Qu’est-ce que « la presse » ? Hors régionaux ou locales du Parisien, couverture de conférences de presse ou d’événements figurant à l’agenda, « la presse » c’est souvent des dépêches d’agence plus ou moins remaniées mais « neutres », des reportages et des éditoriaux. Alors que Rupert Murdoch, encore l’un des plus puissants patrons de presse mondiaux, s’étonne que la presse détenue par des capitaux « juifs » soit si « anti-Israël », qu’un « pool » de correspondants internationaux ont été victimes, à Gaza, d’un tir israélien sur un local de Sky News, la question de l’impartialité de la presse se pose. Condamne-t-elle vraiment « Israël » ?
C’est quoi « la presse », et c’est quoi « Israël » ? Israël, pour la presse, c’est « Tel Aviv », tout comme on emploie « Paris » ou « le Quai d’Orsay », « Bercy ». Pas tel ou tel diplomate, ou le fonctionnaire Untel, ni même « les Parisiens », bien évidemment.
Voici donc qu’un porte-parole du ministère de la Défense israélien estime que les cibles identifiées pour des frappes sur Gaza étaient et sont toutes légitimes et qu’il n’a pas été question de viser en particulier les journalistes de Sky News, MBC TV, Al Arabiya, ORF, ARD TV et d’autres chaînes européennes ou mondiales.
Il s’agissait seulement de détruire des « centres de communication du Hamas ».
Admettons la version du porte-parole du ministère de la Défense israélien.
Admettons aussi que l’Association de la presse internationale (israélienne, aussi, donc) puisse nourrir des doutes sur cette version. Heureusement, personne parmi les journalistes forcément présents dans leurs locaux n’a été blessé grièvement, semble-t-il.
Maintenant, si toutes les fois qu’un journaliste se fait descendre ou blesser lors d’un conflit – ceux de l’ex-Yougoslavie ont été particulièrement meurtriers pour la profession, il est des correspondants de guerre qui affichent six ou sept blessures infligées lors de divers conflits –, que ce soit par erreur ou méprise, voire en guise d’avertissement, que ce soit par les uns ou par les autres, « la presse » prenait parti, cela se saurait.
En revanche, « on » lui fait, dans ces cas, souvent prendre parti. Soit que, par exemple, « Damas s;» dise blanc, tandis que « Paris » dit noir ou gris : l’exemple n’est nullement fortuit puisque des journalistes avaient succombé à des tirs de mortier en Syrie.
Même indépendante des pouvoirs politiques, la presse ne va, dans le doute, pas ou peu les contredire sans preuve flagrante.
La « presse juive »
Accréditant de fait une vieille lubie voulant que la presse occidentale soit « aux mains des Juifs », voici donc que Rupert Murdoch, via Twitter, fait semblant de s’étonner : pourquoi donc la presse à capitaux juifs se montre-t-elle si systématiquement anti-Israël lors de chaque crise ? (Why Is Jewish owned press so consistently anti-Israel in every crisis ?).
Il visait en particulier CNN et Associated Press (AP), une chaîne et une agence.
Pourtant, La Maison Blanche (et non « les Américains ») a bien fait porter la responsabilité de l’actuel conflit sur le Hamas et proclamé le droit d’Israël à se défendre. Aucun article factuel n’a passé ces déclarations sous le boisseau.
De même, le fait que des missiles se soient abattus sur des zones israéliennes peuplées n’a pas, que l’on sache, été passé sous silence.
Le bilan est rapporté : « 42 Palestiniens, dont 13 civils, et trois Israéliens ont été tués au cours de la semaine écoulée. ». Faut-il absolument laisser entendre que ces trois Israéliens n’étaient pas des militaires ?
Il existe aussi une presse d’opinion juive ou israélienne pour laquelle la moindre critique du gouvernement actuel israélien est une attaque qualifiée contre tout le « peuple juif ». Cela, c’est indéniable, et moi qui n’incarne pas ici « la presse » vous en fiche son billet, et je peux concevoir que cela commence à courir sur le haricot d’ex confrères et d’actuelles consœurs, y compris pas mal d’israélophiles (appréciant, sinon toutes et tous les Israéliens, du moins la majorité, en dépit ou non de divergences qui ne fâchent pas trop).
Presse israélienne ou favorable à Israël
Pratiquement toute la presse israélienne est favorable à Israël (mais non pas forcément à son gouvernement), une bonne partie de la presse internationale, judéophile proclamée (c’est le cas de titres aux États-Unis) ou « neutre » de même. Très peu d’éditorialistes occidentaux reprennent, sauf pour les citer, les thèses iraniennes ou celles prônant la disparition de l’État d’Israël.
On pourra toujours tenter de me prouver statistiquement le contraire, je n’en démordrai pas…
Cela ne me porte absolument à considérer que cette presse est « vendue » à Tel Aviv, aux Israéliens.
