Voilà un sujet tout trouvé pour mes ex-confrères (quand c’est soi-même, l’ex, comment dit-on au juste, au fait ?), la correctrice et le correcteur du Monde qui animent le blogue Langue sauce piquante… Le franglais est peut-être détestable, mais le frenglish est parfois beaucoup plus redoutable. Une invitée du programme Today de Radio Four, Lynda La Plante, l’apprend à ses dépends pour avoir utilisé le syntagme nominal (masculin, non, neutre) retard. Pour la presse britannique, elle aurait qualifié ses collègues de la BBC de morons, ou retardés mentaux. 

Miss Lynda La Plante, 70 printemps, intervenait à Dubai, lors d’un colloque littéraire, puis sur Radio 4, où elle évoquait son admission à une association de médecine légale. Elle est notamment connue pour ses scénarios d’émissions policières, ou de whodunit, et une question lui fut posée sur leur réception par les décideurs. Elle a évoqué qu’on ne savait jamais qui réceptionnait, et que l’éventualité qu’un·e retard serait le destinataire n’était pas nulle. Soit un ou une retardé·e mental·e…

Du coup, la presse britannique en a fait des gorges chaudes, estimant qu’elle considérait tout décideur de la BBC tel un moron (un abruti). 

Retard, dérivé du français (et du latin retardere), autrefois retardement, est passé en anglais en tant que verbe (procrastiner ou être retardé), mais aussi en tant que nom pour un ralentissement (du lat. tardus) ; ou un réglage mécanique, et aussi dans le sens de stupide, obtus, crétin ou de retardé mental (sens médical). Ce peut être même une interjection offensante (you retard !).

Bref, en version anglaise, ou thème scolaire, un vrai « faux ami ».

L’Ofcom (à peu près équivalent au CSA français) a dû se fendre d’un communiqué. Les Brits sont très, très touchy quant à l’usage de mots crus dans les médias audiovisuels ou de presse écrite. Ardisson, Cauet, Patrick Sébastien n’auraient pas tenu longtemps chez nos voisins. Cela vaut pour tous les supports ou médias audiovisuels, mais c’est particulièrement sensible lorsqu’il s’agit de la vénérable Beeb. Dans la presse écrite, on utilise par exemple b****, sans donner la finale, y, de bloody (foutu, sacré). Et le mot f**** (f*** word) prend parfois quatre astérisques (contre souvent deux points de suite après c, soit c.. ; pour bref, un, une s….é·e c..ne). Ce qui ne brouille parfois vraiment pas les pistes. Entre l’adjectif b**** et le nom b****, on peut toutefois rester perplexe (entre bloody et bastard).

En rediffusion, le bip de substitution est souvent utilisé, mais il est question de couper carrément le micro en cas de direct si un mot offensant venait à être prononcé. Avec une certaine latence, sans doute. Un léger retard à l’extinction, pourrait-on écrire.

Les Britanniques sont censés être restés prudes, parfois même davantage que les Américains, et certaines scènes de film à caractère sexuel peuvent être coupées pour une diffusion, surtout télévisée (ou salles de cinéma accueillant un public familial, moins dans les salles dites d’art et essai), tandis que la version longue sera diffusée de l’autre côté de l’Atlantique.

Le « politiquement correct » s’étend. Comme l’a relevé un linguiste britannique sur son blogue, le mot anglais n’a pas toujours été considéré « tabou » (un no-no). Il était acceptable pour désigner quelqu’un éprouvant des difficultés d’apprentissage (une ou un dyslexique, par exemple).

Le problème a été amplifié après que, dans un tweet (entré aux dictionnaires français et anglais depuis peu), Ann Coulter, une conservatrice (conservative) en vue, avait qualifié Barrack Obama de retard. C’était en octobre 2012. Un athlète paralympique, John Franklin Stephens, en avait fait l’objet d’une lettre ouverte. Le Guardian avait alors ouvert une discussion en ligne. 84 % des répondants en ligne avaient considéré que le terme était devenu péjoratif.

