C’est vrai, pour répondre à l’un des commentaires de Nadine, que tous les gens ne sont pas dans la même aisance, en France et dans les autres pays d’Europe; qu’au contraire le fossé entre riches et pauvres est partout en train de se creuser; que les "vieux" sont de plus en plus pénalisés, d’une part en raison d’une hausse de la durée de vie des gens suite aux progrès de la science et de la médecine, et d’autre part en raison du babybom des années 1950-1970 qui fait qu’il existe aujourdhui un grand nombre de personnes âgées en quête d’une rente vieillesse qui a tendance à baisser chaque année, comparés à des jeunes qui eux ont, aujourd’hui même, toutes les peines du monde à trouver un boulot bien rémunéré et à durée indéterminée.
Dans les années 1960-1990, par comparaison, la situation était différente, puisque les rentiers de la vieillesse étaient moins nombreux, comparés à une population active dont le revenu et les emplois étaient mieux assurés qu’aujourd’hui.
Quant aux riches, si l’on exclut les grandes fortunes héritières de l’ancienne noblesse, ils forment aujourd’hui – eux, les nouveaux riches – une sorte de caste composée de gens qui ont fait leurs études dans les meilleurs instituts et qui tous occupent des postes à responsabilité dans les grandes entreprises, les grandes banques, la haute administration et les grandes institutions de la politique.
Et c’est probablement à ces gens-là que pensent Nadine au moment de me corriger sur le thème de la condescendance des Européens.
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En revanche, ce qui commence à manquer, dans les vieux pays d’Europe, c’est l’esprit entepreneurial et la prise de risque de ceux qui acceptent d’investir leur argent dans ces entreprises.
On peut, à cet égard, critiquer les Américains, il se trouve que jamais un Bill Gates ou un Steve Jobs n’auraient pu fonder Microsoft ou Apple en France.
Que l’on regarde, en effet, sous ce rapport, le nombre d’entreprises qui furent créées, aux Etats-Unis, grâce aux starts-up et aux stocks options.
Certes, on peut toujours dire que le krach des valeurs technologiques, durant la période 2000-2002, fut la résultante de ce système. Il n’empêche que les Américains sont beaucoup plus actifs que les Européens, car dotés d’un esprit bien plus entrepreneurial qu’eux.
D’où la nécessité, dans les vieux pays d’Europe, de créer puis d’entretenir (à l’image de ce qui se fait dans la Sillicon Valley aux Etats-Unis) des pôles de développement affectés à la recherche et à l’innovation qui, avec le temps, donneront naissance à des entreprises à forte valeur ajoutée et dont l’exploitation permettra à tout un tissu régional de se développer autour de l’entreprise pôle, par un effet de captation de celle-ci sur son environnement.
Or une telle tâche appartient aussi bien aux pouvoirs publics qu’aux institutions privées (songeons aux banques), les deux travaillant en concertation.
En d’autres termes, si le pays désire conserver un minimum d’emploi chez lui, il doit pousser les entreprises au maximum vers l’innovation technologique. Certes, cela ne suffira pas si l’on songe que quantité d’emplois furent détruits par celles des entreprises qui délocalisèrent leurs productions dans les pays à bas salaires, eux qui connaissent d’ailleurs, actuellement, un boom économique pour cette raison.
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Ceci dit un autre problème a surgi, ces dernières années, dans les pays d’Europe : c’est la privatisation des entreprises publiques, non point tant pour développer les innovations ou entrenir les infrustructures jusque là publiques, que pour déréguler le marché du travail.
Ainsi, si l’on prend, par exemple, le chemin de fer dans un pays comme l’Angleterre, les nouvelles sociétés privées, au lieu de moderniser les infrastructures, se sont surtout préoccupées de faire du profit en réduisant, pour le même temps de travail, les salaires de leur personnel.
Et le même constat de valoir dans tous les pays capitalistes développés, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe: à savoir que le rapport revenu du capital / revenu du travail n’a jamais été aussi élevé. Or comme ce taux varie de manière inversement proportionnelle à celui de l’emploi, il ne faut pas s’étonner des fort taux de chômage que connaissent ces pays-là par les temps qui courent, comparés aux années 1960-1980.
Pour autant, il ne faut pas confondre une entreprise qui réinvestit son profit (qu’elle a financé grâce à une baisse momentanée des salaires) dans la recherche et la création de nouveaux produits, et une entreprise qui permet, avec les profits ainsi créés, de générer d’importantes plus values, en bourse, sur les stocks options créés à cet effet.
Tout cela pour dire que le management des entreprises est actuellement orienté vers le profit à court terme, celui qui, tout en rapportant le plus, est aussi le plus volatile.
Mais quant à l’avenir à long terme de l’entreprise, il ne sera assuré que par un important réinvestissement dans l’innovation.
