Les moins jeunes des lecteurs se souviennent peut-être de ce slogan qui s’étalait fièrement sur les murs des commerces, il y a bien longtemps déjà (je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître …).

Il signifiait une chose toute simple : sans le client, le négoce n’existerait tout simplement pas et les commerçants lui rendaient ainsi hommage.

T’as p’tet raison, seulement voilà, quand j’t’aurai dit, tu comprendras : ces temps sont révolus et l’équation s’est de nos jours résolument inversée. Il faut se rendre à l’évidence, elle s’énonce désormais : sans le commerce, le consommateur n’existerait pas ! Un consommateur dont on supporte, tout juste du bout des lèvres, l’inévitable présence et que l’on met à contribution, autant que faire se peut.


 

Dans les grandes surfaces

Avez-vous seulement remarqué l’énorme quantité de travail bénévole que nous nous y imposons ? Le problème, au départ, est simple : nous avons envie de petits pois pour notre déjeuner. Comment se résout-il ? Arrivés au supermarché, nous nous munissons d’un panier. Nous parcourons les rayons, à la recherche de celui des conserves. Nous finissons par le trouver et nous y saisissons la boîte convoitée pour la déposer dans le panier. Nous l’en extrayons pour la placer sur le tapis de caisse où nous la récupérerons pour la glisser dans un sac (que nous aurons apporté) et le sac rejoindra de nouveau le panier.

Avant de l’extraire de nouveau pour vider le panier dans le coffre de notre voiture, nous avons naturellement réglé nos achats en introduisant nous-même notre carte de crédit dans le lecteur. Puis vient le moment de la sortir du coffre, pour la monter à l’appartement, la sortir du sac et la ranger sur le rayonnage, avant de l’y reprendre pour l’ouvrir, la vider dans la casserole, puis dans l’assiette, enfin ! Ce qui fait dire fort justement Roland Magdane dans son sketch, « Ta boîte de petits pois, quand elle atterrit dans ton assiette, elle pèse dix kilos ! ».

Encore, l’exemple était-il simple : l’objet de la convoitise était bien identifié. Imaginons qu’il s’agisse d’un appareil domestique ou d’une caméra vidéo. Ce n’est plus une grande surface qu’il faut visiter mais deux, trois, cinq afin de procéder à des comparaisons, en consommateur avisé et responsable ! Et là, il faut décoder les informations affichées, se mettre en quête d’un vendeur, lui poser les bonnes questions, comprendre ses réponses … Savez-vous, au fait, sur quel critère se fait leur répartition dans les rayons ? Vous pensez sans doute que c’est en raison de leurs compétences et que de la sorte, un passionné de photo sera affecté aux appareils numériques. Profonde erreur : vous n’entendez rien à la productivité ! S’il en était ainsi, il ferait des réponses claires et précises, donnerait des conseils avisés, bref, passerait beaucoup trop de temps avec un client hésitant.

Or souvenez-vous : le rôle des consommateurs n’est pas d’hésiter, mais de consommer, comme leur nom l’indique, et, tout comme les veaux et les poulets, ils s’élèvent en batterie. Plus vite le vendeur se sera débarrassé d’un, plus tôt il passera au suivant. « Au suivant ! ». Notre émule de Nadar sera donc beaucoup plus efficacement affecté au rayon … de l’électroménager (authentique !).

Dans les services

J’ai exercé fort longtemps chez un grand éditeur de logiciels (là encore, pas de nom : ce qui est dit pour l’un vaut à l’identique pour l’autre). J’en ai conservé le souvenir extrêmement précis d’une certaine réunion de travail consacrée à la modification de la tarification. Cette version se caractérisait par une baisse du prix de vente des licences combinée à une augmentation des tarifs de la maintenance. Jusque là, rien de très choquant : il s’agissait simplement d’une compensation rendue nécessaire par l’évolution à la baisse des prix du marché, conséquence d’une saine concurrence.

Un peu plus choquant, en revanche, était le slogan dont s’ornait la page de garde des documents remis à l’entrée de la séance : « On peut égorger un mouton une seule fois ; on peut le tondre chaque année » (authentique, aussi !).

A la lumière de votre propre expérience, n’avez-vous pas le sentiment que d’autres auraient pu l’adopter aussi ? Par exemple, des opérateurs de téléphonie mobile ou bien des fournisseurs d’accès Internet. Les utilisateurs y jouissent manifestement du même traitement. En attestent les innombrables litiges passés, en cours, ou à venir … Inutile de citer des noms : ils vous viennent spontanément à l’esprit !

