Hauts-de-Seine : laboratoire français de la corruption ?

Vous ne l’ignorez pas : Didier Schuller vise la mairie de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), cette fois sans appui trop fort proclamé de ses voisins et mentors, les Balkany. Didier Schuller a choisi de l’annoncer en pleine affaire Cahuzac. Il est l’un des plus en vue des protagonistes du livre de Noël Pons et Jean-Paul Philippe, 92 Connection, chez Nouveau Monde, dont Mediapart publie quelques bonnes feuilles. On prend les mêmes, on recommence…  

Jean-Paul Philippe, ancien commandant de la police judiciaire, et Noël Pons, inspecteur du fisc à la retraite, ne règlent pas frontalement des comptes avec Chirac ou Sarkozy dans leur livre de témoignages, 92 Connection (éds Nouveau Monde). Mais dans un entretien avec Mediapart, nous n’en sommes pas loin.

Voici quelques extraits choisis de leurs propos (qu’importe que ce soit l’un ou l’autre qui réponde).

• « Nous sommes dans une situation prérévolutionnaire (…) on ne peut pas laisser le système se dégrader (…), cela ne peut que sauter. » ;
• « On commence à trouver des partis avec très peu de militants (…) donc il faut des rentes. On va donner une rente à trois familles qui détiennent ceci ou cela. » ;
• « C’est une corruption d’élites sous nos yeux. Désormais, ce sont moins les enveloppes que les places. Le népotisme est important. » ;
• « Est-ce que cela échappe aux gens qui votent ? » ;
• « D’abord vous phagocytez tout le système de contrôle dans un département. Puis, une fois que vous avez le pouvoir au niveau national, vous essayez d’obtenir la dépénalisation du droit des affaires, la suppression du juge d’instruction, la dépendance du parquet… » ;
• « Le verrouillage s’amplifie jusqu’à 2012 (…). Dans la PJ, certains doivent gérer de gros dossiers seuls, là où nous aurions été cinq ou dix par le passé. » ;
• « Il y a une vraie volonté politique de ne pas lutter contre la délinquance financière (…) de saboter la police judiciaire… » ;
• « C’est une autocensure policière, fiscale, judiciaire (…) ils fonctionnent à la peur, ce n’est même plus la peine de leur dire de ne pas faire. » ;
• « Nous dressons le bilan d’une situation qui s’est pérennisée depuis 2002, sous deux quinquennats. » ;
• « Dans les rapports que nous citons (Levallois, Puteaux, Asnières), il y a matière à enquêtes et probablement à poursuites pénales. Mais il n’y a rien derrière ! » ;
• « Tout se passe dans les paradis fiscaux » ;
• « J’ai travaillé sur l’affaire des lycées, on a démontré, documents analytiques à l’appui, que cela concernait 30 % de surfacturation. Cela veut dire que le citoyen n’a pas le prix qu’il a payé. » ;
• « Dans ces scandales, les gens n’ont pas une vision des montants. » ;
• « Le citoyen a la possibilité de dire "non" à ces élus. Mais il ne le fait pas forcément : des Patrick Balkany ou des Jean-François Mancel sont réélus. » ;
• « Un sondage a été réalisé sur ce qui paraît important aux gens: un homme politique honnête ou efficace ? 43 % veulent qu’il soit efficace. Donc, dans la hiérarchie, les gens s’assoient sur l’honnêteté si l’élu est efficace. Mais l’un ne va pas sans l’autre ! » ;
• « Lorsqu’on va en Afrique, la première chose que je dis c’est que nous n’avons pas de leçons à donner. ».

D’une part, je n’ai pas voulu « pomper » Mediapart (et même corrigé certains lapsus de saisie), d’autre part, avec ce petit florilège, j’omets des aspects importants (comme l’urgence de détacher les parquets de la chancellerie).

Mais on a fort bien compris, et l’on s’interroge rétrospectivement sur l’affaire Cahuzac, la note transmise, selon Michel Gonelle, à l’entourage d’Éric Woerth dès 2008.

Quelles suites ?

Groupes de pressions, cabinets de conseil, pantouflage sont essentiels, et la corruption met en jeu des relais internationaux. Les chambres régionales des comptes sont impuissantes, très peu d’affaires sont judiciarisées ou, si elles le sont, noyées. Bizarrement, le gouvernement socialiste a reconduit Christian Lothion, directeur central de la police judiciaire, dont le peu d’appétence pour les affaires financières est connu. Pourquoi donc faut-il voir surgir l’affaire Cahuzac pour faire semblant d’agir quand on pouvait le tenter, et en profondeur, beaucoup plus tôt ?

