Gendarmes à la maternelle : délinquant à trois ans ?

"Monsieur l’Inspecteur d’Académie, vendredi 6 février 2009 à 11h00 les gendarmes sont entrés dans l’établissement dont j’assure la direction, ils ont traversé la cour au milieu des élèves et ont demandé à me parler au sujet d’un élève, écrit Armelle Huitric*, professeur des écoles et directrice d’école maternelle dans le Gers, au début d’une lettre ouverte qu’elle a choisie de rendre publique. Les gendarmes m’ont interrogée sur le comportement, l’assiduité et la tenue vestimentaire de cet élève. Je suis directrice d’une école maternelle, cet élève est en petite section, il n’a que trois ans. Je me permets de vous adresser cette lettre car que je suis encore choquée de cette intrusion et des questions posées, relevant beaucoup plus d’appréciations que de remarques reposant sur des faits réels constatés. Comment le comportement d’un élève dans la structure école peut-il être interprété à l’extérieur par des personnes non qualifiées ? Jamais les gendarmes n’ont fait allusion à une suspicion de mauvais traitement à l’encontre de cet élève, ils ne m’ont pas plus questionnée sur ses propres représentations de sa vie à la maison ou à l’école. Que voulaient-ils me faire dire en m’interrogeant sur son comportement, son absentéisme ou sa tenue vestimentaire ? Cet enfant ne pose aucun problème au sein de l’école. En quoi la tenue vestimentaire d’un enfant de trois ans peut-elle poser un problème d’ordre public ? L’école n’étant obligatoire qu’à partir de six ans en quoi l’absentéisme de cet enfant plutôt que d’un autre qui a prolongé ses vacances, peut-il interroger ? Une enquête est-elle en cours ?"

Les questions que pose la directrice de la maternelle sont pertinentes. D’où viennent ces nouveaux comportements qui voient les gendarmes s’immiscer de plus en plus souvent à l’intérieur des établissements scolaires ? Armelle Huitric le rappelle, plus loin dans sa lettre : "Ces dernières semaines dans des écoles voisines, des directeurs ont été interrogés sur leur participation et celle de leurs collègues aux mouvements de grève, ailleurs ce sont les évaluations CM2 qui se sont déroulées sous murhaute surveillance, que se passe-t-il ? Pourquoi et à la demande de qui les gendarmes investissent-ils les écoles ? Que dire des rafles d’enfants sans papiers, qui nous renvoient à une période bien triste de notre histoire ?" Encore ne mentionne-t-elle pas ici les opérations anti-drogues, avec chiens dans les classes elles-mêmes ou bien alignés tous face au mur, à la sortie du bus scolaire** !

Comment comprendre qu’ainsi, aujourd’hui en France, des gendarmes viennent mener une enquête dans une maternelle, interrogeant la directrice sur le comportement d’un gosse de trois ans ? On ne peut que faire un parallèle avec les préconisations décomplexées du parti au pouvoir : "Le rapport Varinard (…) propose de réformer l’ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs, résumait ainsi RMC en fldécembre 2008, au moment de la remise dudit rapport à Rachida Dati. Ce texte préconise, entre autres, un abaissement de la responsabilité pénale de 13 à 12 ans. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, justifiait lundi cette décision et relançait un peu plus le débat ultra-sensible du dépistage de la délinquance : «  Je ne pense pas que ce soit trop tôt, a-t-il dit au sujet de la proposition d’abaisser la responsabilité pénale de 13 à 12 ans. Moi, je souhaite qu’on aille même sans doute un peu plus loin, sur la question de la détection précoce des comportements. Cela a été dans beaucoup de rapports. On dit qu’il faut le faire dès l’âge de trois ans pour être efficace (note de RMC : une détection à but médical se fait à l’heure actuelle à l’entrée au primaire, vers 6 ans).  » Le débat fait rage entre les partisans d’un dépistage précoce et les opposants à ce « fichage » systématique", concluait l’éditorialiste de la radio. Quel débat en effet ! D’un côté, les UMPistes qui ont décidé, du haut de leur science infuse, qu’il fallait détecter les enfants susceptibles de devenir plus tard des délinquants dès le plus jeune âge. Histoire de racoler la frange de leur électorat à l’hystérie ultrasécuritaire irrémédiablement implémentée au cerveau par un cocktail détonnant : l’effet du matraquage médiatique, des manipulations politiciennes et de l’auto-hypnose. Une vision de la société où l’obsession du risque zéro crée une suspicion généralisée et une surveillance de plus en plus intrusive des citoyens, qu’on voudrait désormais voir démarrer dès les bancs de la maternelle.

