Le jour de ses 8 ans, en passant devant le château fort, Louis décide de s’en approcher. Il a entendu dire qu’un des jeunes du village aurait croisé un jour les châtelains, et se serait vu inviter à souper.

 

Louis est intimidé par la hauteur de la porte qu’il regarde attentivement, en cherchant à glisser un œil curieux à l’intérieur de l’enceinte. Les deux battants en fer forgé sont arrondis, et entourés par un cadre carré très épuré. La partie supérieure est ornée d’un haut-relief ballonné de sphères alignées.

 

Au milieu, en partant du centre, il y a d’abord une immense anse semblable à un pavillon d’oreille, puis une grosse poignée ronde avec huit pétales métalliques. Au-dessus de chaque gond se dresse une figurine en forme de chien aux minuscules ailes dorées.

Dans le segment du bas se dessine un soleil. L’enfant touche sa surface lisse et bombée, déclenchant de façon imprévue le déverrouillage des serrures. La porte s’ouvre lentement dans un grincement strident.

L’enfant penche sa tête et aperçoit une pièce carrée sans fenêtres. Le mur en face est entièrement recouvert de tapisserie aux teintes bordeaux, ocre, marron, jaune et noir qui semblent bouger, se déplacer, comme un arbre aux mille serpents.

Des coussins deux fois plus grands que Louis, en tissu rouge satiné, sont disposés à plusieurs endroits, sans ordre apparent. Une odeur douceâtre et épicée flotte dans l’air. À droite de l’entrée se trouve un long couloir où de hautes fenêtres aux rideaux de velours épais font face à une armée interminable de bougies toutes allumées.

Il continue d’avancer sur la pointe des pieds à travers les ombres, comme dans un tunnel. La porte laissée derrière lui se referme brusquement, le faisant bondir. Il court alors de toutes ses forces jusqu’au bout du corridor, avant de réussir à se réfugier dans une pièce voisine. Il n’a encore croisé personne dans ce château, mais devant lui se trouve une longue table avec un repas chaud et fumant. Les chaises lui semblent bien petites par rapport à sa taille.

Tandis qu’il observe l’endroit, un chien aboie de l’intérieur de la cheminée. Ce n’est que lorsqu’il s’accroupit qu’il voit la cachette derrière la fausse façade. Louis rampe pour passer de l’autre côté et se retrouve dans une minuscule pièce carrée inondée de lumière.

Lorsque Louis se relève, sa tête cogne contre la lucarne du plafond. Le petit animal aux ailes dorées, gros comme sa main, s’envole entre ses jambes et s’enfuit à travers l’ouverture laissée derrière lui.

L’enfant décide de rebrousser chemin pour aller à sa poursuite, mais il s’aperçoit avec effroi qu’il a grandi et ne peut plus traverser. Son cœur s’emballe. Il remarque alors le tapis au sol qui lui rappelle l’arbre aux mille serpents du mur derrière la porte d’entrée du château. Sa tête tourne. Il trébuche. Le plancher s’enfonce sous ses pieds, et il se sent chuter dans le vide, emmêlé dans le tapis.

Il pousse un cri en atterrissant sur un des gros coussins de la première salle. L’ouverture dans le plafond par laquelle il est retombé se referme brusquement. Il se remet sur ses pieds en vitesse et prend la porte d’entrée.

Louis constate qu’il a retrouvé sa taille normale et que les champs qui jouxtent le château sont tels qu’il les avait laissés. Il repart chez lui en courant et un petit chien le suit. Il n’a pas d’ailes cette fois-ci…