Réalisateur : Xavier Dolan
Date de sortie : 21 septembre 2016
Pays : France, Canada
Genre : Thriller, huis clos
Durée : 95 minutes
Budget : NC
Casting : Gaspard Ulliel (Lousi), Nathalie Baye (Martine), Marion Cotillard (Catherine), Léa Seydoux (Suzanne), Vincent Cassel (Antoine)
Louis, écrivain, journaliste, gay, habitué aux mondanités, va mourir. Cela fait 12 ans qu’il n’est pas retourné chez lui, retrouver sa famille, des êtres dont il a peur, peur de les revoir et peur de leur annoncer la terrible nouvelle. Il y a Suzanne la petite sœur qui l’idolâtre, guettant avec convoitise ses lettres pour être la première à les lire, Antoine le frère taciturne, un mur qui « n’est pas facile à prendre », sa femme Catherine qu’il n’a jamais vu, ne pouvant être présent lors du mariage et sa mère. Dolan adapte avec justesse la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, allant même jusqu’à garder les dialogues si atypiques, hachés, décousus, demandant un effort de concentration, tout en la rendant conforme aux cadres du cinéma.
Pas de doute, nous sommes bien dans un film de Xavier Dolan, il y applique sa signature reconnaissable. Tout d’abord d’un point de vue esthétique, comme à son habitude, c’est soigné, léché, travaillé. Par les effets visuels et la façon de cadrer certaines scènes, il parvient à insuffler des émotions et des sentiments. Les ombres et les couleurs, la netteté ou le floutage, rien n’est laissé au hasard. A cela s’ajoute les volutes de fumées de cigarettes, c’est sur Dolan ne roule pas pour la lutte anti-tabac. On sait qu’il maîtrise ce genre de procédés mais il en use et en abuse, à force ça peut devenir gavant. On mentionnera la prouesse de rendre communicatif un échange de regards, sans parole, Catherine parvient à comprendre la véritable raison de la venue de Louis. Alors que pour tous, c’est la grande interrogation. Que vient-il faire après 12 ans d’absence,donnant uniquement des nouvelles de façon sporadique sur des cartes postales ? Si visuellement c’est abouti, musicalement ca l’est tout aussi. Dolan parvient à coller des musiques pop et entraînantes là où ne s’y attend pas. Les scènes où Léa Seydoux et Nathalie Baye entament une chorégraphie approximative sur du O-Zone, ce charmant groupe roumain qui avait enflammé nos pistes de danse en 2004 et ce moment, plein de nostalgie, quand Louis, la tête plongée sur son matelas d’adolescent, repense à ses ébats avec Pierre « Jolicoeur » sur une musique envoûtante d’Exotica risquent de devenir aussi cultes que ceux de Mommy où les protagonistes chantent du Celine Dion dans la cuisine après une soirée bien arrosée où quand l’écran s’agrandit sous l’impulsion de Steve qui écarte les bras.
Juste la fin du monde est un huis clos tantôt passionnant tantôt mollasson qui aborde les relations familiales avec une certaine maitrise. Les rancoeurs, les non-dits, les déclarations, l’attente, les petites phrases qui permettraient d’aller mieux, la tolérance et la compréhension, bref Dolan, ou plus justement Lagarce, traite cela avec une brillante pertinence mais avec une pas mal d’exagération. Ce qui constitue nos racines, ce que l’on a de plus sûr et de plus proche devient ici un champs de mines, ou le moindre faux n’est pas épargné. Pourtant, si la raison de la venue de Louis était connue, il serait temps de crever les abcès et de pardonner. Parfois on a l’impression d’être dans un confessionnal où chacun ouvre son coeur à Louis, tout d’abord sa soeur dans sa chambre d’ado, fumant joint sur joint, sa belle-soeur, sa mère qui casse son rôle de déjantée bloquée dans ses souvenirs joyeux et le plus compliqué, son frère. Le seul bémol du film est sa fin, ça part en pleurs, ça crie, ça devient hystérique, tout cela pour des pacotille. On est en proie à l’incompréhension, la famille se déchire à nouveau alors qu’elle semblait enfin réunie. Un moment de grâce où enfin les frères et soeurs semblent se comprendre, s’encourager, Louis s’intéresse à Antoine, lui qui ne voulait que cela mais ne sachant pas comment réagir, reste mutique. Puis il suffit d’une phrase pour que tout éclate à nouveau. La métaphore finale avec le coucou agonisant sur le tapis est inutile et gâche cette dernière scène pleine de tension.
La force du film ce sont ses acteurs, Dolan a réussi à mobiliser un casting 4 étoiles. Bien qu’assez stéréotypés, les personnages sont traités de façon assez équilibrée. On a Vincent Cassel l’ours bougon maniant l’ironie et le silence comme une arme pour être tranquille, une prestation pas très loin de ce qu’il joue souvent, Léa Seydoux en post-ado, un rôle pas trop convaincant à plus de 30 ans, mais qui tient bien la petite soeur vivant dans les histoires fantasmées racontées sur son frère et ayant une rancoeur envers sa mère qui la néglige, Marion Cotillard la plus sensée dans ce foyer, « pièce rapportée » qui n’est pas atteinte par la folie familiale, timide, elle ferait penser à Kyla de Mommy, Nathalie Baye est maquillée à outrance, coiffée d’une perruque et bardée de bijoux en toc, bohème en façade, elle reste néanmoins grave quand il le faut. Puis il y a Gaspard Ulliel dont le rôle est particulièrement ego centré, l’impression qu’il revient juste par nostalgie, pour revoir son ancienne maison, fouiller dans ses anciennes affaires prédomine sur l’envie de voir sa famille. Une famille dont il a plus ou moins honte, se mettant toujours à l’écart, une distance perceptible à deux moments : lors de l’apéritif dans le jardin où il semble perdu dans ses pensées et dans la chambre dans sa soeur, préférant rester debout contre le mur plutôt qu’assis à côté d’elle. Ce nouveau film n’est peut être pas la meilleure réalisation de Xavier Dolan, mais il est globalement réussi.