Il n’empêche que la presse israélienne, en général, fait fort bien son boulot. Ynet News fait son boulot : « cinq femmes, cinq enfants tués à Gaza ». Et 25 blessés en une seule frappe. C’est le Hamas qui le dit. C’est rapporté sans commentaire. 66 victimes à Gaza depuis le début de l’Opération Pilier de la défense. Ynet News relaye en fait Reuters et l’AP. On peut comparer avec les dépêches originales, c’est remanié (amalgamé), pas tripatouillé.
C’est relativement simple. L’Internet suit en temps réel, les Israéliens eux-mêmes ne s’en laisseraient pas compter : les correspondants à Jérusalem ou Tel Aviv du Times of India, dont ne sait quel titre japonais, ou d’autres pays supposés neutres quant à ce conflit, voient leurs papiers reproduits quasiment dans l’heure suivant l’envoi.
Même chose pour les correspondants au Caire ou à Islamabad. Qui rapporte quel telle ou telle personnalité évoque « les martyrs » de Gaza. C’est du : ils disent, eux disent, ils répondent, ils rétorquent.
Les déclarations, les faits, sauf s’ils restent confus, contestés, objets d’appréciations contradictoires, ne sont contestés par personne.
Cynisme ?
Il se trouve que les morts de femmes et d’enfants font toujours davantage pleurer dans les chaumières que celles de combattants, fussent-ils fort jeunes, comme pour ceux de l’armée israélienne ou de milices palestiniennes. Mais dans ce cas, un enfant est un enfant, quel que soit le bord supposé de ses parents. Ah, certes, quand il s’est agi d’un petit-fils Kadhafi mort sous une bombe de l’Otan, la presse française n’a pas été vraiment très larmoyante.
Ben oui, parfois, des victimes sont plus collatérales que d’autres. Et « la presse » anglaise ne s’est pas vraiment émue du sort de Dresde, à l’époque. Mais allons, passons aux reportages.
Les envoyés spéciaux en Israël minoreraient les craintes des civils effrayés par les roquettes ou missiles du Hamas ? Ah bon ?
Pas vraiment davantage que l’Hindustan Times, qui titre « Gaza se bat pour sa survie, les forces israéliennes en alerte ». Évidemment, il est question de femmes et d’enfants. Qui se sentent tels des « rats en cage ». Il y a sans doute de quoi, et davantage qu’en Israël, en tout cas, ce jour, à cette heure. Soit que les gosses de Gaza font davantage de cauchemars que les gosses de Tel Aviv.
Mais si c’était le contraire, que feraient les envoyés spéciaux ? On devine la réponse : idem.
Quant aux causes, Nidal al Mughrabi, de l’Oman Daily Observer, ne sait guère que penser. Le Hamas a-t-il voulu se faire mousser ou les politiciens israéliens au pouvoir ont-ils estimé qu’une offensive sur Gaza faciliterait leur réélection ? Je gage que les deux opinions sont soutenues tant à Gaza qu’à Tel Aviv. Tout comme l’exprime une note à la clientèle de Nomura Global Markets, les deux hypothèses ne peuvent guère être formellement départagées.
Selon Haaretz, Tel Aviv souhaiterait un cessez-le-feu et un diplomate israélien serait arrivé au Caire. Netanhayu aurait affirmé à Fabius que, dès que le Hamas cesserait ses tirs, l’offensive israélienne stopperait.
CNN rapporte aussi qu’une roquette du Hamas avait frappé un véhicule à Ofakim, et une maison à Ashkelon. Et même relate les déclarations de l’IDF (l’armée israélienne) comme quoi des roquettes du Hamas retombent à Gaza et tue des Palestiniens.
Ceux qui soutiennent que la presse serait pro-israélienne ou pro-palestinienne seraient peut-être surpris de lire Mohssen Arishie dans l’Egyptian Gazette. Il estime que l’entêtement d’Abu Mazen met de l’huile sur le feu du conflit entre Gaza et Israël. Il s’agit du président Mahmoud Abbas, surnommé Abu Mazen, du Fatah. En voulant à tout prix une représentation aux Nations Unies, il aurait poussé Israël a répliquer encore plus fortement aux tirs du Hamas qui célébraient ainsi la visite de l’émir du Qatar à Gaza. Cela ne dédouane certes pas Israël de ses propres responsabilités, mais on ne peut pas dire que l’article soit d’une tonalité anti-israélienne.
Le dernier bilan serait de 23 Palestiniens tués. L’Express titre avec cette info. Eh oui. Les blessés israéliens – en tout cas à cette heure – ne « font pas le poids », au moins d’un titre.
Qu’en sus, Reporters sans frontières soit dans son rôle en dénonçant des tirs israéliens qui auraient finalement blessé neuf journalistes, qui peut s’en étonner ?