A l’opposé de cette position, on a les spécialistes de la petite enfance. Qui dénoncent la dérive à l’œuvre. Lorsque le ministre de l’Intérieur Sarkozy avait, en 2006, déjà proposé la détection à trois ans, une pétition avait rapidement réuni plus de 200 000 signatures. Certains, comme le professeur Martine Myquel, chef de service pédopsychiatrie à Nice et membre de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, tirent la sonnette d’alarme, dénonçant un risque important de prédétermination et de conditionnement par l’entourage : "Penser, quand on voit un enfant qui tape les autres, qu’il va être délinquant, c’est quasiment le programmer. Si tout le monde a dans la tête, les parents, l’école, une prévision qu’il va devenir délinquant, on va l’amener éventuellement à l’être. Au lieu de développer ce qu’il y a de positif chez lui." Mais pourquoi ce chiffre de trois pas de 0ans ? Tout est parti d’un rapport de l’Inserm. L’association Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans résume parfaitement la problématique : "Janvier 2006, l’appel Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans est lancé. Il dénonce une déviation prédictive de la prévention et s’élève contre les risques de dérives des pratiques de soins, notamment psychiques, vers des fins normatives et de contrôle social. Il appelle à un débat démocratique sur la prévention, la protection et les soins prodigués aux enfants. Très vite porté par près de 200 000 signataires, l’appel suscite un débat scientifique et de société d’une ampleur sans précédent, témoignant massivement d’un double refus : refus d’une prévention prédictive, du déterminisme biologique et du conditionnement car à trois ans, tout n’est pas joué ; refus ensuite, que la politique de sécurité s’empare des domaines qui relèvent de la politique de santé, notamment du dépistage précoce de problèmes psychologiques. (…) Dans le même temps, la validité scientifique de l’expertise de l’Inserm est de plus en plus contestée par l’immense majorité des professionnels concernés, par de très nombreux chercheurs et par de larges secteurs de l’opinion publique et des familles. Notamment, la pertinence de la notion même de "trouble des conduites". A la demande du ministre de la santé, saisi par Pasde0deconduite, l’Inserm organise un colloque le 14 novembre 2006. C’est quasiment à une contre-expertise collective sur la question du dépistage des « troubles des conduites » de l’enfant que se livrent tous les grands noms de la pédopsychiatrie française, et des pédiatres, psychologues, sociologues, épidémiologistes… Ce colloque dégage un rejet quasi unanime à l’égard des préconisations de dépistage précoce de la délinquance, d’un dépistage centré sur les seuls symptômes visibles, d’une approche sécuritaire des difficultés de santé. Tous les professionnels s’accordent sur la nécessité d’une prévention globale des troubles, dans le respect de l’humanité et de la singularité de l’enfant comme de sa famille."

affiche"Quand j’ai passé l’entretien de directrice en 2OO2, conclut notre professeure des écoles gersoise, personne ne m’a demandé si j’accepterai en tant que directrice de ficher mes élèves contre l’avis de leurs parents. Personne ne m’a prévenue que les gendarmes pourraient entrer dans l’école et m’interroger sur la tenue vestimentaire des enfants, le travail de mes collègues, ma participation à un mouvement de grève ou signaler un enfant sans papiers. Aujourd’hui, avec la mise en place du fichier Base Elève et Base Nationale Identifiant Elève, avec la loi sur la prévention de la délinquance, les devoirs de directrice d’école m’obligeraient à des comportements que je juge indignes d’un enseignant, dois-je y perdre toute humanité ? La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen demeure la base des valeurs que je défends. En tant que directrice, je refuse de rentrer mes élèves dans le fichier Base Elèves sans l’autorisation de leurs parents, je refuse de répondre à des questions personnelles concernant un élève si elles n’ont pas pour but l’intérêt et la protection de l’enfant. (…) Je vous prie de croire Monsieur l’Inspecteur d’Académie à l’expression de mes respectueuses salutations, ainsi qu’à mon attachement à l’école publique, à la Liberté, à l’Egalité et à la Fraternité." Trois gros mots se sont glissés dans la dernière phrase : saurez-vous les retrouver ?

* Armelle Huitric est aussi sympathisante de l'organisation Attac.

** voir nos billets Descente de gendarmes à l’école et Le gouvernement envoie les gendarmes à l’école pour effectuer de force ses évaluations bidon.

