Inutile de paraphraser François Hollande dont l’adresse aux Françaises et Français est intégralement d’accès libre sur le site de Libération. Il serait plus intéressant, pour un médialogue, de relever ce que d’autres titres ont retenu de la dépêche AFP (par exemple, Le Figaro et Le Parisien gardent le passage sur le Front national, mais Le Parisien sucre celui sur les « autres candidatures de gauche et des écologistes », selon les termes de l’AFP). Mais ce qu’il m’apparaît surtout, c’est que, mordant à l’endroit de Sarkozy, François Hollande est resté bien vague et flou sur ses intentions. Au moins, la veille, dans Le Monde, Michel Rocard avait été très net : il faut faire rendre gorge aux « lobbies financiers ». Pour le moment, F. Hollande s’en tient aux généralités.

Nul besoin d’approfondir la manière dont le verbatim de François Hollande a été repris par la presse écrite, sachant que ce serait prématuré. Hormis Ouest-France, qui a carrément, lui, sucré toute référence au FN, au Front de gauche, aux écologistes, la presse « qui compte », en France, ce sont les radios-télés, un peu les blogues, qui vont encore davantage condenser, amplifier et minorer certains passages et eux seuls.

Mieux vaut sans doute relever que l’adresse aux « électeurs souvent issus des classes populaires » tentés par « une extrême-droite » qui n’est pas plus citée nommément que Mélenchon ou Chevènement ou d’autres, tend à révéler que le candidat le mieux placé à gauche n’a que peu appris. Sur le fond, il n’a pas tout faux, et l’exemple des dérives autocratiques hongroises est là, bien présent, bien évident, pour peut-être, mais peut-être seulement, préfigurer les dérives qui pourraient séduire certains dirigeants du FN, voire Marine Le Pen, qui devra composer. Mais dire à ces électrices et électeurs que « violence sociale » et « vindicte ethniciste » guettent la France, ce n’est pas exclu, mais un peu court, peu crédible. Ce ne sont pas les émeutes de Londres et d’ailleurs ou les crimes racistes fréquents en Grande-Bretagne (surtout en Angleterre) qui risquent de mettre le royaume britannique à feu et à sang.

Certes, une victoire de Marine le Pen entraînera d’inévitables dérives isolées, individuelles. Mais la masse de son électorat n’en est plus là.

La réalité du FN, que je ne connais sans doute pas mieux que ses composantes, c’est sans doute qu’il est voué à une cohabitation en cas de victoire surprise d’une candidate qui, peut-être, préférerait à vie endosser l’habit d’éternel opposant de son père : c’est beaucoup plus confortable. Ce n’est, il est vrai, qu’une hypothèse.

Mou sur le fond

Pour résumer mon impression globale : François Hollande s’est posé en conciliateur, en président gaullien (l’issue va « dépendre […] aussi de la force de ma propre candidature ») s’adressant au ventre mou de l’électorat, flottant et indécis, et aux centres, droits et gauches, qui ont fait, autant et plus que les socialistes et communistes de conviction, défaut à Ségolène Royal. C’est du Jospin ripoliné, si on préfère. Après tout, pourquoi pas ? C’est peut-être fort bien ce qu’attendent celles et ceux qui feront la décision.

Mais comparons l’essentiel, soit les louvoiements et évitements de l’un, Hollande, et la démonstration et engagement de l’autre, Rocard, sur le sujet de la crise. Bah, Rocard… Il ne présidera pas, il se noie parfois trop dans les détails, &c. Mais au moins, dans sa tribune du Monde, « Pourquoi faut-il que les États payent 600 fois plus que les banques ? », il a été fort net. Hollande eut été bien inspiré de s’en inspiré. Certes, il a parlé vrai : comme tous les autres chefs d’État, il fera en fonction des situations très mouvantes du moment, il avisera au mieux de ce qu’il considère possible. Rocard, ou Delors, d’autres, sans doute aussi s’ils avaient un réel pouvoir décisionnaire.

Alors, oui, dire clairement que Nicolas Sarkozy n’est qu’un sinistre pitre, un faiseur, un bonimenteur, un carpet bagger (du nom de ces candidats américains auxquels il n’importe que de se faire élire), c’est une nécessaire confirmation. Hollande s’est montré mordant et incisif, comme l’est la rue (peut-être pas les maisons de retraite), ainsi que l’électorat des centres gauches et droits que Sarkozy exaspère. Sarkozy n’a présidé en fait qu’une trop longue campagne en collecteur de fonds pour sa réélection. Il convenait de le rappeler.

