J'ouvre péniblement les yeux, encore engluée par le stress de mon dernier cauchemar … Mon homme chante sous la douche… c'est beau un homme qui chante sous la douche ! Un coup d'œil à mon radio réveil, m'informe qu'il est 7h30 et que je suis très en retard. Vite, je bondis hors du lit et me précipite dans la chambre de mon fils, le réveille le plus doucement possible, mais vite quand même … il se met à pleurnicher, je l'embrasse doucement et lui demande de passer à la salle de bains que son père vient de quitter, et de commencer à s'habiller car nous sommes en retard !

 

Vite un starter sous forme de café … je rempli le réservoir, verse le café moulu, et hop, branche la cafetière… elle se met immédiatement à faire des bruits incongrus, une suite de gargouillis qui me rappellent que j'ai oublié de la détartrer… ça va être long… tant pis… mon homme part en claquant la porte sans avoir pu boire son café, le pauvre ! Heureusement, sa secrétaire lui en apportera un dès qu'il aura mis les pieds sur – pardon – sous son bureau…..vite, je remonte au premier étage pour voir où en est mon fils… assis sur le bord de la baignoire il attend le regard vide pieds nus sur le carrelage! je l'aide à se débarbouiller et à s‘habiller, puis à mon tour je me glisse sous la douche… zut, l'eau est froide ! mon homme qui a vidé la réserve d'eau chaude.. Enroulée dans une serviette éponge, je descends, remets la chaudière en marche et remonte… ouf, ça marche …

Vite vite, petit déjeuner, pendant que je range les restes du repas, j'envoie mon fils se laver les dents… mamammmmm ! Il n'y a lus de dentifrice …… tant pis, redescend il faut que l'on parte.

 

Arrivés devant la porte de l'école, un attroupement : les instits font grève, un gamin a insulté l'une d'entre elles, elles protestent ! Et la cantine ? Pas de cantine non plus. Rien. Je fais quoi de mon fils ? la voisine, peut-être…

Retour à la maison, je sonne chez la voisine, et lui demande, "exceptionnellement" de garder mon fils aujourd'hui… elle accepte à condition que je vienne le rechercher avant 17 heures ! elle a un rendez-vous important… un nouveau mec sans doute … je m'en fous….ce n'est pas là mon souci premier… OK, je serais là pour 17 heures, promis.

 

Je saute dans ma voiture, et file jusqu'au parking de la gare, je prendrais le train suivant pour cette fois. Une foule attend sur le quai. Je me renseigne, que se passe-t-il ? Aucun train depuis ce matin ! y en aura-t-il AU MOINS un ? Mystère ! Personne ne sait, et aucun képi siglé SNCF à l'horizon ! Finalement, on nous signale quand même que suite à un mouvement de grève inopiné, il n'y aura pas de train ce matin. Parfois c'est à cause des feuilles mortes sur les rails, le givre, la neige, la pluie, le vent, une panne, un incident indépendant de leur volonté, un suicide, des noctambules tagueurs, des voleurs de cuivre … ou rien … là c'est la énième grève de l'année…pourquoi ? Autre mystère !

 

Qu'à cela ne tienne, je reprends ma voiture… qui vient grossir le flot de véhicules qui vont hélas tous dans la même direction que moi. A l'entrée de l'autoroute, trois files de voitures et de camions sur des kms ! La radio signale alors que des taxis en grève bloquent tous les accès de la ville ! Sympa ! ils auraient pu le dire avant au lieu de d'occuper l'antenne à raconter des histoires qui n'amusent qu'eux ! le rire hystérique de l'animatrice résonne dès 6 heures du mat ! Finalement j'arrive avec 1h30 de retard. Mon chef est déjà proche de l'apoplexie… J'essaie de lui expliquer… mais il ne m'écoute même pas et m'informe qu'il m'envoie une lettre d'avertissement… avec les femmes c'est toujours pareil, elles veulent tout : travailler et avoir des enfants, résultat, elles ont toujours de bonnes excuses pour être absentes ou en retard !

