Par : Houcine Ghali
» Le rôle de l’intellectuel est de dire aussi pleinement, aussi honnêtement et aussi directement que possible la vérité. Cela implique qu’il ne se soucie ni de plaire ni de déplaire au pouvoir, ni de s’inscrire dans la logique d’un gouvernement, ni de répondre à un intérêt de carrière « .
Edouard Saïd, Des intellectuels et du pouvoir – Seuil, Paris, 1996
Cette remarque d’Edouard Saïd, dans son livre intitulé Des intellectuels et du pouvoir (Seuil, Paris, 1996), n’a guère trouvé d’échos auprès de la majorité des intellectuels tunisiens. En effet, jamais la production culturelle tunisienne objective n’a été aussi chétive et le rôle des intellectuels fâce aux problèmes urgents de leur société aussi effacé. Face à un événement aussi important dans l’histoire récente de la Tunisie, à savoir le renversement de Bourguiba le 7 novembre 1987 et la confiscation du pouvoir par Ben Ali jusqu’à présent, les intellectuels tunisiens, du professeur d’université à l’ historien, en passant par le militant chevronné et le dirigeant de parti d’opposition, se sont distingués par un mutisme total. Les publications intéressantes concernant cet épisode capital du pays ont émané d’écrivains français (Notre ami Ben Ali, de Nicolas Beau et Jean – Pierre Turquoi, Ed. La Découverte, Paris, 1999; Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, de Michel Camau et Vincent Geisser, Ed. Presse de sciences po., Paris, 2003; La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Béatrice Hibou, Ed. La Découverte, Paris, 2006) tandis que les scribes au service du pouvoir n’en ont fait que dresser un tableau élogieux, suite à l’action salvatrice du général Bne Ali.
Il suffit de faire un tour dans les librairies des grandes villes tunisiennes pour constater l’absence de livres et de revues traitant des vrais problèmes qui se posent au pays. Les rayons regorgent plutôt d’ouvrages relatant l’épopée de Ben Ali, l’histoire passée des Arabes, les divers aspects de la religion musulmane et les bouquins de faits divers importés de France.
L’absence de vrais débats et écrits concernant les questions fondamentales comme celle de la femme dans la société, de la laïcité, de la liberté, des séparations des pouvoirs dans une République, des droits fondamentaux des citoyens, de la dimension idéologique que prend la religion musulmane, etc…S’avère patente.
Le règne de l’arbitraire, la reconduction d’un pouvoir autoritaire, la manipulation de la constitution et la pratique de la torture et de la répression sous toutes ses formes ne sont dénoncés que par une infime minorité d’intellectuels qui se sont engagés dans la politique militante dans un désert d’insouciance.
Dénoncer les injustices, se porter au secours de la vérité, défendre la dignité de l’homme, ce sont là des causes qui ne mobilisent nullement la majorité écrasante des intellectuels tunisiens. Ce lourd silence, cette passivité honteuse et cette démission complice donnent la nausée dans un pays assaillis d’innombrables problèmes et dont l’histoire de ces cinquante dernières années n’a jamais été réellement analysée.
Par peur et par lâcheté, les intellectuels tunisiens désapprouvent silencieusement, refusent la libération de leur imaginaire et se désintéressent de la chose publique. Le spectre de la répression et la peur de perdre les intérêts glanés par la position sociale occupée (professeur, chercheur, ingénieur, médecins, cadre, avocat, magistrat, homme d’affaire, conseiller, etc…) les ont conduit à battre en retraite en masses. plusieurs d’entre eux tiennent le haut du pavé en tant que grands commis de l’Etat et se permettent même de défendre un régime oppressif qu’ ils honnissaient auparavant.
Des conseillers du chef de l’Etat, des PDG de sociétés étatiques et des barrons de l’administration centrale sont des diplômés des grandes universités et même d’anciens marxistes qui ne juraient par le passé que par le peuple et ses couches exploitées. Les universitaires tunisiens gèrent leur carrière et certains d’entre eux se suffisent de militer de l’intérieur de leur discipline.. Leur participation active lors de manifestations et autres signes de ras-le-bol populaires face à l’absolutisme s’est aussi révélée infiniment limitée. Ils ne fréquentent pas le petit peuple. Ils ont leurs lieux à eux et se concentrent notamment dans la capitale Tunis et secondairement dans les autres grandes villes, exactement comme les leaders de l’opposition officielle et celle non reconnue qui ignorent tout des citoyens qu’ils prétendent défendre.
Certes, la répression qui caractérise le pouvoir tunisien avec son lot de torture, de confiscation de passeports, de perte d’emplois et de lourdes peines de prison n’ incite pas les intellectuels à tenir le haut du pavé de la contestation. Mais de là à démissionner en grandes masses devant toute autre forme de lutte, c’est d’une lâcheté qui n’honorent pas les privilégiés de ce pays et qui contredit les avancées positives de l’Histoire. Des intellectuels d’autres contrées du monde ont pu changer le cours de l’histoire de leurs peuples, suite à leur dévouement, leur sacrifice et leur engagement, sous des régimes aussi répressifs et aussi arbitraires que celui qui prévaut en Tunisie.