Les auteurs suggèrent que la police infiltre divers cercles politicomafieux. Mais ne serait-ce pas aux citoyennes et citoyens, qui adhèrent à des partis, de réclamer d’abord une totale transparence ? L’omerta débute souvent avec des recrutements, même aux bas des échelles. Bien peu de gens fraudent mais il y en a autant, quasiment un cinquième, à frauder systématiquement ou à ne jamais frauder. Et nombreux sont les entre-deux.

Les spoliés sont parfois les premiers à réélire les pourris. Au nom du savoir-faire, de l’efficacité. Eh bien, il faudrait déjà débuter par changer de mentalité… Ou accepter que police et justice aient les moyens de nous préserver de nous-mêmes.

Retraités…

On pouvait penser que des fonctionnaires mis au placard allaient profiter du changement de gouvernement pour se manifester. Constatons qu’il n’en est rien, que les auteurs sont retraités.
D’une part, les mis à l’écart l’ont été de manière à ce qu’ils ignorent tout. D’autre part, le réflexe ne joue-t-il pas : si nous dénonçons les prédécesseurs, les actuels ne vont-ils pas se méfier de nous et estimer qu’on ne les épargnerait pas ?

Quant aux partis : certains recrutent à tout va, ne sont pas vraiment regardants sur les adhésions (on pense au Front national), d’autres s’ouvrent à des non-encartés (Front de Gauche, comptant beaucoup de sympathisants ponctuels ou non mais actifs), d’autres encore se claquemurent. Pas trop question de laisser d’autres que des béni-oui-oui s’approcher. De toute façon, les débats réels peuvent se restreindre à des Premier Cercle.

Les auteurs, qui savent de quoi ils parlent, contredisent la thèse du « tous pourris », mais guère celle du « tous complaisants ». La gauche PS est nue puisque, hormis quelques personnalités, son seul argument était la morale, le civisme. Que la droite ne revendique guère (hors Front national, aussi lourd de gamelles, mais là, qu’importe, plus c’est gros, mieux cela passe).
Je ne sais rien de Jean Glavany, mais quand Ruth Elkrief, de BFMTV, ne lui pose pas la question des amitiés étroites de Jérôme Gahuzac avec d’anciens du Gud, et de savoir si les amis de son ami ne sont pas devenus aussi ses amis, ses fréquentations, je m’étonne.

Jean Glavany soutient que la défaillance de Jérôme Cahuzac est individuelle. « Aucune raison de nous couvrir la tête de cendres et de boire notre honte, » poursuit-il. « Soyons courageux, » poursuit-il. D’abord contre lui-même : faute de régler un audit de son patrimoine, qu’il donne l’exemple en publiant sa feuille d’imposition, par exemple. Être courageux, c’est donner l’exemple.

Le scandale qui se poursuit de l’affaire Cahuzac n’est pas tant de savoir si Moscovici ou Hollande savaient depuis combien de temps mais surtout de laisser se poursuivre ce que les auteurs de 92 Connection exposent.

Et n’oublions pas : à Rabat, 18 policiers viennent d’être lourdement condamnés ; dans l’affaire de la Bac nord de Marseille, un lanceur d’alarme reste sanctionné comme le fut l’inspecteur du fisc Rémy Garnier, mais on attend toujours, tous les autres ayant été réintégrés. Jean Glavany ne semble pas trop s’en préoccuper.

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Hauts-de-Seine : laboratoire français de la corruption ? »

  1. [b]Nous en sommes toujours au débat du mensonge: soit celui de la droite en général, l’omission, ou bien celui de la gauche, le mensonge direct.
    Par ailleurs, d’un coté, à droite, tu marche avec nous, sinon on te tue et puis à gauche nous sommes tous camarades, chacun est libre (le « chef » à ce moment là désigne un exécuteur. Au fond je préfère pour ma part regarder le danger en face ! [/b]

  2. [quote]Pourquoi donc faut-il voir surgir l’affaire Cahuzac pour faire semblant d’agir quand on pouvait le tenter, et en profondeur, beaucoup plus tôt ?[/quote]

    Remplacez Cahuzac par Karachi, c’est du pareil au même.

    Je dis comme Zelectron : avec la droite, au moins, on sait à quoi s’en tenir, les couches de mensonges sont moins épaisses qu’ailleurs, et nettement moins émétiques.

    Je ne vois toujours pas l’intérêt de conserver le juge d’instruction s’il n’est pas réellement indépendant, refuse de faire son boulot et viole allègrement toutes les lois de la République.

  3. Retour sur 2002, avec des faits précis :

    [url]http://unpetitcoucou.over-blog.com/article-empoisonnements-criminels-a-brest-117198835.html[/url]

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