Ce soir, juste pour une petite fois, c'est moi la star ! C'est Maman qui l'a voulue ainsi…

J'ai eu trente ans le 18 Mars de cette année, et pourtant ce n'est que depuis le 06 Décembre 2005 que je suis enregistrée à l'état civil.

Non, ce n'est pas une histoire rocambolesque. Ou peut-être que si… Mais c'est surtout une histoire d'amour.

Le 18 Mars 1978 donc, cela faisait six mois déjà que je grandissais gentiment dans le ventre de Maman. De ce fait, nous avions une relation on ne peut plus intime, et on ne peut plus complice. Elle me tenait déjà de grands discours, et pour lui manifester tout mon intérêt, depuis environ deux mois je lui donnais de petits coups de pieds. Oh, tout doux… comme les caresses dont elle me comblait. Vraiment, tout se passait à merveille. Et même le médecin avait certifié à Maman : "Vraiment, tout va bien". Maman avait hâte de voir la forme de mon nez… la couleur de mes yeux… enfin bref, de voir à quoi je ressemblais ! Et moi j'avais hâte de voir son sourire, que je percevais dans sa voix lorsqu'elle me parlait…

Alors, que s'est-il passé ce 18 Mars 1978 au matin ? Qu'est-ce qui a provoqué cet accident ? Maman est persuadée, encore aujourd'hui, que c'est suite à une maladresse du médecin. Mais comment savoir ? Elle a fait une hémorragie, et les pompiers ont dû la transporter en urgence à la maternité. Et là, aussi incroyable que çà puisse paraître, on l'a laissée poireauter un bon moment sur un brancard, dans le couloir. Elle gémissait, à cause des contractions. Mais à peine lui prêtait-on attention. Eh oui, je n'étais pas prévue aussi tôt. Et une autre maman était déjà en "salle de travail". Enfin, ce fut notre tour. Bon, je ne vais pas vous raconter tous les détails, mais j'ai fini par pointer le bout de mon nez. Sauf que… cette hémorragie avait épuisé toutes mes forces… et celles de Maman aussi.

"Elle s'appelle comment ?" lui a-t-on demandé ? "Laetitia" a-t-elle répondu. Mais à peine a-t-elle aperçu ma petite frimousse, mes cheveux bruns, et ma petite poitrine qui se soulevait pour aspirer l'air, que, vite on m'a emmené dans la pièce à côté. En effet, je donnais des signes de faiblesse et il fallait d'urgence me prodiguer des soins. Malheureusement, mon petit corps n'a pas résisté à cette triste aventure. Et je suis morte ainsi, à quelques mètres de Maman, juste dans la pièce à côté.

Quand on est venu lui annoncer que je n'avais pas survécu, bien sûr, elle ne pouvait pas réaliser. A peine quelques instants auparavant, juste avant de passer dans l'autre pièce, elle m'avait vue bien vivante. Comment aurais-je pu mourir simplement en passant dans la pièce à côté, alors que j'étais en de bonnes mains ?

– "Je peux la voir ?" a-t-elle demandé. Mais on le lui a refusé. "Si elle est morte, il va bien falloir que je lui fasse un enterrement ?" – "Ce n'est pas possible ! Vous ne pouvez pas récupérer son corps. Il manque deux jours pour faire les six mois. Si elle était née deux jours plus tard, elle était déclarée "mort-né", mais là elle est considérée comme "fausse-couche" ".

Vous imaginez çà, vous ? Une maman à qui on refuse de voir son enfant mort ! Une maman qui ne peut même pas récupérer le corps de son enfant, celui-là même qu'elle vient de porter pendant six mois ! – "Je veux le récupérer" a-t-elle insisté. – "Je vous dis que ce n'est pas possible ! C'est la loi !" – "Mais alors, qu'allez-vous en faire ?" Et froidement, sans plus de détails : – "Elle va être incinérée". A tout prendre, ma Maman fut presque soulagée. Elle m'imaginait déjà servant de cobaye… Mais en même temps, elle prit conscience de ce grand vide laissé par mon absence. Plus de vie en elle… plus de ventre arrondi à caresser… Et pourtant… pas de bébé à cajoler non plus. J'étais née… et je n'étais pas née. J'avais vécu, si peu, mais c'était comme si je n'avais jamais existé. Pendant plusieurs semaines, j'avais agité mes petits bras, mes petits pieds. Et pourtant, je n'étais rien. Pas d'état civil… Pas de tombe où se recueillir… Rien… Qu'un vide immense… Comme si ces six mois même n'avaient jamais existé. Et on ne lui a même pas permis de me serrer juste quelques instants dans ses bras pour me faire ses adieux, pour me dire tout son amour… Comme si je n'avais jamais été sa fille, comme si elle n'avait jamais été ma mère, comme si elle non plus n'était plus rien…