Seulement voilà, dans la mesure où les nouveaux entrepreneurs du monde moderne vivent, aujourd’hui même, sur le parachute doré qu’ils peuvent créer en faisant monter les cours boursiers de leur entreprise, et ce grâce à la cure d’austérité qu’ils leur font subir, en bons financiers spéculateurs qu’ils sont, ces entreprises-là, au lieu de miser sur la croissance à long terme, sont vidées de leur substance au profit des seuls secteurs qui sont rentables à court terme.
ET c’est là que l’Etat doit faire son boulot : il doit contrôler que les efforts, dans la recherche et le développement de nouveaux produits et de nouvelles technologies, sont bel et bien effectués par les entreprises privées, et, si ce n’est pas le cas, financer lui-même ce développement.
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Or l’Etat, durant les trente dernièrs années, a fait tout autre chose. En effet, ce qu’il a surtout fait, par l’entremise de ses gouvernements, c’est de vendre au plus offrant des entreprises publiques déficitaires, ou qui dépendaient d’un secteur public de plus en plus déficitaire.
Il s’agit néanmoins de préciser pourquoi ces entreprises-là étaient déficitaires : elles l’étaient car les prix des services ou des prestations assurés par elles étaient, pour des raisons sociales – liées en l’occurence au pouvoir d’achat des usagers et des consommateurs – inférieurs à leurs coûts.
Or les choses ont commencé à se gâter quand les riches des pays riches, en refusant de payer les impôts qu’on leur demandait jusque là, et qui servaient pour partie au financement des entreprises publiques déficitaires, décidèrent, au lieu de payer des impôts, de financer eux-mêmes la dette publique.
Bref, les mêmes qui payaient jusque là des impôts à l’Etat, prélèveront, sur ce même Etat, des intérêts sur les fonds avancés par eux pour financer les déficits publics.
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Et ce même Etat, pour éviter la faillite, devra mettre les entreprises jusque là déficitaires, sur le même pied que s’il s’agissait des entreprises privées; d’où la suppression de tous les services et de toutes les prestations non rentables (fermeture de telle ou telle gare régionale, de telle ou telle poste, suppression des lignes de transport déficitaires, regroupement des centres de distribution – s’agissant de la Poste – des lettres et des paquets, suppression des banques locales et leur regroupement à l’échelon régional, suppression de tel hôpital régional ou de tel services assurés par lui; etc, etc).
Quant aux membres des gouvernements les plus pourris ou les plus corrompus, ils recevront, en général sur la caisse noire alimentant leur parti, de substantielles commissions de la part des nouveaux actionnaires de ces entreprises publiques gérées désormais comme des entreprises privées.
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Pour en revenir à la place de la France et de l’Europe dans le monde, si l’on se situe dans une perspective uniquement économique, il se trouve que cette région du monde a, en moyenne, un niveau de vie tel, comparé à celui de l’Asie, de l’Afrique ou des deux Amériques, qu’il est de plus en plus difficile à ses entreprises de soutenir la concurrence étrangère.
C’est d’autant plus vrai lorsque les produits vendus par eux sont fabriqués, ailleurs que chez eux, avec les mêmes moyens technologiques ou le même savoir faire.
Je vais prendre un exemple dans le domaine de la vigne et du vin. Si demain les producteurs de la Champagne parviennent à fabriquer le même champagne (c’est-à-dire en respectant les mêmes critères de qualité et de productivité) en Amérique du Sud par exemple, il se trouve qu’en raison de la modicité des salaires, au Chili, au Brésil, au Paraguay ou en Argentine, ces producteurs-là feront plus de profit, y inclus les frais de transport, en produisant leur champagne en ces différents endroits, plutôt que dans la région champenoise.
Dans ces conditions, les pouvoirs publics, pour maintenir en vie l’économie champenoise, devront instituer des quotas ou des barrières tarifaires.
Et c’est justement à cause de la suppression des barrières douanières et tarifaires voulues et imposées par le GATT, que les pays du premier monde ont dû se réorganiser dans les domaines de l’agriculture, de la viticulture et d’autres domaines ouverts à la concurrence étrangère.
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Or, et c’est là où je voulais en venir, si d’aventure des pays comme l’Inde, la Chine ou le Brésil, tous pays émergents, possèdent les mêmes technologies et le même savoir faire que les pays du premier monde, ceux-là sont condamnés, à terme, à réduire leur niveau de vie, toutes choses qui va provoquer une nouvelle émigration.
Bref, alors qu’à l’heure actuelle l’Europe est une terre d’immigration, on peut parier que dans pas longtemps elle sera une terre d’émigration (comme ce fut déjà le cas à la fin du 19ème siècle).
