’en ai pas la moindre preuve. Certains s’imaginent que le repas entre collègue favorise l’esprit d’équipe. Je n’en suis pas convaincu. Tout d’abord parce que certains éprouvent le besoin de séparer nettement le travail et la vie privée. Ce qu’ils veulent, c’est se pointer à 8h le matin, faire leur boulot et se casser. On ne peut pas le leur reprocher, précisément parce que la pause déjeuner ne fait pas partie de leur temps de travail mais de leur temps libre. Secondement parce que des gens peuvent s’entendre très bien dans le cadre professionnel et très mal en dehors. Le cas le plus fréquent étant deux personnes qui, parce qu’elles sont chacune de bonne volonté, parviennent à établir une entente cordiale voire très cordiale au travail mais qui, du fait de leur personalité, seraient incapables de s’entendre dans la vie de tous les jours. J’ai eu une
Toujours est-il que nous faisons là un grand pas vers le restaurant d’entreprise pour tous.
Quand nous en seront là, l’entreprise n’aura plus qu’à baisser les financements pour son restaurant (en contrepartie d’une moindre qualité pour la nourriture, mais ce sont les salariés qui mangent) et elle fera ainsi des économies substantielles.
Le grand gagnant sera Sodexo, qui gère la majorité des restaurants d’entreprise, lesquels auront plus de clients.
Les perdants seront :
> Les salariés qui verront leur pouvoir d’achat baisser d’une bonne centaine d’euros par mois, puisqu’ils seront obligés de payer 8€ environ leurs repas du midi.
> Les émetteurs de tickets restaurant. En effet, si tout le monde va chez Sodexo, plus de tickets.
> Les professionnels de la restauration rapide et de la vente à emporter : il est en effet courant de voir des gens se prendre un sandwich le midi, ce qu’ils ne feront plus, puisqu’ils iront au restaurant d’entreprise. De plus, beaucoup utilisaient leurs tickets pour se faire livrer des pizzas, des sushis et autres.
> Les restaurateurs eux mêmes : nombreux sont les salariés qui, lorsqu’ils ont trop de tickets, en reviennent à leur usage premier : se faire un resto le samedi soir avec madame. Si ils n’ont plus de tickets, c’est fini.
> Tous les commerçants de l’alimentaire. Une manière agréable d’écouler ses excédents de tickets est de prendre des morceaux un plus nobles chez le boucher ou le charcutier.

Conclusion : achetez Sodexo !
Leader en France dans la restauration d’entreprise, elle sera la grande gagnante du flicaque autour des tickets restaurants. Pour l’heure, les restaurants d’entreprise sont un peu boudés par les salariés qui peuvent prendre les tickets pour les raisons de pouvoir d’achat déjà évoquées. Mais si la nouvelle se confirme, cet aspect disparaîtra, pour le plus grand profit des chaînes de restauration en entreprise.
Le plus beau, c’est qu’ils n’auront même pas eu à faire de lobbying pour remporter cette victoire. Ce lobbying, ce sont les restaurateurs qui l’ont fait pour eux.

Une réflexion sur « Le ticket restaurant électronique ou comment faire reculer notre pouvoir d’achat »

  1. C’est uniquement pour économiser l’encre d’imprimerie que ces gens « poussent » le « TRE », qu’allez vous imaginer d’autre ? les dégâts collatéraux ? quels dégâts collatéraux ? Sodexo ? à comparer avec le fameux Jacques Borel !

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