 

Le téléphone sonne sans discontinuer. Les clients me rendent responsable de toutes les erreurs commises dans le journal … et promettent de se plaindre en haut lieu … ben oui, ils connaissent tous quelqu'un en haut lieu … je laisse dire … ou raccroche tout simplement les laissant hurler dans le vide …. Ha, oui, j'ai oublié de préciser que je travaille dans la presse locale, et que le lundi matin les journalistes sont aux abonnés absents…. il n'y a que moi pour écouter les insultes qui leur sont destinées.

 

Je m'attaque avec un dégoût non dissimulé aux dossiers qui m'attendent, un travail merveilleux et passionnant : des calculs à longueur de journée, à partir de documents innommables, remplis de graffitis dans tous les sens, qu'ils osent appeler relevé de piges. Il vaut mieux avoir des dons d'extra lucide pour s'y retrouver !

 

Enfin… la journée à peine coupée d'un quart d'heure "sandwich" le midi… pour rattraper le retard de ce matin et partir à 16h30 pour récupérer mon fils … mais également  d'essayer ainsi d'amadouer le chef qui ne décolèrera pas de la journée, il n'a pas de chance, nous sommes tous (et surtout toutes) des incapables !  Avant, je passe au distributeur, je vais devoir la payer, et plus de liquide… un message s'affiche en rouge : désolé, votre compte est dans le rouge » moi aussi je commence à voir rouge.

 

Tant pis, il faut rentrer et vite. Je ferais un chèque (en bois) à la voisine ou la paierais dans deux jours quand mon salaire sera enfin sur mon compte. Pourtant ça fait deux jours que le virement est parti ! tout cet argent qui transite tous les mois pendant plusieurs jours, où va-t-il ?à qui profite-t-il ? pas le temps d'y penser davantage…. Retour vers l'autoroute…… encore une fois blocus des taxis, à moins que ce ne soit des routiers, ou des balayeurs … on ne sait pas bien sûr !c'est la faute à pas de chance… À moi donc !

 

Quand enfin, la route se dégage, je fonce droit devant… il faut que j'arrive avant 17 heures !

Je l'ai promis… et là ! FLASH ! je roule à 110 au lieu de 90 !!! Tiens, au fait … il fonctionne le radar, lui, aujourd'hui ! C'est sans doute la seule chose qui fonctionne normalement dans ce pays ! Arrivée chez la voisine. Elle est déjà sur le pas de la porte avec mon fils tout rouge, il a la fièvre, au moins 39°, elle me le rend comme un paquet de linge sale tout en me conseillant d'appeler le médecin, elle n'a pas osé le faire elle-même ni même pensé à me téléphoner, et puis, elle est pressée. J'oublie volontairement de la prévenir des embouteillages et me dit qu'elle ne sera pas non plus à l'heure à son rendez-vous…. Bien fait !

 

A la maison, j'attrape le téléphone et demande au médecin désormais "référent" et non plus de famille, de passer. Désolée, Madame, mais le docteur ne se déplace plus, et il ne peut pas vous prendre aujourd'hui, passez demain matin… c'est ça ! Et mon chef, alors, vous imaginez la tête qu'il va faire ? et puis, c'est urgent mon fils a beaucoup de fièvre. Hé bien, appelez SOS médecin … sitôt dit, sitôt fait …à l'autre bout : Pouvez-vous nous dire ce qu'il a votre fils ? Si je le savais…sûr, que je ne demanderais pas un médecin … il a de la fièvre ? Ha oui 40° ! Et à part cela, quels autres symptômes ? Maux de tête ? Ha oui… bon, et quoi encore ? Ha, des courbatures ? Ce doit être la grippe. Pas d'urgence donc. Vous savez, la grippe, ça se passe en quelques jours, il faut qu'il reste au chaud, qu'il boive beaucoup… etc… etc… ha, vous voulez quand même qu'un médecin passe ? Si vous insistez … je vais voir si c'est possible aujourd'hui. Bon, OK mais ils ne seront pas là avant une heure au moins… il y a de gros problèmes sur la route en ce moment … oui, ça JE SAIS !

