Le Japon est-il comme l'indique la nomenclature des Etats, un empire, une "monarchie constitutionnelle" ou déjà une république de fait ? Le champ d'action du citoyen nippon est-il vaste, borné, illimité, flou ? La liberté de parole est-elle paradoxalement plus grande dans ce pays que dans les "grandes démocratie" ou la liberté n'y est-elle que de façade ?
Voila des questions que l'on est en droit de se poser dès lors que l'on décide de comparer le Japon aux standards que nous connaissons en matière politique et sociale, comparaison difficile à plus d'un titre il est vrai. Un indicateur néanmoins nous permet d'approcher un peu la complexité de la réalité nippone qui est l'attitude générale de la presse, vis-a-vis des autorités mais aussi vis-a-vis d'elle-même.
A priori, le journaliste japonais dispose d'une liberté extrêmement étendue, l'exceptionnelle variété de parutions et l'existence bien établie des divers magazines à potins sont là pour en attester, où des propos qui frisent souvent la diffamation peuvent être publiés sans qu'un procès ne tombe de façon systématique. De ce point de vue-ci, la presse japonaise est souvent très libre, pour ne pas dire un peu trop débridée. Mais toutes les informations jouissent-elles d'un même droit de cité ? C'est loin d'être le cas.
On se souvient peut-être du scandale qui avait éclaté à la suite de la publication d'une photo d'origine mystérieuse, où apparaissait appuyé sur l'épaule d'un des plus grands parrain de la pègre nippone, un gaillard rubicon à force d'avoir trop levé le coude, un fêtard… qui n'était autre qu'un des derniers premiers ministres qu'ait connu le Japon au Xxième siècle.
On se souvient aussi peut-être du scandale de la dioxine découverte dans des champs de Tokorozawa proches d'une usine de retraitement de déchets. L'affaire lancée par un présentateur de la 10eme chaîne de télévision (TV Asahi) avait provoqué un hérissement immédiat de la classe politique qui alla jusqu'à demander à corps et à cris la tête du présentateur qu'elle accusait de mentir sur le dos des "pauvres agriculteurs" pour faire du sensationnel. Le président de TV Asahi fut même convoqué au Parlement pour s'y expliquer, la chaîne fut à ce moment-là à deux doigt d'être fermée par décision politique. Le dossier en question dura plusieurs semaines, jusqu'au moment où la présence à haute dose de dioxine dans les légumes de Tokorozawa fut attestée officiellement par des laboratoires indépendants. Le présentateur qui s'était absenté "pour raison de santé" durant tout ce temps reparu quelques mois après, mais quelque-chose était cassé…
Plus récemment, c'est à dire depuis quelques jours, le quotidien national MAINICHI SHIMBUN a été contraint pendant plusieurs semaines de publier des excuses publiques pour avoir parait-il fait état d'informations non pas fausses, mais "déplacées" et de nature à porter atteinte à l'image du Japon. L'acte d'accusation est clair et la sanction sans appel (cf. annexe 1 ci-dessous). C'est que la presse nippone n'est pas si libre que cela, et qu'il existe des instances qui sont chargées de veiller à ce que certaines limites ne soient pas franchies. Mais au fait, quelles sont ces limites, et qui les pose ? Devinez…
En tout cas, existe un organisme officiel qui sert a la fois la soupe et de cerbère de la pensée correcte, il s'agit du très décrié Kisha Club ("Club de la Presse") qui se présente lui-même comme un lieu de rencontre, d'échange, mais qui est en réalité une centrale de distribution de papiers "bien approuvés", et qui détermine quotidiennement la ligne et la teneur des dossiers à traiter ou à ne pas traiter.
L'action du Kisha Club a maintes fois été épinglée par des organismes diplomatiques et journalistiques internationaux, aussi ne nous étonnons pas de trouver une critique fort acide de cette "guilde" de l'information, dans un pamphlet publié sous la plume d'un membre de l'AFP qui en dénonce l'autoritarisme, le ségrégationnisme, et tout un tas d'autres travers que nous vous invitons à découvrir en annexe 2.