Houcine Ghali, Genève – Tunisnews – 19 aout 2008
Par : Houcine Ghali
» Le rôle de l’intellectuel est de dire aussi pleinement, aussi honnêtement et aussi directement que possible la vérité. Cela implique qu’il ne se soucie ni de plaire ni de déplaire au pouvoir, ni de s’inscrire dans la logique d’un gouvernement, ni de répondre à un intérêt de carrière « .
Edouard Saïd, Des intellectuels et du pouvoir – Seuil, Paris, 1996
Cette remarque d’Edouard Saïd, dans son livre intitulé Des intellectuels et du pouvoir (Seuil, Paris, 1996), n’a guère trouvé d’échos auprès de la majorité des intellectuels tunisiens. En effet, jamais la production culturelle tunisienne objective n’a été aussi chétive et le rôle des intellectuels fâce aux problèmes urgents de leur société aussi effacé. Face à un événement aussi important dans l’histoire récente de la Tunisie, à savoir le renversement de Bourguiba le 7 novembre 1987 et la confiscation du pouvoir par Ben Ali jusqu’à présent, les intellectuels tunisiens, du professeur d’université à l’ historien, en passant par le militant chevronné et le dirigeant de parti d’opposition, se sont distingués par un mutisme total. Les publications intéressantes concernant cet épisode capital du pays ont émané d’écrivains français (Notre ami Ben Ali, de Nicolas Beau et Jean – Pierre Turquoi, Ed. La Découverte, Paris, 1999; Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, de Michel Camau et Vincent Geisser, Ed. Presse de sciences po., Paris, 2003; La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Béatrice Hibou, Ed. La Découverte, Paris, 2006) tandis que les scribes au service du pouvoir n’en ont fait que dresser un tableau élogieux, suite à l’action salvatrice du général Bne Ali.
Il suffit de faire un tour dans les librairies des grandes villes tunisiennes pour constater l’absence de livres et de revues traitant des vrais problèmes qui se posent au pays. Les rayons regorgent plutôt d’ouvrages relatant l’épopée de Ben Ali, l’histoire passée des Arabes, les divers aspects de la religion musulmane et les bouquins de faits divers importés de France.
L’absence de vrais débats et écrits concernant les questions fondamentales comme celle de la femme dans la société, de la laïcité, de la liberté, des séparations des pouvoirs dans une République, des droits fondamentaux des citoyens, de la dimension idéologique que prend la religion musulmane, etc…S’avère patente.
Le règne de l’arbitraire, la reconduction d’un pouvoir autoritaire, la manipulation de la constitution et la pratique de la torture et de la répression sous toutes ses formes ne sont dénoncés que par une infime minorité d’intellectuels qui se sont engagés dans la politique militante dans un désert d’insouciance.
Dénoncer les injustices, se porter au secours de la vérité, défendre la dignité de l’homme, ce sont là des causes qui ne mobilisent nullement la majorité écrasante des intellectuels tunisiens. Ce lourd silence, cette passivité honteuse et cette démission complice donnent la nausée dans un pays assaillis d’innombrables problèmes et dont l’histoire de ces cinquante dernières années n’a jamais été réellement analysée.
Par peur et par lâcheté, les intellectuels tunisiens désapprouvent silencieusement, refusent la libération de leur imaginaire et se désintéressent de la chose publique. Le spectre de la répression et la peur de perdre les intérêts glanés par la position sociale occupée (professeur, chercheur, ingénieur, médecins, cadre, avocat, magistrat, homme d’affaire, conseiller, etc…) les ont conduit à battre en retraite en masses. plusieurs d’entre eux tiennent le haut du pavé en tant que grands commis de l’Etat et se permettent même de défendre un régime oppressif qu’ ils honnissaient auparavant.
Des conseillers du chef de l’Etat, des PDG de sociétés étatiques et des barrons de l’administration centrale sont des diplômés des grandes universités et même d’anciens marxistes qui ne juraient par le passé que par le peuple et ses couches exploitées. Les universitaires tunisiens gèrent leur carrière et certains d’entre eux se suffisent de militer de l’intérieur de leur discipline.. Leur participation active lors de manifestations et autres signes de ras-le-bol populaires face à l’absolutisme s’est aussi révélée infiniment limitée. Ils ne fréquentent pas le petit peuple. Ils ont leurs lieux à eux et se concentrent notamment dans la capitale Tunis et secondairement dans les autres grandes villes, exactement comme les leaders de l’opposition officielle et celle non reconnue qui ignorent tout des citoyens qu’ils prétendent défendre.
Certes, la répression qui caractérise le pouvoir tunisien avec son lot de torture, de confiscation de passeports, de perte d’emplois et de lourdes peines de prison n’ incite pas les intellectuels à tenir le haut du pavé de la contestation. Mais de là à démissionner en grandes masses devant toute autre forme de lutte, c’est d’une lâcheté qui n’honorent pas les privilégiés de ce pays et qui contredit les avancées positives de l’Histoire. Des intellectuels d’autres contrées du monde ont pu changer le cours de l’histoire de leurs peuples, suite à leur dévouement, leur sacrifice et leur engagement, sous des régimes aussi répressifs et aussi arbitraires que celui qui prévaut en Tunisie.
Houcine Ghali, Genève – Tunisnews – 19 aout 2008
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