Ce grand homme est parti, un jour en juin.
Il m’a laissée orpheline et désemparée.
C’était mon père.
Il aurait pu être centenaire s’il avait encore vécu 2 années supplémentaires.
Mais quand c’est l’heure, rien à faire. Il faut partir vers l’inconnu, l’au-delà.
Dès son enterrement, et depuis bientôt 4 mois, je me débrouille tant bien que mal : c’est dur, seule, de vider sa grande maison.
J’ai répertorié des centaines de livres sur la préhistoire, l’ethnographie, l’ethnologie, la sociologie, la philosophie, l’économie, l’histoire, la géographie, l’anatomie, enfin, tout ce qui touche de près son métier.
C’était un grand homme courageux, avide de savoir.
Tout l’intéressait. Il a constitué une tonne 1/2 d’archives que j’ai triée, feuille après feuille.
Un quart a été donné et le reste est parti à la benne.
Toute une vie de passions qui finit dans une poubelle, et ceci en quelques semaines. Nous sommes si peu de chose…
Que pouvais-je en faire ?
Hormis le fait que le monde moderne ne permet plus des logements spacieux, faute de place, les gens ne s’intéressent plus à grand chose, pressés comme des citrouilles par des médias manipulateurs et par une société dont l’imbécillité atteint des sommets inimaginables.
Qui se soucie des origines de l’Homme ? Et qui se targue de vouloir apprendre ?
Un homme comme mon père tombera vite dans l’oubli.
A la sortie de la guerre, ma mère et lui ont pris leurs enfants, leurs balluchons et sont allé enseigner en Haute Kabylie.
Ils ne possédaient rien, pas même une couverture, dans cet endroit où l’hiver est si rude.
Ils faisaient partie de ces gens à l’intelligence rare et ces gens là ne restent pas au bas de l’échelle intellectuelle.
Ma mère, de simple institutrice est allée jusqu’à sa thèse en psychologie et mon père, qui a travaillé comme un forcené pendant ces milliers de nuits, de simple instituteur est devenu préhistorien, sous-directeur du Muséum, professeur d’université, maître sans chaire et conférencier, chercheur, écrivain thésard d’état…
Quel maginifique parcours que le sien.
Il a participé à la première traversée Berliet-Ténéré et a découvert de nombreux sites préhistoriques.
C’était une âme pure, un Fou (au sens le meilleur du terme) du désert. Sa passion, il l’a transmise à tous ceux qui l’ont côtoyé et j’ai reçu de ceux-ci, des hommages magnifiques.
Je les en remercie de tout coeur.
Il fallait que mon père ait eu une dose hors norme d’intelligence pour s’intéresser à tout!
Intellectuellement, il nous dépassait, c’est indéniable.
Mais humainement aussi : généreux, toujours à l’écoute, visionnaire, érudit sage, discret et d’une droiture exemplaire.
De tous les hommes qui ont croisé mon chemin, aucun n’a pu lui arriver à la cheville.
Triste constat d’échec!!!
C’est lui qui m’a enseigné de toujours m’élever au-dessus de la ceinture, de toujours tendre vers le haut et jamais vers le bas.
Les dernières années de sa vie, pendant lesquelles je l’ai accompagné, il ne comprenait plus ce monde vulgaire, cette course effrénée du pouvoir par l’argent, la guerre, le sexe; cette destruction systématique de nos valeurs (pour lesquelles il s’est battu comme tant d’autres) et qui nous rend pires que les bêtes; cette nature qui va disparaître par la faute de ces humains qui pensent être au-dessus de tout, et surtout, au-dessus de l’Equilibre (normal quand on n’a plus aucune morale).
Ceux qu’il a fréquentés (L. S. Senghor, Th. Monod, J. Malaury, D. Clark, etc., je ne peux pas tous les citer) ont été, eux aussi de grands personnages.
Je suis fière d’en avoir connus certains.
Et je suis fière que mon père m’ait permis de devenir ce que je suis aujourd’hui. Pour rien au monde, je n’aurais voulu ressembler à ces autres.
Il me manque et me manquera terriblement, tout comme ma mère.
Dans ce monde mou et superficiel, d’avoir eu un père comme lui réchauffe le coeur.
Bonjour,
Je suis chercheur au CNRS, spécialiste des arts rupestres du Sahara, et je correspondais épisodiquement avec votre père, que je connaissais depuis les années 1970. J’étais alors bien jeune, mais il fut ensuite membre de mon jury de thèse, et quand j’ai commencé à publier, il a toujours eu la gentillesse de citer mes travaux dans ses propres livres. Il était de ces gens qui vous semblent si solides qu’ils paraissent éternels… jusqu’à ce que…
Je viens de découvrir votre blog, et l’hommage que vous lui avez rendu. Je suis consterné d’apprendre que ses papiers seraient allés à la benne ?! J’ose espérer que ce n’est qu’en partie vrai, car en tant que président des Amis de l’art rupestre saharien (aars.fr), je puis vous assurer qu’il y a toujours des gens que passionnent les sujets dont s’est occupé votre père toute sa vie!
Moi-même, comme je dirige les Cahiers de l’AARS, je compte publier dans le prochain numéro une brève biographie ainsi que la liste de ses principaux travaux, pour lui rendre hommage. Pour illustrer cela, j’ai cherché une photo où on le verrait au Sahara, mais je n’en ai pas trouvé. Peut-être en auriez-vous une? Ce serait magnifique.
En tout cas, je vous prie de recevoir mes meilleurs pensées.
Bien cordialement,
Jean-Loïc Le Quellec
http://www.academieoutremer.fr/academiciens/fiche.php?aId=69
Academie des sciences d’outremer 5eme section
Jean-Michel, votre nom me dit, en effet, quelque chose. Il me semble, en remontant dans ma mémoire, que mon père, effectivement, avait parlé de vous.
Je suis heureuse que vous l’ayez connu.
Grand homme, oui, il l’était. Il a laissé un souvenir si… présent en nous et qui ne fera aucune place à l’oubli.
J’aimerais que vous puissiez me contacter par le biais de C4N.
A Montpellier, papa a sa place au musée, tout à côté de son ami Théodore Monod. Je pourrai vous donner les renseignements qui vous intéresseront, j’en suis sûre ainsi que les coordonnées de son ami guide saharien, Jean-Claude Bourgeon que vous devez peut-être connaitre ?
Rassurez-vous, j’ai gardé tout ce qui concernait les travaux de mon père pendant sa mission Berliet Ténéré, ceux de la Mauritanie, et… ses précieux livres.
Très cordialement.