Michel Rocard, lui, peut-être pour ne pas mordiller une main qui lui a jeté des os à ronger sous la table, mais pas seulement, a tenu Sarkozy pour quantité négligeable, pour ce qu’il est de fait quand aux orientations face à une crise qui peut basculer d’un jour à l’autre en des proportions titanesques. Sauf que : il n’y eut que 700 rescapés lors du naufrage du Titanic, et 1 500 noyés, très majoritairement l’équipage et les passagers de troisième classe. Là, le bilan serait sans doute beaucoup plus lourd, et c’est sans doute 90 %, et non 75 %, des troisièmes classes qui périraient, et bien plus des 58,6 % des secondes classes. Les officiers de bord du réel pouvoir, dit Rocard, ce sont les financiers. Il faut les relever de leur commandement ou leur donner le bon cap avant que le navire heurte l’iceberg.

L’Europe citoyenne

Rocard a cité Roosevelt : « Être gouverné par l’argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé. ». C’était faire de Sarkozy le second couteau qu’il est. François Hollande a peut-être eu raison de ne pas reprendre l’argument principal de Rocard : « certains États sont obligés (…) de payer des taux 600 ou 800 fois plus élevés » que ceux des banques (0,01 % parfois, 0,5 ou 1 % selon les continents ou les pays). Une énorme masse de l’électorat ne veut pas entendre ces arguments, se bouche les yeux et les oreilles, Hollande l’a bien compris. Il a aussi tenu compte de l’euroscepticisme qu’entretient le FN et les résignés au pire. Il a aussi tenu compte du passé : la finance n’a pas tenu un révolver sur la tempe de Jospin, de Villepin, bien plus prudents que Sarkozy, c’est un euphémisme, non, les financiers ont mielleusement favorisé leur propre crise de solvabilité et celle des États. Là, ils se payent une nouvelle fois sur la bête.

« Asphyxier nos économies au seul profit de quelques banques privées, » résume Rocard. C’est certes réducteur, mais la préconisation, qui revient à suivre la voie Argentine et à se déclarer faillis, mais non fraudeurs, consiste à renégocier les dettes accumulées sur dix ans « à des taux proches de 0 % ».

Clair et net. Dangereux à énoncer pour le candidat Hollande, mais il disposait d’autres manières pour le dire. Il n’en a fondamentalement rien fait. Sans doute craignait-il que le gang Sarkozy s’en empare pour lui coller sur le dos la perte de la fameuse notation AAA.

Sur les fondamentaux et le péril immédiat, pour une entrée en campagne, Hollande a fait du Flamby pour ne pas heurter ni Lactalis, ni Nestlé, ni la rentière de Carpentras qui s’en délecte en consultant Le Journal des Finances.

Que François Hollande ambitionne d’être un président « normal » est salutaire. Après l’anormal et l’insane, après le chef de chambrée muselant toute la section gouvernementale et la brigade parlementaire, un président arbitre, s’en tenant à son rôle essentiel, sera bienvenu.

Il était certes plus facile à Rocard qu’à Hollande de se prononcer pour « un traité de convergence sociale et une vraie gouvernance économique », soit, de fait, pour un temps au moins, sans le Royaume-Uni, peu prompt à se rallier à une « Europe citoyenne », toujours plus enclin à préserver les intérêts de ses plus riches sujets.

Certes, Hollande avait dit, ailleurs : « Maastricht, il n’en reste plus grand’ chose. Tout cela est derrière nous… ». Mais la « réorientation » de l’Europe qu’il souhaite est bien floue. On peut le comprendre : cela ne se décide pas seul. La forfanterie d’un Sarkozy hâbleur, cela suffit, tant les Françaises et les Français que les Européennes et les Européens ont compris.

Mais c’est à une entrée en matière bien convenue que s’est livré François Hollande. Espérons qu’il montrera plus d’audace, et surtout saura débattre sur le fond. On verra ce mardi soir, sur France 2, s’il saura prendre moins de hauteur et mettre un peu davantage les mains dans le cambouis.

P.-S. –  Je n’aime pas piquer des photos non libres de droits, mais là… La photo est donc de Jeff Padioud, de l’AFP, et pompée sur le site de François Hollande (http://francoishollande.fr), en montage avec l’éloquent verso d’un tract détaillant le bilan de la présidence de Nicolas Sarkozy.
Petit conseil au candidat : vues les photos de la presse, il ferait bien, pour les blogueurs, de mettre à disposition des photos libres de droits sur son site… Cela vaut d’ailleurs pour les autres… Dont Marine Le Pen qui dispose d’une galerie de photos « DR » (droits réservés), inutilisables.
François Bayrou est capable d’afficher des photos floues, mais en cherchant bien, on trouve des visuels convenables sur le site de son mouvement. Voir : http://www.mouvementdemocrate.fr/bayrou.html.