Désolé, Claude Guéant a raison d’énoncer à propos des islams : « l’accroissement du nombre des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent problème… ». Bien sûr que cela pose problème, tout comme l’essor du protestantisme et de certains comportements de protestants ont posé problème à la royauté, à l’église catholique romaine, et à la majorité des Françaises et des Français d’alors. Et bien, à tout problème, il y a une solution, peut-être bancale, sans doute peu immuable, qui n’est pas forcément la Saint-Barthélémy ou l’Édit de Nantes. Foin de comparatisme, mais un peu de réflexion.

Cela gêne qui que des cimetières musulmans soient orientés vers la Mecque ? Les urbanistes, peut-être, sans doute par ignorance. Lotir un cimetière avec des stèles musulmanes alignées vers La Mecque n’est pas du tout un problème insurmontable. C’est quand même moins problématique que les Italiens fêtant chaque nouvelle année en balançant de la vieille vaisselle par la fenêtre (en général, les musulmans ne meurent qu’une fois…) ou des rites païens qui, généralisés, conduiraient à détruire les sous-bois des forêts. En revanche, non, stop, halte à la démultiplication des mosquées. Ce sont des bâtiments largement sous-employés, dont l’entretien est ruineux, le bilan énergétique pas vraiment conforme au souhaitable, etc. Si nous devions en laisser ériger au prorata des fidèles et du nombre des édifices religieux catholiques romains compte tenu de leur fréquentation, bonjour les dégâts et le casse-tête des plans d’occupation des sols.

Cela me m’aligne-t-il avec l’argumentation de Riposte laïque ? Non. D’une part, et ce n’est pas négligeable, je ne vois pas pourquoi il faudrait s’associer avec ceux qui, quoi qu’ils en disent, ne voient en Marine Le Pen qu’une nouvelle Immaculée Conception. D’autre part, leur vision d’un islam mythique, immuable, un et indivisible, tend à la caricature de bas étage.

Le Parti de gauche voudrait remettre en cause le Concordat en Alsace-Lorraine. Fausse bonne idée peut-être, moindre mal à mes yeux. Pourtant, pourtant, pour l’avoir vécu un peu, je lui ai trouvé bien des avantages. Non seulement il permet des initiatives sociales non négligeables et profitant à toutes et tous (enfin, si ceux qui n’en sont pas les bénéficiaires directs n’y voient pas leur intérêt, soit de subir moins d’incivilités, par exemple, c’est qu’ils sont moins intelligents qu’ils le pensent). Par ailleurs, ce n’était guère contraignant, mais un peu plus formateur aux faits de civilisations que le caté à la sauvette et prosélyte de dames patronnesses bien intentionnées.

Beaucoup de pasteurs, abbés, rabbins, &c., bien formés, permettent à de futurs adolescents d’écrire leur « Livre blanc » (référence maçonnique qu’il ne faut pas prendre ici à la lettre). Former des imams n’empêchera peut-être pas davantage la prolifération de sectes plus ou moins intégristes, plus ou moins fondées sur la négation des libertés individuelles, que ce que produit la vulgate catholique romaine, protestante (celle des deux consistoires), celle d’un rabbinat qui n’est d’ailleurs pas plus monolithique que d’autres clergés. Mais, oui, cela « pourrait le faire ». Allez savoir. C’est un pari. De toute façon, le fait religieux, qui finit par travestir une recherche spirituelle qui est sans doute le propre d’une bonne partie de l’humanité, n’est pas de sitôt éradicable. La preuve : la, les Saint-Barthélémy (celles des provinces), n’ont pas suffi. La principale, parisienne, a « raté » les protestants du faubourg Saint-Germain et de la rive gauche. Heureusement, sans doute pas que pour eux-mêmes. Sarkozy n’a pas tout à fait tort : la France (et sans doute même la Bretagne) est éventuellement redevable à des rabbins, des curés, des ministres de divers cultes, de ce qu’elle a de moins moche… mais aussi, inversement. Pourquoi pas, pour l’avenir, aussi, des imams ? Qui se chamailleront entre eux, tout comme les autres religieux.