10 réflexions sur « Gendarmes à la maternelle : délinquant à trois ans ? »

  1. Bonjour
    [img]http://www1.bestgraph.com/gifs/animaux/abeilles/abeilles-02.gif[/img] Olivier,

    Le tout sécuritaire, même à partir de trois ans.
    Souvent les enfants se chamaillent, se battent lors des récréations et ce n’est pas pour cela que se seront des délinquants, plus tard.
    Souvent les enfants sont turbulents, mais ce ne sont pas là non plus, de futurs délinquants.

    Je suis d’accord avec vous, en les classant ainsi, c’est là qu’il y a le plus de risque d’en faire dans l’avenir des délinquants.
    Alors que ce ne sont que des enfants en pleine santé, qui apprennent même si parfois cela va jusqu’aux chamailleries, à vivre en société. Et apprennent aussi les codes qui régissent cette société et forgent leur caractère futur. Mais ce n’est sûrement pas pour cela, qu’ils deviendront des voyous.

    A moins que l’on veuille apprendre à ces enfants dès le plus jeune âge c’est-à-dire trois ans à devenir des moutons, sans aucune pensée, sans même avoir un caractère différent d’un enfant à l’autre.
    Voudrait-on ainsi faire des êtres qui vivent dans cette société française, des humains tout juste bon à suivre le mouvement, sans se rebeller par peur des sanctions ???

    Que cherche ce gouvernement ???
    On veut nous ficher, nous classer dans des catégories et ce, même dès l’âge de trois ans, c’est une honte et sûrement pas un fait démocratique.

    Ce gouvernement devient de plus en plus susceptible à ce qui est écrit sur le net, allant même jusqu’à traiter des jeunes « d’agitateurs qui veulent fomenter une micro-révolte, simplement parce qu’ils ont écrit et réagit sur la loi Darcos sur leur blog et ce, sans insultes, ni diffamations, tout en ayant reçu la visite de seulement 15 lecteurs.
    Puis les policiers de la SDIG issue des RG sont venus dans leur lycée, enquêter, et se sont saisi de leur dossier scolaire.

    Véritable tentative d’intimidation, véritable atteinte à la liberté d’expression.

    Nicolas Sarkozy espère-t-il ainsi, un régime français complètement totalitaire ou nous n’aurions plus aucuns droits, même pas celui de nous exprimer, alors que cela fait partie de la Constitution. Nous n’aurions plus ainsi, que le droit de l’aduler ???

    Belle démocratie ??????

    Un vote Super.
    Amicalement.
    ANDREA.

  2. C’est vraiment du grand n’importe quoi… Cela démontre également que le Régime de Quinquennat Présidentiel est excessivement dangereux, en plus d’être réellement antidémocratique !

  3. Cela ne me semble pas lié avec le sujet de ce papier… Mais, cet article paru dans 20minutes, mérite réflexion malgré tout…

    [b][i]« Justice des mineurs: les moins de 13 ans n’iront pas en prison mais pourront être  »placés en retenue »»[/i]
    C.F.[/b] ([i][u]avec[/u] [b][b]agence[/b][/b][/i])
    [b]20minutes.fr[/b]
    [i][u]Créé le[/u] 16.03.09 [u]à[/u] 12h34 | [u]Mis à jour le[/u] 17.03.09 [u]à[/u] 09h47[/i]
    [url]http://www.20minutes.fr/article/311419/France-Justice-des-mineurs-les-moins-de-13-ans-n-iront-pas-en-prison-mais-pourront-etre-places-en-retenue.php[/url]

  4. et encore un hoax , un!
    on ne sait pas de quoi il faut le plus s’étonner, de la paranoia de la directrice ou du manque de recul du commentateur!
    que sait donc l’enseignante de la mission des gendarmes ce jour là ? agissaient ils d’initiative, sur instructions d’un magistrat?
    à qui fera t’on croire que le comportement ou l’apparence d’un gamin de 3 ans est recueilli à des fins de fichage, on se demande bien comment pourrait être utilisé des années après le fait qu’il porte un habit propre , sale, bleu ou rouge !
    d’expérience, la démarche , comme les questions  » d’environnement » de l’enfant ont toutes chances de se rapporter à une enquète sur la vie familiale ( soupçons de maltraitance, délaissement,..) et il est bien évident que les gendarmes n’allaient pas en confier le motif à une personne extérieure à l’enquète!
    et puis , comme elle dit, il n’a jamais posé de problème à l’école; autrment dit , pas de douilles , pas d’embrouille !

    sur un plan plus général, les personnels de l’EN sont d’abord et avant tout des fonctionnaires d’Etat; en tant que tels, ils doivent, ou plutôt ils devraient, si des décennies de veulerie devant les lobbies syndicaux n’avaient pas transformé l’application du statu en mascarade, appliquer scrupuleusement les lois et règlements et travailler de concert avec les autres corps de l’Etat !
    dans une vraie démocratie, ceux que cette évidence chagrine seraient fermement invités à se soumettre ou se demettre !

