Alors que Coca-Cola ou Shell devenaient omniprésents de par le monde, le label La Voix de son maître connaissait un égal succès de reconnaissance… Mais le petit fox terrier pointant son museau dans le pavillon d’un Gramophone™ a depuis disparu de notre environnement visuel. Mais qu’est donc devenu Nipper ?

La génération née lors de l’immédiat après-guerre se souvient bien sûr des automobiles Panhard qu’à présent, pratiquement seuls les militaires savent identifier (ce sont des véhicules à roues dits de l’avant). Mais, avant de goûter aux joies de tourne-disques Teppaz ou des premières radios à transistors, ses goûts musicaux lui ont été plus moins dictés par les disques La Voix de son maître, relayés par la TSF (la radio analogique).

Récemment, nombre de sites d’information ont relayé la page d’un collectif de graphistes, Stock Logos, proposant la vente de logotypes, qui réunit en les confrontant d’anciens et actuels logos de marques diverses. Divers journalistes ou animateurs de sites français ont répercuté (en pompant carrément la page) sans relever que le logo montrant le fox terrier Nipper devant un tourne-disques 78 tours avait aussi connu son heure de gloire hors de la sphère de RCA Victor (devenue RCA) qui en détenait les droits pour les États-Unis.

Ce qui m’a incité à tenter de découvrir ce qu’était devenu Nipper, au moins en France. La réponse est simple, il doit croupir dans les archives de Vivendi (ex-Pathé-Marconi). Mais quel chemin pour Nipper depuis qu’à la mort du décorateur de théâtre Marc Barraud, son nouveau maître, Francis, un peintre, le recueillit  et décida de l’immortaliser en ce qui devint l’un des plus célèbres tableau du siècle passé.

La toile initiale, terminée en 1899, intitulée d’origine en anglais « His Master’s Voice », fut reprise par Francis Barraud qui conserva Nipper mais transforma le tourne-disques d’origine en un récent modèle de la marque Gramophon Company. Le Londonien W. B. Owen, qui la dirige, achète immédiatement le tableau pour cent livres, et utiliser Nipper en lieu et place du précédent logotype (un petit ange effleurant un disque d’une plume).

Gramophon devient Gramophone en France, et EMI au Royaume-Uni. Mais il émigre hors d’Europe dans le giron de RCA Victor, et sans doute ailleurs à la suite de divers accords commerciaux. En France, vers 1984, Gramophone crée la Fondation Pathé-Marconi qui devient éditeur de disques puis une marque d’appareils divers (radios, tourne-disques, téléviseurs…).

En 1990, Pathé-Marconi devient EMI France pour sa composante musicale. Nipper a déjà été délaissé au profit d’un anonyme coq bleu sur fond jaune (ou or sur fond noir) qui sera stylisé, puis abandonné. Pendant un temps, selon les produits et les campagnes de publicité, Nipper et le gallinacé cohabiteront ou non. Nipper a été actualisé et stylisé par l’illustrateur Villemot, mais il retrouvera sa silhouette originale en 1997, pour un coffret de dix CD célébrant le centenaire d’EMI.

Retour de renommée éphémère puis, depuis la fin du siècle dernier, Nipper est rarement réapparu, si ce n’est sur des sites de nostalgiques.
Mais le slogan « La voix de son maître » a été maintes fois détourné, par les étudiants des Beaux-Arts de 1968, qui représentaient la silhouette du général de Gaulle surmontant un téléviseur, et divers successeurs.
Dernière manifestation en date, sur un site complotiste, un Sarkozy apparaissant à l’écran d’un téléviseur dont l’antenne évoque l’étoile de David.

Nipper appartient désormais au passé, comme le phénix de la Fondation Mozilla (remplacé par le renard du navigateur Firefox), ou comme le bouddha des caméras et appareils photo Kwanon (devenue Canon), ou la cloche du groupe Bell (AT&T et diverses autres firmes à présent).

Mais peut-être le retrouvera-t-on avec un téléphone portable accroché au collier et des écouteurs enfoncés dans les oreilles.

Néanmoins, Nipper n’a pas tout à fait disparu des mémoires. Mais parfois, il se transforme… en chat, pour une pochette de disque du chanteur Renaud interprétant G. Brassens…

La vie d’un logotype est parfois durable, parfois courte, et le Johnnie Walker de la marque de scotch, après avoir disparu à la fin des années 1980, est revenu, stylisé, perdant sa redingote de chasseur de renards pour une livrée dorée (sauf pour la gamme Red Label). Le 23 mars 2012, Johnnie Walker, créé en 1820 à Kimarnock, cesse d’être produit dans cette localité.

Ah oui, au fait, j’allais oublier… Qualifier un enfant de bébé Cadum reste un compliment adressé par une ou un adulte le plus souvent à l’un de ses parents. Mais sur les cours de récré des maternelles ou petites classes, c’est quasiment devenu une insulte entre enfants… Cela a bien sûr peu à voir, mais cela donne une idée de l’évolution qu’on se fait des marques…