Les Britanniques sont très attachés à l’égalité devant la loi, les Français proclament qu’ils sont attachés en sus à l’égalité des chances de réussite sociale. Alors, pour l’égalité devant la loi, on a le choix, soit l’extension du Concordat à l’ensemble du  territoire français, avec aussi ce que cela implique : le vaudou aux Antilles françaises et en Guyane, à La Réunion, est-il le fait de sous-citoyens ? Ce qu’il y a de bien avec le vaudou, c’est que, pour l’instant, il se contente de temples pas trop fastueux, pas trop gourmands en espace, en réseaux d’adduction d’eau et autres, &c. Mais cela n’a rien d’intrinsèque. On peut toujours mieux faire, c’est comme la course aux armements. Plus on processionne, mieux ont attire les âmes, soutiennent peut-être toujours les gérants des sanctuaires de Lourdes, Lisieux et d’ailleurs. Pour ceux des autres sanctuaires, c’est pareil. Laissez-leur donc une chance, en sus, c’est censé être bon pour le tourisme et la balance commerciale…

Question égalité des chances, je ne vois pas trop au nom de quoi les enfants de familles musulmanes n’auraient pas droit à des établissements censés favoriser une meilleure adaptation des rythmes scolaires à leurs rites. Bien sûr, c’est gênant pour le peu d’industrie restant en France et trouvant son compte à des fermetures au mois d’août. Le mois d’août, il revient d’août en août ; la période du ramadan, c’est fluctuant et elle peut coïncider avec d’autres, de pleine montée en charge et de plein des carnets de commandes. Subventionner des centres de vacances pour les enfants des écoles musulmanes, cela n’irait pas trop de soi, car pas mal d’établissements scolaires (en particulier confessionnels) qui font le plein en se louant en juillet-août pour accueillir de jolies colonies de vacances risquent de voir s’échapper une partie de leur clientèle : tout plein de petits musulmans manquant à l’appel. Ce n’est certes pas insurmontable, mais j’avais cru comprendre que le budget des communes, des collectivités territoriales et de l’État ne permettait plus trop de multiplier les jardins d’enfants et les centres aérés. Parfois, les grands principes entrent en conflit avec certaines réalités bien crasses, terre à terre, de l’ordre de l’intendance qui ne suit plus toujours.

Je comprends fort bien que messeigneurs les évêques, archevêques, prélats et nonces, ne veulent surtout pas d’un débat sur la laïcité. Soit il peut conduire à devoir partager le gâteau, dont il faudra financer des parts supplémentaires (là, idéalement, tout le monde y trouve son compte… sauf que… il n’y a plus grand’ chose dans les caisses). Soit, au contraire, il mènera l’opinion à s’intéresser à d’autres choses qu’au blabla habituel du genre : rôle civilisateur des religions, espoir de création d’un islam de France un peu moins wahhabite ou un peu plus chiite ou soufi, atténuation d’un présumé antisémitisme qui se généraliserait, je vous en passe, des plus dignes de débats onctueux ou houleux.

Que se passerait-il si le débat échappait aux visées de l’UMP ? Si au lieu de parler voile et signes ostentatoires, le contribuable s’intéressait aux lieux de culte de la même manière qu’il peut se poser la question des salles et terrains de sport, du financement des stades, des manifestations sportives lourdement déficitaires, &c. ? C’est bien des lieux de culte : cela s’inaugure en grandes pompes, on coupe des rubans, on a sa bobine dans la presse locale. Cela mobilise aussi le personnel de la préfectorale (voire celui de la magistrature, d’autres corps, qui doivent faire une apparition à diverses cérémonies), un peu comme celles des grandes confréries gastronomiques et vineuses, les grands salons (genre celui de l’agriculture), et lors de diverses visites protocolaires.

On le sait, le pape catholique apostolique et romain est un chef d’État. Pour le grand mufti de Jérusalem ou le grand rabbin d’Odessa, je ne crois pas, mais j’imagine qu’ils ont droit à un minimum protocolaire. Et le révérend Moon, alors ? Déjà que Tom Cruise, de la Scientologie, a eu droit à quelques égards élyséens, que la prochaine visite du successeur du dalaï lama devra mobiliser quelques diplomates et gardiens de la paix, il va bien falloir aussi ne pas trop vexer les mollahs en vadrouille. Bon, au moins, avec « notre ami le roi », Mohamed VI, on fait d’une pierre deux coups : on reçoit le moulay (l’ouléma alaouite) autant que le souverain.