Cela ne fait certes pas une presse anti-israélienne. N’en déplaise à Murdoch ou tout autre… Ni très fortement pro-palestinienne ou pro-israélienne. Et c’est là une litote.
Ou alors, rapporter que le Hamas souhaiterait que les États-Unis soient les garants d’un cessez-le-feu représente une inqualifiable agression anti-israélienne. Ah bon ? Si certains veulent le voir ainsi, là, hein, que faire, qu’écrire d’autre ?
Qu’en penser vraiment ?
Rappeler sans cesse que le Hamas peut tirer depuis des zones peuplées, vu la largeur du territoire, serait peut-être bienvenu, soit. C’est insolite, quand des résistants (par exemple, en Syrie) le font, cela ne semble guère s’imposer. Dire et redire qu’il ne fait pas l’unanimité à Gaza même, que ses va-t’en-guerre font bon prix de la population, que des groupes encore plus belliqueux lui font concurrence, c’est quand même supposé connu. Que ses slogans soient détestables (« Hamas, Hamas, tous les juifs au gaz » a été scandé ce jour à Anvers ; les Christenen voor Israel n’avaient pas prévu l’offensive quand ils avaient programmé un concert de l’orchestre et des chœurs de Tsahal) est indéniable. Mais il devient encore plus intolérable de rappeler que Tel Aviv avait joué les islamistes contre l’OLP. Pour un peu, il faudrait faire d’Israël le Tibet du Moyen-Orient et des Israéliens des Tibétains n’ayant que seul recours de s’immoler par le feu.
Alors, oui, aussi, on trouve, comme dans The Hindu, des éditorialistes condamnant sans restriction l’offensive israélienne. On en trouvera d’autres pour soutenir le contraire.
Contrairement au sieur Murdoch, un blogueur du Jerusalem Post distribue de bons points à Reuters, à CNN, et l’Atlantic, tandis que Gawker, le New York Times, la BBC seraient les mauvais élèves de la classe journalistique pour leur couverture du conflit de Gaza. Slate serait dans la médiocre moyenne.
Ben oui, mais que pouvait écrire vraiment d’autre une envoyée spéciale du NYT à Gaza ? Était-ce vraiment une si brillante idée d’éliminer Ahmed al-Jabari ? Et n’est-il pas vrai qu’aucun politicien israélien ne se hasarde à suggérer qu’il est temps d’avancer des propositions ?
Mais par ailleurs, le titre « frère », l’International Herald Tribune, publie un billet de Shmuel Rosner dont la fillette, Yael, sa benjamine âgée de cinq ans, lui a téléphoné de Tel Aviv. Shmuel Rosner craint pour ses enfants dans un abri de Tel Aviv, encore davantage pour les enfants d’amis du sud d’Israël, mais n’en considère pas moins que les siens, à peu près sûrs d’être physiquement (psychologiquement, c’est autre chose) indemnes « sont les chanceux, vivant dans le puissant Israël, et non pas à Gaza, où les enfants palestiniens ont la part du lion de la violence. ».
Shmuel Rosner collabore aussi au Jewish Journal.
Je n’ai ni bon, ni mauvais point à lui décerner, mais je souhaite vivement que ses enfants puissent vivre en paix. Soit que le Hamas ne joue plus avec la vie des enfants de Gaza et d’Israël, mais aussi que l’actuel gouvernement israélien fasse de même avec les enfants des deux côtés de ses murs.
De toute façon, on peut toujours s’égosiller : les gros titres du jour emballeront le poisson du lendemain…
[b]Le manifeste de la jeunesse de Gaza[/b]
Gaza Youth Breaks Out
Collectif de jeunes artistes et militants associatifs de la bande de Gaza
« Nous avons trois exigences: nous voulons être libres, nous voulons être en mesure de vivre normalement et nous voulons, la paix. Est-ce trop demander ? »
[i][b]Merde au Hamas.
Merde à Israël.
Merde au Fatah.
Merde à l’ONU et à l’Unrwa.
Merde à l’Amérique![/b]
Nous, les jeunes de Gaza, on en a marre d’Israël, du Hamas, de l’occupation, des violations permanentes des droits de l’homme et de l’indifférence de la communauté internationale. Nous voulons crier, percer le mur du silence, de l’injustice et de l’apathie de même que les F16 israéliens pètent le mur du son au-dessus de nos têtes, hurler de toute la force de nos âmes pour exprimer toute la rage que cette situation pourrie nous inspire.
Nous sommes comme des poux coincés entre deux ongles, nous vivons un cauchemar au sein d’un autre cauchemar. Il n’y a pas d’espace laissé à l’espoir, ni de place pour la liberté.