Mais le saviez-vous ? L’arrière-petit-fils d’Albert Einstein s’est rendu compte que le patronyme de son ancêtre – et le sien – était à présent utilisé de manière sarcastique, moqueuse. Eh va donc, (espèce d’) Einstein… Aussi intelligent qu’un minuteur de cuisson (bright as an egg-timer) ou, peut-être, au contraire, qu’un compteur d’allumage ou mise en route ? Allez saisir… (ou allez se faire cuire).

Ah, oui, au fait, outre-Manche (the other side of the Chunnel), la dernière expression in, c’est pardon my French… Ce qui signifie que vous allez exprimer de manière olé-olé, ou salace, ou d’éjaculer (correct, en français comme en anglais) une énormité. Exemples : pardonnez mon français, mais vous êtes un trouduc ; mais David Cameron est si coincé que si vous lui fourriez un boulet de charbon dans le fion, en deux semaines, il vous chierait un diamant.

L’expression était autrefois une formule de style indiquant que le locuteur allait employer un mot, une phrase, en français, et qu’il convenait de s’excuser à l’égard de celles ou ceux dominant mal le français. C’était en fait dire, en enfilant des gants, qu’on allait faire usage d’un mot français (et pas forcément d’une capote anglaise, ou french letter). Traduction passe-partout : pardonnez-moi l’expression. Un livre titré ainsi, de Charles Timoney, paru en 2007 à Londres (Penguin), est sous-titré Unleash Your Inner Gaul (mais non, il ne s’agit pas de sortir votre pénis, mais de comprendre, par exemple, ce qui signifie un « apéritif dinatoire », ou « faire un canard » – avec un sucre ; soit de maîtriser nos colloquialismes). J’y avais appris que « donner du sang » signifierait dresser une table d’abondance pour une bombance de bamboula.
Par extension, bien sûr, toute forme d’expression peu urbaine (policée) pouvait être précédée ou suivie de cette remarque. Surtout s’il s’agissait d’évoquer un phoque (p***é comme un… sissy), excusez mon anglais, comme dans l’expression « allez donc enfiler votre va va voom, excusez mon anglais, là où cela fait mal. »

En fait, évoquant une ou un retard, Lynda La Plante aurait gagné à prier qu’on lui pardonne son français, cela aurait sans doute mieux passé. Alors que naguère, utiliser « avant-garde » (très courant à présent en anglais), aurait pu impliquer l’emploi de la locution. Il devient vraiment très difficile de remettre les pendules à l’heure, dans la presse ou sur les ondes.

Pardonnez ma/mon candor (franchise, sincérité), mais ce mot, pour candeur, ou chasteté, est devenu obsolète, passé (Eng.). L’Optimiste de Voltaire l’entendait d’ailleurs ainsi, enfin, aussi. Candide n’était pourtant point un arriéré (ou retardé) mental. Mais peut-être, un jour, mais à l’inverse, les deux langues feront-elles machine arrière. A malentendu, pardon my French, a quid pro quo, excuse my Italian.
Avis aux candidats à l’épreuve d’anglais au baccalauréat : pour misunderstanding, vous pourriez, histoire de traduire « malentendu », utiliser l’équivalent de quiproquo, mais en scindant, avec quid, et en italisant (si votre écriture est naturellement penchée, redressez, « romanisez »-là). Pas sûr pour autant que le correcteur soit au fait de ce type de subtilité. Allez savoir s’il est retardé ou pas assez en avance… Ach, grossière erreur (« gross malheur »), un quid pro quo, en anglais, traduit tit for tat (ou le lat. do ut des). Absolument pas un néné (tit, pardonnez l’expression). Et cela peut s’employer pour un chantage. Mais qui pro quo, toujours en trois syllabes transcrites avec espaces intermédiaires, se conçoit en anglais.

Il y a vraiment de quoi « s’équivoquer » (parfaitement français, mais plutôt attendu en espagnol, du fait du verbe equivocarse), avouons-le. Bref, gare à la gourance (antan : doute, soupçon). On en conviendra, La Plante aurait peut-être gagnée à s’abstenir ; là, elle s’est plantée. Mais en faire tant d’ado (non, non, point teenager, mais fuss, commotion, to-do), c’est peut-être un tantinet exagéré. Aussi, brisons-là… jeunes et moins jeunes gens.