Parce qu’il ne faut croire qu’un Islam à la « framçaise » serait un club de vacances où tout le monde, parce qu’il chantera la gloire d’Allah en français, ne se présentera pas à l’image de l’idéale fédération de boules à rouler par terre : il y a la boule de fort (« jeu patrimonial ligérien », la bourle, la boule lyonnaise et nantaise, la pétanque, je vous en passe. Certes, les uns et les autres conviendront peut-être qu’ils peuvent partager les mêmes mosquées, mais sans doute pas les mêmes imams ou mollahs dont il faudra subventionner les formations initiales et permanentes. Et puis il y a les aumôniers militaires : là, le patriarcat orthodoxe de Moscou nous consacre un temps partiel à la Légion étrangère. Je rappelle que « les dépenses d’investissement et de fonctionnement des lieux de culte ou locaux mis à la disposition des services d’aumônerie sont à la charge des établissements avec la participation éventuelle des collectivités publiques. ». Cela tombe bien, les lieux de culte sont le plus souvent interconfessionnels, comme d’ailleurs dans la plupart des prisons. L’aumônier militaire débute à l’équivalent du grade de lieutenant premier échelon, plafonne à celui de lieutenant-colonel.

Notez bien que je reconnais tout à fait le rôle social et humain des aumôniers militaires et des lieux de détention : si on raisonne économiquement, il convient aussi d’envisager tous les aspects, qui ne sont pas que comptables.

Mais voyez un peu où pourrait mener ce débat : pourquoi tant d’églises (catholiques) majoritairement, tant de temples (plus rares, mais qui sont loin de faire toujours le plein) ? Le regain d’un certain communautarisme (sens commun, disons, pas controversé) juif fait qu’il semblerait que les synagogues soient, proportionnellement, plus fréquentées que d’autres lieux de culte. Pour les mosquées, c’est un peu plus coton à estimer : il ne suffit pas de mettre des inspecteurs avec des compteurs à l’entrée des mosquées puisqu’il est impossible de recenser la population musulmane, sauf, évidemment, lors d’un recensement sérieux comportant une question sur la pratique confessionnelle (ce qui n’est guère à l’ordre du jour) ou son absence. Alors que fait-on ? On déshabille Pierre (les cultes chrétiens) pour habiller Paul (les autres, tous les autres) ? Déshabiller Pierre ne suffira pas à vêtir Paul en toute équité : même si les uns ont droit à un costume trois-pièces et que les autres se contenteraient d’une robe de bure (ou d’une toge de bonze), il faut leur allouer… quoi au juste ? Ce qu’il y a de bien avec l’aumônerie militaire, c’est que c’est pratiquement le même uniforme pour tout le monde.

Ah oui, au fait… Ne prenez que les églises orthodoxes et recensez le nombre des autocéphales (genre roumaine…) : plus d’une douzaine, non ? En comptant la bicéphale tchèque et slovaque qui a eu la bonne idée de rester vaguement tchécoslovaque – un peu comme la catholico-gréco-serbo-monténégrine –, on peut arriver à la quinzaine. Ah, oui, mais, c’est des cultes. Tandis que par exemple, la franc-maçonnerie, avec sa foultitude d’obédiences, ce n’en serait pas un ? Au nom de quoi ? Du fait que les capitations permettent de louer – fort cher – ou d’acheter de rares lieux de pratique et de réunion ? Eh, on allait oublier la, ou plutôt les franc-maçonneries. Pas question !

Bref, le coup de main aux cultes, c’est un peu comme celui de pied dans la termitière. Et puis, pendant qu’on y est : pourquoi pas une dotation à la hauteur de celle accordée aux partis politiques, dont on connaît si bien (allons donc…) le nombre de militants à jour de leur cotisation ?

Vous avez raison, Claude Guéant, Baroin, quelques autres : il y a comme un problème, discutons-en.

D’autres questions, d’autres commentaires ? Le problème vous semble bien posé ? Eh bien, détaillez donc vos solutions. Parce qu’en fonction de ces solutions, dans un an, nous aimerions nous déterminer pour voter.