Internet, puisqu’on en parle, a permis de franchir une nouvelle étape. Grâce à lui, le travail dit de front-office est déporté du fournisseur vers le consommateur. Ne cherchez pas d’autre explication au fait que l’on nous vante tellement les mérites des services électroniques auxquels on nous incite si vivement à souscrire. Ne vous étonnez pas non plus de l’extraordinaire développement du commerce électronique ; il procède du même rationnel.

Cas particulier des banques

« Votre argent nous intéresse » disait l’accroche, un brin cynique, mais réaliste ô combien, de la BNP quand elle n’était pas encore Paribas.

La mienne vient de m’adresser ses tarifs applicables au 1er mars ; grâce lui soit rendue, elle le fait avec quatre mois d’avance, ce qui n’est pas si courant. Comme il se doit, un certain nombre de services y figurent comme étant facturés, sauf s’ils sont effectués via Internet. C’est tout de même bien le moins, non ? En effet, dans ce cas, c’est l’usager qui saisira les données, incidemment c’est lui qui sera responsable d’éventuelles fautes de frappe (dont la rectification lui sera facturée). Notons au passage, aussi, que de ce fait c’est lui qui sera aussi à l’origine des restructurations (entendez : « des compressions d’effectifs ») à venir ; mais ceci est un autre débat ; nous y reviendrons peut-être …

On y remarque aussi que les retraits aux distributeurs (au moyen d’une carte de crédit, facturée) ne sont gratuits que dans des cas très encadrés. Pourtant, de nouveau, c’est bien l’utilisateur, par le travail qu’il prend à sa propre charge, qui permet de réduire les coûts en ramenant à la portion congrue le personnel de guichet !…

Pas de doute : notre argent les intéresse ! Beaucoup quand il est déposé, infiniment moins quand il est retiré. Un principe qui vaut à l’identique dans les assurances au demeurant, en substituant simplement « échéance » à « dépôt » et « remboursement » à « retrait ». « Qui se ressemble s’assemble ». C’est très probablement en vertu de cet adage que les banquiers deviennent assureurs et vice versa.

Cas très particulier des produits financiers

On aura pu lire, dans un autre article sur ce site (« Après l’ESB, la double maladie de l’Écureuil fou », http://www.come4news.com/apres-l-esb,-la-double-maladie-de-l-cureuil-fou-erratum-771100), les tribulations du consommateur quand il se déguise en épargnant. Le cas rapporté concerne la Caisse d’Épargne, mais il pourrait aisément être élargi à l’ensemble de la confrérie …

En matière de placements, il est deux manières d'essayer de faire fructifier son épargne :

·         la première est d’acheter des actions, c'est à dire de prêter son argent à une entreprise que l'on juge digne de ce choix, car performante. L'entreprise utilise cette ressource pour le développement de son activité ; en contrepartie, elle sert un revenu (le dividende). De plus, du fait de ce développement, séduisant de plus en plus d’investisseurs potentiels, elle prend de la valeur, ce qui entraîne une augmentation du cours des actions que vous détenez. C'est le cercle vertueux de la logique investisseur, moteur de l'économie réelle.

·         la seconde consiste à miser sur l’aléatoire, en jouant au casino ou à la Française des Jeux. On peut aussi le faire en Bourse, en achetant des « produits dérivés » qui ne sont rien d’autre que des paris. En les acquérant, vous faites le pronostic, plus ou moins consciemment, que telle ou telle action, tel ou tel indice va évoluer dans une direction donnée, à la hausse ou à la baisse.
Si l’évolution a lieu dans le sens que vous avez « prévu », vous gagnez beaucoup, et vite ; si elle est dans le sens contraire, vous perdez beaucoup, et vite, aussi.
L’argent que vous gagnez, dans les cas favorables, n’est pas le produit du surcroît d’activité d’une entreprise qu’auraient permis les fonds que vous avez prêtés (sa valeur ajoutée) ; c’est celui d’autres parieurs qui ont fait le choix inverse du vôtre, et qui ont, pour cette seule et même raison, perdu le leur …
Ce type de placement est parfaitement déconnecté de l’économie réelle (même si certains affirment le contraire, surtout parmi les traders), mais il permet de gagner beaucoup et vite … à condition de ne pas se tromper, bien sûr. Toutes les caractéristiques d’un cercle vicieux.

