Hollande ou Sarkozy : pas de signal fort sur les inégalités

Austérité bien ordonnée commence par soi-même. Par exemple, l’une des premières mesures de la majorité de gauche à la suite de la victoire aux présidentielles de 1981 fut de rehausser les indemnités des parlementaires. Alors que Nicolas Sarkozy et François Hollande plaident pour des économies dans les dépenses de l’État, comment expliquent-ils qu’un député espagnol reçoit près de trois fois moins que son homologue français ? L’électorat attend un signal fort…

Qu’on le veuille, l’approuve ou non, l’antiparlementarisme est l’un des facteurs de l’abstention et du vote pour des candidats n’ayant aucune chance de siéger.
Mais il y a de quoi…
Afin de pousser les parlementaires italiens à réduire d’eux-mêmes leurs émoluments, le Comité Giovannini s’est livré à une assez rapide comparaison des rétributions des parlementaires à l’échelle européenne.
Les députés italiens emportent le pompon : 16 000 euros brut du mois…

Les députés français arrivent bons seconds, avec 13 500 euros, tandis que les espagnols occupent le bas du tableau, avec un très confortable, pour tout autre, rétribution de 4 630 euros.

Je signalais hier la publication, dans Siné Mensuel, d’un article fondé sur le prochain livre du député français René Dosière, dit « le député anti-cumul ».

C’est le scrutateur opiniâtre du train de vie de l’État (et en particulier de la présidence de la République).

L’Argent de l’État, publié par Le Seuil, est un ouvrage particulièrement révélateur. Pour ce qui se rapporte aux parlementaires, le Comité Giovanni le place en perspective, permettant d’utiles comparaisons.

Du simple au quadruple

Il est très difficile de faire une réelle comparaison entre le traitement des députés nationaux en Europe. Un seul pays interdit à ses représentants d’exercer le moindre emploi dans le secteur public ou privé en parallèle de sa mission élective, le cumul des mandats est plus ou moins limité selon les pays.
Mais pour s’en tenir aux données les plus évidentes, hors avantages divers en nature (comme en France, les députés britanniques voyagent gracieusement en première classe, ils bénéficient de prêts à taux proches de zéro et parfois de logements, &c., obtiennent des bonus divers selon qu’ils siègent en commission ou sont membres d’associations…), le tableau est éloquent.

Pourquoi un député italien (plus de 16 000 euros mensuels), ou français (13 500), aurait-il plus de frais qu’un allemand (12 600), un néerlandais (10 000), un belge (9 200), un autrichien (8 650), ou même un espagnol (4 630) ?

Députés italiens et français touchent plus de la moitié, voire même plus de 60 % pour les italiens, que la moyenne européenne. C’est l’enseignement du groupe présidé par Enrico Giovannini, qui dirige l’institut italien de statistiques Istat, et qui inclut un membre de l’Eurostat.
Il ne s’agit que d’une première publication, le rapport complet devant être divulgué fin mars. Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et leurs concurrents feraient bien d’en obtenir de « bonnes feuilles ».

Pour le moment, le dit comité exprime des réserves sur ses conclusions provisoires, faute de pouvoir toujours véritablement évaluer le comparable, qui ne porte pourtant que sur sept pays. On aurait sans doute des surprises si l’étude pouvait être étendue aux 27, car le différentiel serait sans doute au moins du simple au quintuple, voire au septuple.

Salaires, aides et… retraites

En fait, de ce groupe des sept, les députés français sont bons premiers si l’on inclut les allocations pour les assistants parlementaires. Le poste peut d’ailleurs être tenu par une ou un « stagiaire » (rétribué moins de 4 500 euros, l’allocation restant au niveau d’un temps plein) ou un membre de l’entourage, familial ou autre.
En Italie, l’allocation est moindre qu’en France : 3 690 euros pour un député, et 4 180 pour un sénateur « seulement » (contre un maximum de 9 138 euros en France). En d’autres pays, c’est un fonctionnaire d’une des deux chambres qui est « alloué » au titulaire d’un siège parlementaire.

On peut aussi se poser la question : que fait de plus et mieux un sénateur français (7 100 euros) qu’un autre, néerlandais (2 323) ?

En revanche, les parlementaires italiens se rattrapent sur la retraite. Pour une mandature (cinq ans), l’italien perçoit 2 486 euros contre 8,6 % de son revenu mensuel tandis que le « pauvre » français doit cotiser un dixième pour ne recevoir « que » 780 euros. Mais pas de classement, car les Pays-Bas, la Belgique et l’Autriche n’ont pas communiqué de chiffres à temps.

Un député italien obtient mensuellement 258 euros (contre 416 en France) pour ses… communications téléphoniques, qu’il préfère ou non les pigeons voyageurs, il les empoche.

Les députés italiens ont répliqué, avançant toutes sortes d’arguments pour conclure que la véritable moyenne était autre, et Francesco Giro a estimé qu’il est moins rétribué que ses homologues français, britanniques ou allemands. Il peut l’avancer : tout a été fait par les divers parlements pour opacifier les très diversifiés avantages et rendre impossible le calcul d’une moyenne européenne qui convienne à toutes et tous. Une véritable bataille de chiffres est donc engagée dans les deux chambres italiennes pour contrer les conclusions de la commission des instituts de statistiques.