Quelques années plus tard, un jour elle entendit un fait divers. Un docteur avait menti à une maman au moment de son accouchement, en lui faisant croire que son enfant était mort-né. Et il avait ensuite proposé le bébé à des parents adoptifs. Imaginez l'impact que cela peut avoir sur une maman qui a perdu un enfant quelques années plus tôt, à qui on a dit la même chose et à qui on a refusé de voir son bébé mort. Ne va-t-elle pas penser : "Et si… Et si on m'avait menti à moi aussi… Et si on avait confié ma fille à des parents adoptifs… Et si un jour… elle venait frapper à ma porte…" Imaginez tous ces tourments dans le coeur d'une mère. N'aurait-il pas mieux valu qu'elle voit son bébé mort ?

Et puis, quand elle s'est mise à songer à l'adoption, encore un peu plus tard… Imaginez le dilemne. Alors qu'elle avait tant d'amour à donner, elle ne pouvait se résoudre à l'idée qu'un autre bout d'chou soit inscrit comme étant son premier enfant sur le livret de famille, alors que celle qui avait été la chair de sa chair, et qu'elle avait tant pleurée, n'y figurait même pas. Elle qui avait porté sa fille sur son coeur toute sa vie, parce que c'était le seul lieu où elle avait une existence, aurait eu le sentiment de la trahir, comme si elle aussi, à son tour, gommait son existence.

Aujourd'hui, la Maman de Laetitia voudrait d'abord dire sa colère et sa révolte à ces femmes que je n'ose appeler "mères", qui sont capables de tuer de sang-froid leur enfant venant de naître. Et je ne parle pas ici des cas de grande détresse, mais de celle qui "nient" leur grossesse. Elle voudrait dire aussi sa colère et sa révolte à tous ceux qui leur trouvent des circonstances atténuantes. Et puis, je n'en dirai rien de plus, parce que je veux "nier" leur existence de la même façon qu'elles nient celle de leurs enfants.

Et aussi parce que je préfère, d'abord et avant tout, rendre hommage à des gens admirables, des femmes et des hommes, personnels soignants et parents endeuillés, qui se sont battus au sein d'associations et qui se battent encore pour faire avancer la Loi, la Loi qui reconnait les existences, la Loi qui fait qu'un enfant "appartient" d'abord à ses parents, la Loi qui donne un nom à nos tout petits et qui permet aux parents de faire le deuil de leur bout d'chou, qui leur permet ainsi de pouvoir avoir d'autres enfants ou de songer à l'adoption sans avoir le sentiment de trahir celui qui a disparu. De ces associations, il y en a plusieurs. Mais je voudrais tout spécialement citer celle qui est chère à mon coeur, dont voici les coordonnées du site http://nostoutpetits.free.fr

Je voudrais dire que la loi permet dorénavant à ces enfants d'être déclarés à l'état civil, lequel établit un acte d'enfant né sans vie qui précise les jour, heure et lieu de l'accouchement. Cet acte permet d'attribuer des prénoms à son enfant, de désigner ses deux parents (et non pas seulement la mère comme c'était le cas jusqu'à présent), de l'inscrire sur le livret de famille, d'avoir accès à certains droits sociaux, et autorise les parents à réclamer le corps de leur enfant afin de pouvoir lui organiser ses obsèques.

Si vous êtes dans cette situation, même si cela remonte à des années en arrière, n'hésitez pas à entrer en contact avec l'une de ces associations, qui vous guidera dans vos démarches et vous soutiendra. Parfois, cela peut prendre deux ans, voire plus. Mais ce sont des gens qui savent ce que veut dire le mot "humanité" et qui vous accompagneront jusqu'au bout de la procédure.

Et pour ceux qui ne connaissent pas cette situation, n'hésitez pas à en parler autour de vous. Ce n'est pas un sujet tabou. Nous ne connaissons pas toujours le destin de ceux que nous cotoyons. Il suffit parfois de si peu… Mais ce "si peu" peut être tout pour quelqu'un.