Claude Gétaz
[b]Les privatisations bradées (pas pour tout le monde) que les gouvernements ont faites, font et probablement feront, sans oublier les ré-étatisations qui chatouillent l’opposition, sont à la mesure des idées de cette classe politique et financière qui est au pouvoir et sont l’illustration même de la résultante de leurs encéphalogrammes plats. Rien n’est plus simple que de faire un appel d’offre pour 1,2 voire 5 ou 10 ans pour gérer et entretenir qui un réseau téléphonique avec la tarification concurrentielle, qui 1 ou 2 lignes de chemin de fer (en larguant un certain nombre de parasites, avant qu’il ne soit trop tard), qui les lignes de métro parisien, qui EDF, et bien d’autres. Je crois que les entreprises qui comportent un nombre d’employé qui dépasse disons 1000 devient un monstre inhumain et crée les conditions du mal-être et du gaspillage que nous subissons depuis longtemps. Les empires industriels aussi doivent être morcelés en autant de parties qui puissent être gouvernable humainement (ça a été le cas de Bell au USA, mais malheureusement les « babybell » se ré-agglutinent les unes aux autres, ce qui devrait ne pas se produire en toute raison).[/b]
[b]J’ai oublié les banques! 1 sur 2 des 50 plus hauts revenus pourraient « sauter » et après ces purges « diafoirussienne » revenir à des niveaux plus locaux?[/b]
[b]Claude[/b]
[quote][i]…des jeunes qui eux ont, aujourd’hui même, toutes les peines du monde à trouver un boulot bien rémunéré et à [b]durée déterminée[/b].[/i][/quote]
J’imagine que vous avez voulu dire « …à [b]durée indéterminée »[/b] ? C’est plus rassurant pour tirer des pans sur la comète 😉
[i]Et c’est probablement à ces gens-là que pensent Nadine au moment de me corriger sur le thème de la condescendance des Européens.[/i]
Euh…non pas vraiment. Je pensais précisément à tous les Européens laissés-pour-compte qui sont légion. Il est possible que nous ayons une vision décalée de la situation des peuples européens qui se délite.
Faites-vous allusion à ma réflexion ci-dessous ?
[quote][i]…cher Claude Gétaz … sans vouloir vous offenser, sachez que [i]ces Européens, ces habitants du premier monde,[/i] sont plus les victimes que les acteurs d’un système économique qui les a durablement terrassés me semble-t-il. [/i][/quote]
Pour faire suite à votre article ci-dessus, permettez-moi d’évoquer le problème grec qui nous ramène à l’Europe et par extension au Monde. Il est consécutif à des logiques systémiques beaucoup plus profondes et implacables qu’une simple question d’emprunteur qui dépense plus qu’il ne peut rembourser… et nous sommes TOUS à la merci de ce système qui produit ses propres crises, jusqu’à la chute finale qui se profile.
Depuis 1971, la monnaie est une marchandise, dont la valeur dépend de l’offre et de la demande, selon des mécanismes spéculatifs totalement arbitraires, irrationnels et pervers.
Le problème central reste bien celui des Américains, l’hégémonie de leur monnaie et le système de cavalerie monétaire et de « libre-échange » qu’ils ont imposés à tous, pour pouvoir continuer à vivre à crédit.
Le credo sur le libre-échange mondialisé des marchandises et des capitaux, est la pire escroquerie intellectuelle économique qui ait jamais été formulée.
Une foutaise qui repose sur le concept de « libre concurrence », en oubliant au passage que pour que le modèle fonctionne, il faut aussi que celui-ci soit « loyal » ; ce qui bien évidemment n’est absolument pas le cas, quand on met en balance le dumping social, fiscal, monétaire, environnemental et même démocratique qui sont à l’origine de la fuite des capitaux et du travail ailleurs…
[b]Nadine,
tout à fait, les USA se moquent éperdument du quart comme du reste.[/b]
ZELECTRON
Eh oui !
Pour exemple, les USA qui doivent de l’argent à tout le monde, et leurs 92 % d’endettement public sont tellement en dessous de la réalité que le seul vrai problème du système financier, ce sont eux, qui depuis 1971 vivent à crédit sur le reste du monde, et font payer à tous leur hégémonie et leur « défense » militaire.
[b]Claude,
je crois que je vais devenir fan de vous, sourires…
Tom[/b]
Merci, Nadine, j’ai rectifié le mot « déterminé ». S’agissant du dollar, il est la première monnaie du monde car les Etats-Unis sont actuellement le premier pays du monde. Et, comme vous le savez, quand on est le numéro un on impose sa loi aux autres. (Tout comme autrefois, quand l’Angleterre dominait le monde, la livre sterling faisait la loi aux autres monnaies).
Certes, il fut un temps ou les Etats adhéraient à l’étalon or, chose qui ne date pas d’hier puisque les premiers monétaristes or sont à chercher parmi les économistes classsique anglais (Ricardo, Mill, etc), cet or qui permettait naguère de solder les échanges internationaux.