« Nous ne percevons en net que 5 000 euros, nous sommes les plus mal rétribués en Europe, » osent affirmer certains parlementaires. Bien sûr, sans surprise, le questeur Antonio Mazzochi dénonce une « dangereuse dérive antiparlementariste », populiste, bassement politicienne, &c. « Macché, sono solo 5000 netti », répètent les parlementaires à l’envie. Les députés espagnols suivront-ils en clamant qu’ils ne perçoivent, net, que moins de mille euros ?

Par ailleurs, le coût pour les citoyens doit tenir compte du nombre des parlementaires. On ne sait rien non plus du nombre d’huissiers, serveurs, coiffeurs, pédicures, coursiers, &c., par parlementaire dans chaque pays.

Souverainisme

On attendrait des candidats à la prochaine présidentielle française qu’ils s’intéressent à la question en élargissant le propos à la haute fonction publique. En se posant les bonnes questions. Comme par exemple, pourquoi un tel écart de rémunérations, primes, et avantages, entre les hauts-fonctionnaires du Trésor et les autres, combien de fonctionnaires des cadres C ou B par supérieur du cadre A. Mais aussi combien d’études ou de tâches dévolues ou sous-traitées au secteur privé, dont des tâches permanentes effectuées, années après années, en contrats précaires, tandis que les patrons des officines chargent leur coût jusqu’à cinq, six, huit, dix fois leurs salaires.

On en vient parfois, en constatant le vide sidéral de leur discours sur de tels points, si les candidats souverainistes n’en sont pas surtout à vouloir à tout prix éviter qu’une commission européenne vienne mettre le nez dans de « petits » arrangements fort lourds pour le contribuable. Pour Nicolas Sarkozy, la cause est entendue : il a surtout réduit le nombre des plus petits fonctionnaires, recasé les plus hauts s’ils devaient en venir à partir en retraite.

Mais François Hollande se veut candidat « normal » et « juste ». Qu’est-ce que la justice si ce n’est : à travail égal, salaire égal. Non pas en fonction d’une moyenne, mais de ce qui est normal. S’il est normal pour un député espagnol ou un sénateur néerlandais de se contenter de sommes jusqu’à trois, quatre fois inférieures à d’autres, et qu’il puisse mener une vie confortable, ce n’est pas la moyenne qui importe, mais la normalité.

Réduire drastiquement les rémunérations dans la haute fonction publique entraînerait, parait-il, une fuite des « cerveaux ». Eh bien, soit. La fonction publique est ouverte, dans chaque pays européen, à tout ressortissant de l’Union européenne (hormis, peut-être dans les armées). Quitte à former en France ces élites, aux frais du contribuable, pour qu’ils émigrent ensuite, comme on le fait d’ailleurs pour le secteur privé (les traders de la City sont en grande partie des Français formés en France, dans des écoles publiques ou fortement subventionnées), serait plus couteux ? Cela reste à démontrer…

Pour en revenir à René Dosière, peu suspect de populisme antiparlementaire, lisez donc, sur son blogue (voir supra) son intervention devant l’Assemblée : De la morale en politique. Elle date du 29 mars dernier, il n’y a vraiment rien à y changer.
On ne s’en étonnera guère, René Dosière ne fait pas partie du « staff » de campagne du candidat Hollande. Le PS lui avait même refusé le renouvellement de son investiture en juin 2007. II n’est donc qu’un député « apparenté » et « populiste » sur un seul point : ce qu’il prône, il se l’applique à lui-même. Il est d’autres apparentements, terribles, entre maints candidats à la présidence, et notamment celui tenant à leur assourdissant silence sur les questions évoquées ci-dessus.
On n’avait d’ailleurs guère davantage entendu Ségolène Royal sur ces sujets. Elle briguerait la présidence de l’Assemblée nationale. François Hollande, qui prône « le mérite », dispose d’un éventuel candidat au perchoir tout trouvé…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Hollande ou Sarkozy : pas de signal fort sur les inégalités »

  1. Pour qui lit l’italien, le document complet se trouve en libre accès sur :
    [url]http://www.funzionepubblica.it/media/930440/relazione_comliv_31_12_2011.pdf[/url]
    C’est assez abscons et beaucoup d’annexes sont carrément superflues.
    Cela étant, certains tableaux sont instructifs et ne demandent guère de connaissances linguistiques spéciales.
    Il faut toujours se rapporter aux sources primaires, autant qu’on le peut.

  2. Il faudrait mettre cela sur la table de nos candidats mais personne n’en parle pourquoi?pas un journaliste pour poser cette question ?

  3. Vraiment intéressante, cette analyse comparative! c’est toujours un plaisir de vous lire

    et merci de nous avoir permis l’acces à la source; meme si je comprends l’italien, je lis trs rarement les journaux de ce pays, plus happée par les presse anglosaxonnes ou teutonnes

    Tous mes voeux de bonheur pour 2012

  4. Merci encore Isa3.
    Et tous mes vœux aussi.
    La presse germanophone est mon grand regret : je ne comprends que le dixième.
    Mais il y a des titres anglais de la presse allemande.
    Donc, je me débrouille.
    Il y a aussi de la presse hongroise en français. À suivre en ces temps qui courent.

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