J’aurais une sérieuse tendance à dire que la faiblesse de l’enseignement de la langue française puis celle de la littérature française à travers les siècles – ne parlons ni de Latin, ni de Grec encore moins d’étymologie, ah, les vieux ! – a un effet très, très néfaste sur ce que les lycéens peuvent (voyons le mot ?) nous dirons admettre, en philosophie. Et pourtant, quoi de plus simple, quoi de plus précurseur, quoi de plus vivant et proche de nous, quoi de plus systématiquement imbriqué dans nos vies que la philosophie ? Je ne me souviens pas d’avoir fait de la "philosophie" car je crois bien que chez nous, à force de tout analyser, tout décortiquer, à force de s’envoyer les définitions des mots à la tête : "insiste encore, je vais chercher le Quillet !" menace suprême entre la purée et les haricots verts, des définitions fondées sur une étymologie rigoureuse qui nous menait parfois à la réflexion hargneuse : "mais bien sûr, ton truc, c’est du Latin d’ église !", injure suprême ; je crois bien que nous avions commencé à "faire de la philo" bien avant la sixième, à notre rythme, et en fonction de notre âge, comme nous avions appris à cacher au moins une main sous la table, pour que nos doigts aident à mieux faire passer la torture du calcul mental. Évidemment, c’était interdit mais, posons la juste question : « qu’a-t-on le droit d’interdire, comme moyen ne nuisant à personne, pour parvenir à ses fins ? » En deux copies doubles au maximum sans faute d’orthographe. Citations des auteurs des programmes, à partir de la 6 ème, demandées. Hein ? « Une révolte ? » « Non. Une révolution, Sire. » Vous vous voyez avec « ça », au bac’ ?

Et croyez bien que je ne vous en citerai pas des centaines, je n’ai pratiquement jamais rien appris par cœur, c’est ennuyeux. Ainsi, n’ayant pas appris la table (multiplications) de huit, je ne vais pas au-delà de 8 x 7 et 7 x 9, ben, faut voir… (sauf que 70 – 7 ça peut se faire).

 

Tous les auteurs que vous avez lu faisaient de la philosophie, les gens qui composent votre entourage et vous-même font de la philosophie. Ne faisons pas appel à Molière et son Jourdain qui, d’ailleurs, faisait de la prose, mais réfléchir sur un objet, un caractère, décortiquer une personne pour tenter de la comprendre – toute petite parcelle d’osmose ( ?) – est un début qui vous amène progressivement à vous poser, au fur et à mesure de votre maturité intellectuelle, de nouvelles questions qui vous tarabustent jusqu’à solution. Rappelez-vous de ce pauvre Rousseau, homme si imparfait qu’il préféra abandonner ses moufflets à la grâce de Dieu (et c’est Larousse qui récupéra la devise « je sème à tous vents »…), pleurant, pendant deux pages sur la beauté, la délicatesse, la fragilité, bla-bla d’une pervenche à s’en tirer des larmes coulant abondamment sur ses joues glabres… Ce soir-là , quand ma mère rentra à la maison, j’éructai : « le premier imbécile qui me parle encore de ce type, je le jette ». Évidemment, comme je ne cédais rien sur une dissert’ plutôt  méchante, la note fut à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre d’un prof’ rousseauiste.

Mais de la philo, Saphiron, vous en avez fait à votre première question, tout petit garçon, lorsque vous avez commencé à poser la question fondamentale  : « pourquoi ? », à laquelle vos parents ont dû essayer, bravement, de répondre… Généralement, le « pourquoi ? » dure une bonne année et, souvent, est clos par un peu philosophique « passe que c’est comm’ça ! » assez agacé. L’enfant, ayant appris le ton de parole, la musique, avant les mots, essaie de ne pas renouveler  trop vite, tant il est vrai que la baffe sur la couche-culotte est encore pratiquée par les énervés de service…

Vous dîtes : « supprimons la philo. » Elle vous embête.

