« Démocratie », de Michael Frayne

Certes, le titre peut inspirer la méfiance. Quoi, encore un de ces compacts manuels de science politique, écrits dans le plus plat style universitaire ? Non, rassurez-vous, car sous cette appellation quelque peu austère se cache une pièce de théâtre enthousiasmante à lire (et à monter sur scène, je le pressens…).

Il s’agit en quelque sorte d’un « docu-fiction » littéraire, car si la forme théâtrale est respectée – bien qu’originale -, la pièce de Frayne, journaliste de formation, est sacrément documentée. La pièce démarre en 1969, avec l’élection de Willy Brandt comme chancelier de la RFA – « Le monde s’apprêtait à changer sous nos yeux. Un chancelier de gauche, de nouveau, après presque quarante ans ! ».

Nous suivons l’itinéraire de Brandt jusqu’à sa chute froidement orchestrée par ses « amis » politiques, à travers le regard acéré d’un personnage nommé Günter Guillaume. L’homme est en réalité un espion de la Stasi dépêché dans les cercles du pouvoir, et qui saura y faire sa place, jusqu’à devenir un des plus proches collaborateurs de Brandt. L’Ostpolitik (ouverture à l’Est), les angoisses et la solitude du chancelier, la ferveur populaire qu’il suscite, les luttes d’influence et les stratégies concurrentes au sein de sa garde rapprochée, tout cela est ausculté par le discret Guillaume, qui rend compte régulièrement à son supérieur de tout ce à quoi il assiste.

Ce qui l’amène à découvrir une part de la nature de son régime (les rançons secrètes reçues pour les prisonniers politiques détenus par la RDA, afin de réduire les déficits de la balance des paiements !), et à s’attacher à ce personnage hors normes qu’est Brandt, jusqu’à une admiration qui le ferait presque vaciller dans son patriotisme. Frayne a choisi de découper sa pièce en deux actes, eux-mêmes composés d’une multitude de petites séquences.

Cette construction cinématographique, en dehors des crises d’arrachage de cheveux qu’elle doit provoquer chez le metteur en scène, confère à l’ensemble de la pièce un rythme soutenu, et permet d’aller sans cesse à l’essentiel. Mieux que la découverte d’une histoire méconnue, l’auteur nous entraîne dans les coulisses de la politique en train de se faire, dans l’exercice impitoyable du pouvoir à son plus haut niveau, lorsqu’il dépasse ses détenteurs.

La chute de Brandt, nous dit l’auteur dans la postface, s’explique certes par le jeu banal de la politique, mais dans ce jeu « il y avait néanmoins de nombreux courants de sentiments personnels, de loyauté et de jalousie […]. C’est la complexité de ce mélange qui est le sujet même de la pièce : la complexité des rapports humains et des êtres humains eux-mêmes, et les difficultés que cela crée dans la genèse et la compréhension de nos actions ».