  5. Bonjour
    [img]http://www1.bestgraph.com/gifs/animaux/abeilles/abeilles-02.gif[/img] Hum,

    D’accord, mais bien souvent les cas de maltraitance ne sont décelés que trop tard, pas tous, bien heureusement.

    Il ne faudrait pas, sous couvert de protéger les personnes, les enfants, ficher bon nombre d’entre nous.
    Il ne faut pas oublier non plus que l’Etat veut déceler, les enfants difficiles dès le plus jeune âge, alors ????

    Et que penser du fait que je rapporte pour les deux jeunes lycéens, dans mon commentaire.

    Eux, n’avaient comme tort, que le fait d’avoir donné leur opinion sur la loi Darcos sur leur blog, sans insultes, ni diffamations. Et pourtant des policiers de la SDIG issue des RG, sont venus enquêter dans leur lycée.

    Les parents de ces lycéens, à juste titre ont peur que leurs enfants soient fichés à vie, pour un acte sans gravité.

    On veut nous faire taire, cela se remarque de plus en plus, surtout sur le Net.

    Sur ce point, je suis en total accord avec Dominique je le cite :

    – « Cela démontre également que le Régime de Quinquennat Présidentiel est excessivement dangereux, en plus d’être réellement antidémocratique ! ».

    Un vote Super à l’auteur de ce très bon article.
    Amicalement.
    ANDREA.

  6. Je n’ai qu’un mot à la bouche en lisant cet excellent article:

    [b]L A M E N T A B L E[/b]

    Mais quelle mouche a donc piqué cet État pour s’en prendre directement à des mouflets de 3 ans et quel qu’en soit la raison?
    Ce n’est pas l’honneur et la dignité qui étouffent nos « dirigeants »

  7. @ Hum : ce n’est pas sous prétexte qu’on est fonctionnaire qu’on se doit forcément d’appliquer les lois et réglements, non : le droit de désobéissance est le pare-fou qui empêche la complicité d’actes délictueux. Par exemple les fonctionnaires de la police française qui ont arrêté les juifs en vue de les déporter…

  8. « Les enfants n’écoutent pas vos conseils, ils suivent votre exemple »

    Quand on veut vraiment lutter contre la délinquance, on suit cette maxime.

  9. Les Dieux nous sont tombés sur la tête! 3 ans et bientot fiché! c’est un mélange de Huxley, Minority Report et Kafka! En plus dans le Gers, ce petit ilot de verdure, ce ballon d’oxygène où il ne se passe jamais rien!

    cela dépasse l’entendement!

    Continuons sur l’école et la police, dans un autre « je t’aime moi non plus »
    Son blog déclenche une enquête de police »

    Un lycéen de 15 ans a mis en ligne un site sur les réformes Darcos. La police s’est déplacée dans son établissement pour obtenir son dossier scolaire

    il ne se doutait pas que créer un blog aurait de telles conséquences. A peine en service, son site consacré aux réformes Darcos a été repéré par la police. « C’est même la DCRI (NDLR : Direction centrale du renseignement intérieur), ex-renseignements généraux, qui s’est présentée dans son établissement du Perreux pour demander son dossier scolaire », détaille Johan Ankri, conseiller municipal de Bry (PS).
    Le jeune homme n’a toujours pas compris ce qui a pu se passer… « J’ai participé aux manifestations contre les réformes Darcos et les suppressions de postes, raconte Stéphane, élève de seconde. Avec un ami, nous avons pensé qu’il serait intéressant de créer un blog pour informer les jeunes du Val-de-Marne des mouvements de grève, expliquer les réformes et leurs conséquences. » Le blog CIL 94170 (Comité indépendant lycéen) est mis en ligne pendant les vacances de Noël et, début janvier, après une rapide discussion téléphonique avec une journaliste, s’est retrouvé dans les colonnes d’un hebdomadaire.
    « Que fait-on du droit d’expression ? »
    « En rentrant de vacances, le 5 janvier, on a un peu parlé du blog entre nous, mais sans plus. Le lendemain, le conseiller principal d’éducation est venu me chercher en classe et m’a interrogé sur le site. J’ai appris que deux policiers étaient venus au lycée pour avoir des renseignements sur nous et nos parents. Depuis je n’ai pas de nouvelles. Je sais seulement que le blog a été désactivé il y a quelques jours et c’est frustrant. » Une décision prise apparemment par le cocréateur du blog.

    chantage, pressions? nous sommes vraiment sur écoute!

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