Pour moi, ce sont les maths, la physique, la chimie, la géographie qui me rendaient malade. Malade pour de vrai, vomissant pendant une nuit et souvent un jour d’affilée, pour décourager ma chère maman de m’amener, quand même, à l’école… Et, en terminale, en étudiant la « logique » (voyez-vous cela !), je compris que je n’étais pas nullissime en maths mais, simplement, que la méthode d’apprentissage adoptée pour tous n’était pas la bonne pour moi et que, par le biais de la logique, les maths devenaient fort clairs.

Il y a pour moi deux phénomènes qui président à la désaffection pour l’étude de la philosophie qui est la science de la vie, c’est l’a-culturation progressive (on ne lit plus, c’est : « file-moi le résumé ») et une forme d’enseignement dont je me demande si elle demeure adaptée (pas question de profs, mais question de programmes : z’ont jamais vu un ado ?).

Michel Onfray a créé une université populaire en Normandie et je gage qu’elle n’est pas fréquentée, en masse, par des bacheliers ni par des troisièmes cycles… Michel Onfray est totalement atypique et se moque des idées reçues. Il a, récemment, attaqué avec virulence, le papounet de la psychanalyse (j’ai détesté ce mec dès la première phrase), j’ai nommé, ce filou de Freud. Nous nous rejoignons sur Nietzsche, un des plus grands dans les modernes, je ne pense pas qu’on puisse éviter la lecture de Kant. Berkeley est quelquefois marrant dans ses théories mais pas stupide. Si vous êtes matheux, je vous recommanderais volontiers le petit père Bergson (que j’ai réussi à lire une fois que j’aie commencé à comprendre… les maths) ; sur un plan de pure psychologie, les conférences de Jung qui furent traduites en français par un remarquable psychiatre germaniste, d’une honnêteté rare, en tant que traducteur…

N’oubliez pas les écrits d’ Onfray qui enquiquine (brillamment) tout le monde et s’en fiche. Bien sûr de temps à autre, vous devrez ouvrir un dictionnaire tant les mots tombent dans l’ « obsélitude » aujourd’hui, vu, mon brave que, quand on en a un petit millier à sa disposition, on passe pour un intello…

Par contre, à mon humble avis, si vous pouvez, sans passer pour un imbécile (mais personne ne s’en apercevra, si vous ne vous dénoncez pas vous-même), éviter Rousseau, Freud, Lacan, vous pouvez en faire autant pour Sartre et Beauvoir (gratinés, ces deux-là, il est vrai que Beauvoir est pire), la mère Dolto qui, à la fin de sa vie, se sentit très très mal d’avoir écrit tant d’imbécillités (c’est encore assez confidentiel). Quant aux actuels, qui ont la prétention de tout mélanger pour montrer leur cul—ture, là, vous les volez (pas acheter). Vous ne les achetez pas… Si vous êtes en bibliothèque, vous les détruisez, qu’ils n’aillent pas pourrir des têtes fragiles. Vous avez sans doute, dans vos relations, quelqu’un qui fait provision de Goncourt tous les ans : on peut rire…

 

La philo, c’est la vie, la vie, c’est la philo.

 

J’ai acheté, récemment un « dictionnaire des termes philosophiques », j’avoue que, parfois, je ne savais plus (ou pas encore) ce que signifiait un mot. Je crois qu’il va subir l’affront suprême de la poubelle (je ne le fais jamais). Mais il ne faut pas exagérer, c’est aussi pédant que chiant.

 

Continuez, chaque jour, à « faire » de la philo : regardez ce qui se passe autour de vous, observez les êtres humains… Vous découvrirez peut-être que ce qu’on vous donne à lire, vous en avez, chaque jour, la démonstration autour de vous. Vivante, enrichissante.

 

J’espère qu’un gros point d’interrogation – conduisant à une légitime curiosité – est en train de se tortiller dans votre cervelle. Et j’espère vous l’avoir mis dans la tête pour une très belle quête… pleine de "pourquoi ?", auxquels vous répondrez seul, ou presque.