Quant au crédit dont vous parlez, si les Etats-Unis peuvent vivre à crédit sur le dos de la Chine et des autres pays (pétroliers notamment) qui financent leurs
déficits, c’est précisément parce qu’ils sont le premier du pays du monde. Si, à l’inverse, le pays endetté était la Grèce, celui-ci se verrait sévèrement réprimandé par les créanciers internationaux, comme on le constate aujourd’hui.
Et puisque j’habite aujourd’hui le continent américain, je constate que la consommation à crédit est, au Brésil, aussi en vogue qu’aux Etats-Unis. C’est ainsi que toutes les pub à la télé destinées à faire la promotion d’un produit, stipulent un réglement mensuel portant sur un an, voire mêmes sur plusieurs années si le montant à régler est important. C’est dire l’importance du crédit. Au point que certains Brésiliens ont jusqu’à cinq cartes de crédit au moment d’acheter des biens dont ils paieront le prix plus tard. Mais une fois les gens pris dans cet engregage, ils vont bien évidemment subir la loi des taux d’intérêt!
[b]Claude[/b]
Plus personne n’ose évoquer ce tabou de l’économie mondiale qu’est la place et la valeur du dollar dans notre système d’échange, avec une planche à billets américaine (sous forme de monnaie ou de bons du Trésor) qui fonctionne en continu pour financer les déficits et la consommation américaine.
Les Chinois qui thésaurisent leurs excédents monétaires ont très bien compris comment tirer parti de cette situation bloquée, où le premier qui bouge a perdu. Ils rachètent (avec cette monnaie qui ne vaut mathématiquement plus rien depuis longtemps) à tour de bras toutes les valeurs qui leur permettent de s’approprier les technologies, les ressources énergétiques et de matières premières, sans oublier la « reconnaissance » des États quand ils les aident à restructurer leurs dettes publiques.
Un vrai jeu de go mondial où nous serons forcément perdants.
Une seule question :
– Quand les Chinois se sentiront-ils suffisamment en position de force pour dire ce qu’ils exigent ?
En commençant, peut-être, par le retour de Taïwan dans leur « république ».
Cette question ne relève pas de la science-fiction, car dans l’indifférence générale la Chine a annexé début 2011, 1% des terres du Tadjikistan.
Qui pourrait l’empêcher de continuer ?
Actuellement, elle est déjà seul maître à bord de son jeu monétaire et envoie paître les Américains qui lui ont déjà demandé plusieurs fois de réévaluer le Yuan.
Productrice de 97 % des terres rares (indispensables à toutes nos technologies), elle vient également de décider unilatéralement qu’elle en réduisait ses exportations de 35 %, provoquant l’affolement général des marchés et des politiques.
Il va y avoir une redistribution des cartes [b]Claude[/b]. Je le pense fortement.
Je suis d’accord avec vous, Nadine. Je pense que la Chine va jouer un rôle très important à l’avenir. Et qu’elle ne va rien lâcher non plus pour réintégrer Taiwan, comme elle l’a toujours dit depuis le début. En revanche, elle sera bien obligée de lâcher du lest sur le plan des droits de l’homme, étant entendu que la répression est, en Chine, encore très intense pour les opposants au régime politique en place. Car n’oublions pas que ce régime est issu de l’ancien système communiste, un système marqué par une forte concentration du pouvoir aux mains des membres du parti unique. ET si Deng XiaoPing provoqua une véritable révolution, en Chine, par rapport à l’ancien système mis en place par Mao Tse Toung, en créant des îlots fondés sur un capitalisme nourri par des capitaux étrangers dont les entreprises ont ainsi pu produire des biens (matériel informatique, appareils radio, tv, magnétoscopes, caméras, etc, etc) à très bas prix, il existe encore aujourd’hui, en Chine, des régions entières, situées en général dans l’arrière pays, qui vivent dans le sous-développement.
Et c’est précisément dans cette campagne chinoise marquée par un très bas niveau de vie de ses habitants, que les enprises chinoises de type capitaliste, toutes installées dans les pôles de développement (Shangaï, Shenzen), vont chercher leur main d’oeuvre, chaque travailleur ou travailleuse dormant dans des barraquements aux lits surperposés, avec un contremaitre ou un responsable des unités de production qui dort lui aussi à cet endroit. Quant au salaire, bien qu’étant très bas compte tenu du nombre d’heures dépensé chaque jour (qui peut aller jusqu’à douze ou quatorze heures), il représente une aubaine pour ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui tous soutiennent, grâce à leur revenu, leur famille demeurée dans l’arrière pays.
Or, c’est là, précisément, ce qui différencie un travailleur chinois d’un travailleur européen.