Un banquier dispose du même choix : ou bien il gagne de l’argent en créant des produits financiers au service de ses clients ; il perçoit des droits d’entrée (qui sont la juste rémunération de son travail d’ingénierie financière et des conseils – si possible avisés – qu’il aura donnés) et des frais de gestion (qui le défraient de son travail de pilotage et des efforts qu’il consent pour procéder à ce titre à des arbitrages judicieux).

Cette façon de procéder est positive ; c’est une stratégie gagnant-gagnant, dans l’intérêt conjoint du prestataire et des bénéficiaires. Son immense inconvénient est d’être lente et peu productive : gagner quelques pour cents des sommes placées par le client, c’est peu ! Et ce n’est pas compatible avec les niveaux de rentabilité à deux chiffres qu’exigent sans attendre les fonds d’investissement.

Alors, puisque le banquier est gourmand ou pressé (ou les deux !), il peut être tenté d’opter pour une autre méthode pour gagner beaucoup et vite : détourner l’argent de quelqu’un d’autre ; celui de ses clients, pourquoi pas (quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites) … Ainsi, on pourra passer de l’ordre de grandeur du pourcent à celui de la dizaine de pour cents : dix fois plus, dix fois plus vite !

 

A cet effet, il invente alors des « produits complexes » qu’il présente de façon avantageuse. D’autant plus complexes que leurs notices réglementaires sont très soigneusement rédigées dans un jargon rigoureusement hermétique. Cette logorrhée est des plus intentionnelles : il s’agit de masquer autant que faire se peut une mécanique diabolique et de ne pas mettre la puce à l’oreille.

Au lieu de travailler, comme dans l’autre méthode, plus classique, plus éthique, pour le service de ses clients, le banquier agit alors contre leurs intérêts, il les lèse. Mais, fort heureusement pour lui, ce n’est que lorsqu’ils s’en aperçoivent que cette stratégie se paye au prix fort, non négligeable : la perte définitive de leur confiance ! Cocus, battus, mais pas contents pour autant …

Il est très clair que les banques (toutes les banques) qui ont proposé des fonds à formule (ou à promesse, l’un et l’autre se dit ou se disent) ont basculé dans ce schéma depuis au moins une dizaine d’années !

Pourtant, les gens raisonnables ne recourent pas aux casinos pour y faire fructifier leurs économies ; cela ne leur viendrait même pas à l’esprit tant ils sont conscients des risques démesurés auxquels ils s’exposeraient. Ils préfèrent, à juste titre, la première logique, celle de l’investissement. Pour les faire souscrire à leurs fonds à promesse, les banques ont persuadé leurs clients qu’ils plaçaient leurs avoirs dans des entreprises performantes cotées en Bourse, sélectionnés grâce au savoir éclairé de leurs experts. Or, c’était faux : elles ont donc menti, trompant délibérément leurs clients. Elles les ont entraînés, à leur insu, dans la seconde logique, celle du pari : elles ont donc abusé de leur confiance !

Et s’il devait être démontré un jour que les dés sur lesquels reposaient ces paris étaient pipés dès la conception, alors on frôlerait purement et simplement l’escroquerie. « Savoir quoi n’est pas l’affaire, MAIS de quel juge l’on convint » ; or en l’occurrence, la banque était ce juge … en même temps qu’elle était partie, partie adverse qui plus est : chaque fois qu’un client perdait son pari involontaire, elle gagnait le sien et raflait la mise !

Les actuels dirigeants l’avouent d’ailleurs à demi-mot, en se précipitant sur les petits écrans pour y prôner la « moralisation » de la profession. Au premier rang des témoins de moralité, on a d’ailleurs plaisir à remarquer le ci-devant haut responsable du Crédit Lyonnais ; c’est criant d’authenticité ! Mais les dégâts sont là, et la révolte gronde dans les rangs des victimes de ce choix honteux ; ils demandent réparation aux cris de : « Pas d’amnistie pour les banquiers truands ! ».

Le client était roi ; le consommateur ne l’est plus ! Ou alors c’est celui que l’on invite parfois à dîner et que célébrait Georges Brassens, naguère (http://paroles-de-chansons.abazada.com/) !…

Alors, puisqu’en France, tout finit par des chansons, laquelle choisira-t-il finalement d’entonner ? « Dansons la Carmagnole » ? « Ah, ça ira » ?