Il n’y a pas de raisons de s’inquiéter, cherche à convaincre le président de La Poste, Jean-Paul Bailly : son projet n’est pas une privatisation mais une simple ouverture de capital, et les missions de service public ainsi que le statut des agents seront préservés. L’ennui, c’est qu’on nous disait exactement la même chose à propos de France Télécom, comme le rappelle L’Humanité : "Les discours sont quasiment du copié-collé  », appuie Patrick Ackermann, responsable SUD PTT à France Télécom. En 1996, le gouvernement d’Alain Juppé transforme l’opérateur téléphonique public en société anonyme, en vue d’une ouverture du capital, qui est finalement effectuée en octobre 1997 par le gouvernement de la gauche parvenue entre-temps au pouvoir. « À l’époque, on nous disait aussi que les missions de service public étaient garanties, que l’État resterait à plus de 50 % du capital, se souvient le syndicaliste. Très rapidement, l’évolution législative a levé la barre des 50 % et des obligations de service public.  » La participation de l’État, de 79 % après la première ouverture, chute à 62 % en 1998. En 2003, la droite vote une loi autorisant l’État à passer sous les 50 %. Ce saut, qui marque la « privatisation » au sens propre, est opéré en septembre 2004, huit ans après le changement de statut. Aujourd’hui, l’État ne détient plus que 27 % de France Télécom, qui fonctionne comme n’importe quelle entreprise privée." Autre fâcheux précédent, la déclaration de Nicolas Sarkozy en 2004 : "L’Etat ne descendra pas en-dessous des 70 % dans GDF et dans EDF, c’est clair, c’est net !" On sait ce qu’il advint.

La transformation de La Poste en société anonyme prélude donc bien à la privatisation. Et qu’auront à faire des actionnaires privés des missions de service public insuffisamment rentables ? L’enjeu est clairement énoncé par la pétition lancée par plusieurs partis de gauche (MRC, PCF, PS, PRG) : "De quoi s’agit-il concrètement ? De ne pas sacrifier davantage la présence des bureaux de poste dans les zones rurales et les quartiers populaires, partout où l’activité de La Poste ne peut dégager une rentabilité importante. D’améliorer les conditions de distribution du courrier et d’accueil des usagers, et non de les moduler en fonction de l’intérêt financier des zones couvertes. De garantir le prix unique du timbre, de pérenniser la distribution six jours sur sept, supérieure aux obligations européennes."

lhnÉcoutons enfin l’avis de Liêm Hoang-Ngoc, économiste maître de conférences à l’université Panthéon-Sorbonne et membre du Conseil national du parti socialiste, recueilli par Le Monde : "Ouvrir le capital de La Poste serait commettre une erreur monumentale, à l’heure où les marchés financiers s’effondrent, à l’heure où nous n’avons jamais eu autant besoin d’un pôle financier public stable. Il serait malvenu de privilégier une logique financière de court terme, une vision dogmatique de l’économie, alors que les événements récents nous offrent l’occasion de conforter des institutions comme La Poste et La Banque postale, ou la Caisse des dépôts et consignations (CDC). J’observe d’ailleurs que les dogmatismes ne sont pas où l’on croit, puisqu’aux Etats-Unis on remet de l’Etat dans l’économie ! La Poste est une entreprise de réseau par excellence, avec des coûts fixes importants pour couvrir tout le territoire. Ceux-ci ne seraient pas tolérés par des actionnaires privés, très exigeants en termes de rentabilité. La Poste serait forcée de réduire l’étendue de son réseau de bureaux de poste – qui a déjà été beaucoup allégé – ou à revoir la qualité des prestations. Avec la privatisation de La Poste, adieu les petits bureaux de Poste de campagne, fini le courrier au même prix sur tout le territoire ! On va détruire du lien social. Il est grand temps de mettre fin au dogmatisme de Bruxelles, qui nous impose un modèle libéral inadapté au marché et aux besoins des consommateurs européens. Dans quelques années, l’Etat devra se réengager, pour réparer ce qui a été détruit. Le modèle de services publics à la française a ceci d’intéressant qu’il permet une tarification au coût marginal pour les citoyens. Par ailleurs, le moment n’est pas franchement propice à une privatisation ! Les banques privées n’ont-elles pas déjà du mal à accroître leurs fonds propres ?"