La scène s'est déroulée le 25 octobre dernier mais elle nous avait échappé. Un aimable correspondant nous a alerté sur la vidéo (voir à la fin de cet article) tournée durant l'audition d'Arnaud Lagardère devant la Commission d'enquête parlementaire à propos de l'affaire EADS. L'échange reproduit est proprement hallucinant.

Jérôme Cahuzac, député socialiste, l'interroge ainsi : "puisque vous avez parlé de l'aide que vous a apportée le ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, M. Sarkozy, quelle fut cette aide ?" Réponse de Lagardère : "Alors, on a droit à un joker ici, hein, non ? un seul ? eh bien, je veux bien appeler le public, appeler un ami, demander un 50/50, moi je sais pas… Je fais ce que vous voulez mais, très franchement, je préfère ne pas répondre à cette question."

Eclat de rire général. Non mais on rêve !

Voilà un homme qui a retiré un bénéfice de deux milliards d'euros de la revente de ses actions EADS et sur qui pèsent de lourds soupçons de délit d'initié : il a vendu deux semaines après qu'un document interne alertait les dirigeants d'EADS à propos des retards de livraison prévus pour les appareils A380, retards ayant déclenché, une fois annoncés publiquement, la dégringolade vertigineuse que l'on sait. Pour corser l'affaire, une réunion entre dirigeants s'est tenue le lendemain de l'envoi du document interne en question… mais sans qu'ils abordent le sujet, veut-on nous faire croire sans rire !

De la même façon que Lagardère ne plaisantait pas en déclarant : "J'ai le choix entre passer pour malhonnête ou pour incompétent, qui ne sait pas ce qui se passe dans ses usines", précisant qu'il fallait retenir la deuxième alternative. Ben voyons. Dernier épisode en date, l'Autorité des marchés financiers, le gendarme de la bourse, a dénoncé un "délit d'initiés massif", concernant 1200 dirigeants. Tout ce monde-là, au plus haut niveau, et pas Lagardère ? C'est ce qu'il prétend, même s'il faut beaucoup de bonne volonté pour ne serait-ce que faire semblant de croire à ses sarko_doigt_point_balivernes. Ajoutons la circonstance aggravante que la lucrative opération de Lagardère a en partie été réalisée sur des fonds publics, la Caisse des dépôts et consignations y étant allée de 126 millions d'euros de perte après impôt.

L'affaire est donc tout sauf anecdotique. Ajoutons que le Président Sarkozy a déjà présenté en public Lagardère comme son "frère". Et voilà donc cet homme que tout accuse, interrogé par un élu de la République dans le cadre d'une Commission parlementaire, qui se permet de plaisanter et refuse de répondre sur la nature de l'aide apportée par son "frère", justement, alors ministre de l'Economie ! Et le Président Sarkozy, qui ne cesse d'invoquer la transparence, qu'en dit-il ?

On peut penser que des journalistes vont le questionner là-dessus. Ah pardon, non, personne ne le lui demande… Pauvres médias. Comme s'il était normal qu'un ministre aide personnellement un grand patron, fût-il son ami intime ! On croyait que les membres du gouvernement devaient s'occuper de l'intérêt général, non favoriser des intérêts privés… Alors comment Sarkozy a-t-il aidé Lagardère ? Dans une démocratie, on est tout de même en droit de le savoir ! L'homme d'affaires est-il si intouchable qu'il se permette de ridiculiser une Commission parlementaire et de l'envoyer bouler ? Non, Lagardère, vous n'avez pas droit à un joker ! Si nous étions encore dans une vraie démocratie, les parlementaires exigeraient une réponse. Là, ça fait rire tout le monde. Cette république est bananière, décidément.

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