Alors que l’Union Européenne s’apprête à réformer une nouvelle fois la Politique Agricole Commune, voici le compte-rendu d’une table ronde organisée par la Fondation Nicolas HULOT et qui s’est déroulée le 16 mai dernier à l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse. Sur le thème:

Face à l’artificialisation croissante, quelle place pour les terres agricoles ? Pourquoi et comment les sauvegarder ?

 

http://darymon.eklablog.com/face-a-l-artificialisation-croissante-a99178271

 

 

LES INTERVENANTS

 

 

    Marc DUFUMIER est agronome, enseignant à AgroParisTech, et conseiller de la Fondation Nicolas HULOT [http://www.fondation-nicolas-hulot.org/]. Cette dernière est à l’origine du mouvement I field good qui a pour objectif de faire infléchir la prochaine réforme de la PAC dans le sens de ses propositions.

 

 

    Philippe CACCIABUE est directeur de la foncière Terre de Liens [http://www.terredeliens.org]. Son activité consiste à acquérir des terres pour les céder ensuite à des agriculteurs qui n’auraient sans cela pas pu s’installer.

 

 

 

    Philippe POINTEREAU est directeur du pôle agroécologie de l’association Solagro [http://www.solagro.org/]. Il a présenté au cours de son intervention le scénario « Afterres 2050 »  élaboré par l’association.

 

 

 

Vous trouverez ci-dessous une sélection de verbatims (citations) rendant compte du contenu de la rencontre. Celle-ci est découpée en deux parties : d’abord les monologues des intervenants, puis quelques questions posées par l’assistance, avec leurs réponses.

 

 

LES MONOLOGUES 

 

Marc DUFUMIER  « Lorsque l’on dit artificialisation, on pense à bitumage. Hors, nous avons avec les bocages l’exemple d’une artificialisation intelligente. Les bocages n’ont rien de naturel. »

« L’azote qui fertilise les algues vertes du littoral breton, il a été prélevé dans de l’air brésilien! »

« A l’échelle de la planète, je suis techniquement optimiste. Quant à savoir si je suis politiquement optimiste, je crois que je préférerais qu’on ne me pose pas la question.»

« Dans des écosystèmes complètement dénaturés, il est normal que le bio fasse des rendements plus faibles. »

« Il faut impérativement stopper l’extension des villes qui tend à occuper les meilleures terres agricoles. »

 

Philippe POINTEREAU  « En 2050, il y aura 72 millions d’habitants en France. »

« On perd 80000 ha de terres agricoles par an. »

« L’habitat individuel consomme 37 fois plus que l’habitat collectif. »

« Depuis 2000, en Europe, les rendements agricoles stagnent. »

« La production agricole française est en décroissance depuis les années 90. »

« 82 % des terres agricoles sont utilisées pour l’alimentation animale. / Les vaches ne sont plus des ruminants ! (ironie) Elles ne se nourrissent pour l’essentiel plus d’herbe mais de céréales. »

« La solution consiste en un changement de mode de consommation alimentaire. En particulier : passer de 62 % aujourd’hui à seulement un tiers de protéines animales. »

 

Philippe CACIABUE « Toutes les semaines, 200 fermes disparaissent. / Un paysan arrête toutes les 50 minutes ! »

« Ceux qui restent sont dans une logique industrielle, de rentabilité, soumis aux lois du marché. »

« Les banques prêtent préférentiellement à des projets qui entretiennent le système tel qu’il est. »

« Pour devenir agriculteur, aujourd’hui, il faut soit être riche au départ, soit s’endetter sur deux générations. »

« En 1976, PISANI a été le seul à proposer la reprise du contrôle des terres par l’Etat. Conseil de lecture : Utopie foncière, de PISANI. »

« A cause de la logique plus on a d’ha/plus on a de primes, on a une course à l’agrandissement. »

« La terre est devenu un objet spéculatif. »

« Personne ne prend en charge le problème, que tous les dirigeants connaissent. »

 

 

QUELQUES QUESTIONS DU PUBLIC

 

Y’a-t-il une prise en compte du problème que pose l’artificialisation au niveau de l’Union Européenne ?

P.P. Pas de règles européennes, seulement des règlements nationaux.

P.C.Il n’y a pas l’ombre de l’embryon d’une prise en compte du problème par l’UE.

 

M.DUFUMIER, êtes-vous politiquement optimiste ?

M.D. La somme des comportements individuels a un impact macroéconomique. L’attrait autour du bio a un impact. Aujourd’hui, on peut dire que la France perd des parts de marché sur les produits bio. Je ne serais optimiste politiquement que si ce mouvement continue.

P.P. En Allemagne, 5 ministres de l’agriculture sont des Verts (au niveau des landers). Aujourd’hui, on a un gouvernement de gauche qui ne fait rien, qui distribue encore des primes à des riches. Et il y a un deux poids/deux mesures : en Montagne, les aides sont plafonnées à 50 ha.

Au niveau de l’UE, chaque pays tire la couverture à soi.

Pourquoi le principe pollueur-payeur n’est-il pas appliqué en agriculture ?

MONSANTO est en train de racheter les boites de semenciers.

SYNGENTA fait une campagne pour défendre les abeilles alors que ce sont SES produits qui tuent les abeilles. A ce niveau-là, on est dans le vicieux.

A Solagro, nous avons une demande par semaine pour présenter notre projet Afterres 2050.

 

 

La reconquête des terres artificialisées est-elle possible ?

P.P. La ville du futur, ce sera une ville-jardin. Y’aura des moutons, des abeilles, des arbres fruitiers…

 

Que pensez-vous de l’agriculture verticale ?

M.D. Il y a beaucoup de supercheries. Par exemple, les cultures auront toujours besoin de lumière. J’en entends parler de faire des tours de culture avec de la lumière artificielle, vous voyez où ça nous mène ! Aujourd’hui, on observe un développement de la culture sur toits, mais ça ne représentera jamais qu’une faible surface.

P.C. Le véritable enjeu, aujourd’hui, est sur le pourtour des villes. Le gros problème est le prix exorbitant du foncier.

 

 

CONCLUSION

L’état des lieux est alarmant, et le sujet pourtant très peu relayé par des médias s’adressant à une population française devenue majoritairement citadine au fil des décennies. Les constats évoqués par les trois intervenants n’ont rien de nouveau mais ils tonnent toujours avec la même acuité. Les décennies qui s’annoncent vont faire d’un changement de mode de consommation alimentaire, mais aussi d’un changement de l’attention portée par tout un chacun à l’agriculture, d’impératives nécessités. Au programme des grands dossiers auxquels il faudra donner corps: le développement de l’agriculture urbaine (jardins collectifs, potagers sur les toits,…), la mise en place d’une politique de préservation des terres agricoles fertiles face au bitumage, la réduction de la consommation de protéines animales (viande mais aussi produits laitiers), et bien sûr la régulation d’une mondialisation qui tend à devenir absurde (à plus forte raison pour ce qui a trait à l’alimentation, les promenades en avion de produits sur des milliers de kilomètres sont une catastrophe tant sur le plan écologique que sur celui de la qualité des produits).

Restons néanmoins, avec Marc DUFUMIER, optimistes. Les changements à mettre en oeuvre n’ont en effet pour la plupart rien d’utopiques, et certains sont d’ores et déjà en cours.

 

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