 

Ouf, pendant que mon petit dort sur le canapé, je prépare le repas du soir. Il ne mangera sûrement pas. Son père si. D'ailleurs, à cet instant précis, il m'appelle, le père de mon fils : "je serais en retard ce soir, réunion exceptionnelle avec mon boss et plateau repas etc.. quel barbe !… ne m'attend pas, je ne sais pas à quelle heure je rentrerais. Mais n'oublie pas de préparer ma chemise bleue pour demain j'ai un rendez-vous très important avec un gros client". Même pas le temps de lui dire que notre fils est malade et que j'attends le médecin. Il a déjà raccroché. OK. Je me contenterais d'un peu de soupe et de fromage. Et puis, attendre le médecin. Il arrive une heure plus tard, examine mon fils, et confirme : c'est bien la grippe ! c'est contagieux on est en pleine épidémie en ce moment. Gardez-le au chaud. Voici une ordonnance. A cette heure, plus de pharmacie ouverte, mais si vous avez de l'aspirine en attendant demain, ça ira très bien. Pas d'antibiotique. C'est plus automatique. Voilà, c'est 70 euros ! Merci docteur ! Ben oui, déplacement, et le tarif de nuit !

 

Allez gros câlin dans avec mon petit garçon après son tilleul et son aspirine … A mon tour je me glisse sous la couette avec un bouquin en attendant mon cher et tendre… Lui parler de ma journée et de la grippe de notre fils …poser ma tête sur son épaule et ……..m'endormir enfin dans ses bras… me fera oublier cette journée formidable… Plus tard, j'entends la clé dans la porte… Elle semble hésitante… puis, un grand bruit, il s'est pris les pieds dans le cartable du petit… Lâche un juron ! Jette son attaché case sur la table du salon et pousse un énorme soupir ! en s'croulant sur le canapé attrapant au vol la télécommande : il ne faut pas rater le compte rendu du match qu'il a raté !

 

Quelques minutes plus tard, je l'entends monter, les marches craquent… petit passage à la salle de bains, robinet d'eau ouvert à fond, toutes lumières allumées, il se lave les dents…zut ! plus de dentifrice ! il est comme ça mon homme, il aime être bien propre sur lui … même pour dormir. L'eau dans le lavabo, puis, dans la tuyauterie.. Tout en finesse mon homme ! il s'approche de la porte de notre chambre, l'ouvre en grand, laissant entrer la lumière, il jure à nouveau, il a oublié d'éteindre dans le couloir… retour dans le noir vers la chambre, paf, il se cogne contre le lit, étouffe (à peine) un petit cri de douleur … bon, ne riez pas … ça fait mal !

 

Frrrtttttt !fait la couette lorsqu'il l'ouvre largement découvrant mon corps légèrement vêtu, jusque là lové bien au chaud au milieu du lit… le voilà qui s'affale à mes côtés… je lui murmure un gentil "bonsoir mon chéri, comment vas-tu ? " en me glissant plus près de lui et entourant son torse musclé de mon petit bras fragile. Hahhhh ! Je suis crevé, … j'ai eu une journée de dingue ! Si tu savais… tu ne connais pas ton bonheur toi, de n'avoir aucune responsabilité, de rentrer le soir et de pouvoir t'occuper tranquillement de notre fils, de l'aider pour ses devoirs, de faire la cuisine, le ménage, les courses, etc…tandis que moi ! Vivement dimanche, que je me défoule, que j'aille courir et retrouver les copains pour le match ! J'en ai bien besoin tu sais !

 

Et demain, c'est reparti… Allez, on dort, je dois me lever tôt (moi) ! Bonne nuit chérie, à demain. Et là, il me tourne dos, le temps de compter jusqu'à quinze, un doux ronflement emplit la chambre… le sommeil du juste ! il dort mon fier guerrier ! Alors je me prends à penser….puis à rêver… d'une vraie vie ! Celle qui n'existe que dans mes rêves ! Sans jamais plus de journées formidables !