Nous n’en pouvons plus d’être piégés dans cette confrontation politique permanente, et des nuits plus noires que la suie sous la menace des avions de chasse qui tournent au-dessus de nos maisons, et des paysans innocents qui se font tirer dessus simplement parce qu’ils vont s’occuper de leurs champs dans la zone « de sécurité », et des barbus qui se pavanent avec leurs flingues et passent à tabac ou emprisonnent les jeunes qui ont leurs idées à eux, et du mur de la honte qui nous coupe du reste de note pays et nous enferme dans une bande de terre étriquée.
On en marre d’être présentés comme des terroristes en puissance, des fanatiques aux poches bourrées d’explosifs et aux yeux chargés de haine ;
marre de l’indifférence du reste du monde, des soi-disant experts qui sont toujours là pour faire des déclarations et pondre des projets de résolution mais se débinent dès qu’il s’agit d’appliquer ce qu’ils ont décidé ; marre de cette vie de merde où nous sommes emprisonnés par Israël, brutalisés par le Hamas et complètement ignorés par la communauté internationale.
Il y a une révolution qui bouillonne en nous, une énorme indignation qui finira par nous démolir si nous ne trouvons pas le moyen de canaliser cette immense énergie pour remettre en cause le statu quo et nous donner un peu d’espoir.
(…)
Nous sommes une jeunesse au cœur lourd. Nous portons en nous un poids tellement accablant qu’il nous empêche d’admirer le coucher de soleil : comment pourrait-on, alors que des nuages menaçants bouchent l’horizon et que des souvenirs effrayants passent dans nos yeux à chaque fois que nous les fermons ?
Nous sourions pour cacher la douleur, nous rions pour oublier la guerre, nous gardons l’espoir pour ne pas nous suicider tout de suite. Au cours des dernières années, Hamas a tout fait pour prendre le contrôle de nos pensées, de notre comportement et de nos attentes.[/i]
[i]Nous sommes une génération de jeunes qui se sont déjà habitués à évoluer sous la menace des missiles, à poursuivre la mission apparemment impossible qui consiste à mener une existence normale et saine ; nous sommes à peine tolérés par une organisation tentaculaire qui s’est étendue à travers notre société, tel un cancer malveillant déterminé à détruire dans sa propagation jusqu’à la dernière cellule vivante, la dernière opinion divergente, le dernier rêve possible, à paralyser chacun de nous en faisant régner la terreur.
Et tout ça arrive dans la prison qu’est devenu Gaza, une prison imposée par un pays qui se prétend démocratique. A nouveau l’histoire se répète dans toute sa cruauté et tout le monde a l’air de s’en moquer.
Nous vivons dans la peur. Ici, à Gaza, nous avons peur d’être incarcérés, interrogés, battus, torturés, bombardés, tués.
Nous avons peur de vivre parce que chaque pas que nous faisons doit être sérieusement considéré et préparé, parce qu’il y a des obstacles et des interdits partout, parce qu’on nous empêche d’aller où nous voulons, de parler et d’agir comme nous le voulons et même parfois de penser ce que nous voulons, parce que l’occupation colonise nos cerveaux et nos cœurs, et c’est tellement affreux que c’est une souffrance physique, que nous voulons verser des larmes de révolte et de colère intarissables.
Nous ne voulons pas avoir de haine, ressentir toute cette rage, et nous ne voulons pas être encore une fois des victimes. Assez! Nous en avons assez de la douleur, des larmes, de la souffrance, des contrôles, des limites, des justifications injustifiées, de la terreur, de la torture, des fausses excuses, des bombes, des nuits sans sommeil, des civils tués aveuglément, des souvenirs amers, d’un avenir bouché, d’un présent désespérant, des politiques insensées, des politiciens fanatiques, du baratin religieux, de l’emprisonnement. Nous disons:
ASSEZ! Ce n’est pas le futur que nous voulons!
Nous avons trois exigences:
nous voulons être libres,
nous voulons être en mesure de vivre normalement
et nous voulons la paix.
Est-ce que c’est trop demander ?
Nous sommes un mouvement pacifiste formé par des jeunes de Gaza et des sympathisants de partout ailleurs, un mouvement qui continuera tant que la vérité sur ce qui se passe chez nous ne sera pas connue du monde entier, et à tel point que la complicité tacite et la tonitruante indifférence ne seront plus acceptables.
Ceci est le manifeste pour le changement de la jeunesse de Gaza!
Nous garderons la tête haute même si nous rencontrons le refus. Nous allons travailler nuit et jour pour changer la situation lamentable dans laquelle nous nous débattons. Là où nous nous heurtons à des murs, nous construirons des rêves. Nous espérons que vous qui lisez maintenant ces lignes, oui, vous, vous nous apporterez votre soutien.
Nous voulons être libres, nous voulons vivre, nous voulons la paix./i]
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