ANNEXE 1: les excuses publiques du MAINICHI SHIMBUN
Mainichi Daily News to start over again
Report on developments and apology
The Mainichi Newspapers Co., Ltd. continued to post extremely inappropriate articles in the WaiWai column of the Mainichi Daily News (MDN), its English Web site. We have reported the results of an in-house investigation into the case on Pages 22 and 23 of the July 20 morning edition of the Mainichi Shimbun.
We continued to post articles that contained incorrect information about Japan and indecent sexual content. These articles, many of which were not checked, should not have been dispatched to Japan or the world. We apologize deeply for causing many people trouble and for betraying the public's trust in the Mainichi Shimbun.
The Mainichi Newspapers took punitive measures on July 20 against Managing Director Yoshiyuki Watanabe, who previously served as general manager of the Multimedia Division, and another senior official, to hold them responsible as supervisors, in addition to those who were earlier punished.
We will take the following measures to prevent a recurrence of the problems pointed out to us through the criticism and opinions received from many readers, through our in-house investigation, and as indicated by the Open Newspaper Committee of experts:
On Aug. 1, we will reorganize the MDN Editorial Department, and on Sept. 1, under a new chief editor, the MDN will be transformed into a more news-oriented site. We will translate Mainichi Shimbun editorials and commentaries by prominent figures, such as "Jidai-no-Kaze" (Sign of the Times), and post them on the site in an effort to deepen the understanding of Japan among readers overseas.
At the same time, we will set up an advisory group to the MDN comprised of Megumi Nishikawa, an expert senior writer, and other staff writers specializing in international news coverage. The group will check the MDN's editorial plans and the content of articles in the MDN.
We are determined to try our utmost to regain the public trust that we have lost as a result of this incident and rehabilitate the English site into one that can dispatch information about Japan to the world in an appropriate manner.
The Mainichi Newspapers Co., Ltd. – July 20, 2008
Annexe 2
Controlling the media: Japan's press clubs par Daniel Rook, correspondant permanent de l'AFP
One of the biggest headaches for foreign journalists in Japan isn't always understanding Japanese culture, meeting deadlines on the other side of the world or even breaking the language barrier. It's just getting into press conferences to start with.
Foreign reporters have been fighting for decades to break Japan's press clubs, organisations which control access to briefings at all official bodies including government ministries, the stock exchange, the central bank, police headquarters and the Imperial Household Agency.
In most countries press clubs are places where reporters go to listen to local luminaries talk or unwind after a day on the job.
Japan has those too. But here members of the powerful "kisha" clubs have access to exclusive off-the-record information and also decide whether outsiders – including Japanese weekly magazines – can attend press conferences. There are at least 800 such clubs in Japan – many more by some estimates.
The Japan Newspaper Publishers & Editors Association says kisha clubs are a system "fostered by Japan's media industry for over a century in pursuit of freedom of speech and freedom of press."
But press freedom group Reporters Without Borders argues that the clubs "continue to obstruct the free flow of news."
Even the European Commission has complained about them. In a 2002 report it said the system "acts as a de facto competitive hindrance to foreign media organisations.
"It unfairly makes them slower to bring information to their audience than domestic organisations, and, unable to put questions on the spot, forces them to rely on second-hand information," a Commission report said.
Things have improved for foreign journalists in Japan in recent years and the major international news agencies such as AFP have been admitted to some press clubs such as those of the Tokyo Stock Exchange and the foreign ministry.
In the past, domestic news agencies had a head start on their foreign rivals when it came to breaking companies' earnings news.
Even today foreign media have to ask permission from the kisha clubs to attend some press conferences and are still barred from the prime minister's evening media briefings.
And when foreign reporters can get in, they are not always allowed to ask questions.
Compared with the past, "the business and economic press clubs do seem more open," said one American reporter at an English-language daily in Japan who I spoke to about the kisha club system.
"The police and the courts are, in general, more uncooperative or excessively bureaucratic. But that's towards all non-kisha club members, not just foreigners."
Critics say the press club system also makes Japanese reporters feel obliged to be loyal to their sources and reluctant to criticise the establishment.
"But the current press club system clearly benefits the powers-that-be on all sides," said the veteran journalist. "I find it hard to believe that, without massive public pressure to change, they'll willingly open up."
By Daniel Rook on 30-06-2008