Deux destinations pour cette journée de jeudi 26 janvier : Davos, et le Forum économique mondial, Athènes, où s’abattent encore plus de cartes que ne s’échangent de jetons. De Suisse parviennent quelques nouvelles depuis les coulisses, sans doute plus significatives que les discours officiels. En Grèce, c’est aussi à la périphérie que cela se joue, notamment à Francfort, siège de la Banque centrale européenne…

Hier, à Davos, c’était un George Soros quasiment désemparé qui faisait l’événement.

Retiré des affaires (enfin, presque, mais il ne gère plus que sa fortune personnelle), il admet ne plus savoir trop où un investisseur pourrait bien placer sereinement ses capitaux.

Dans les dîners, réceptions, raouts divers, tous les banquiers confient volontiers qu’ils ont schématisé, à tout hasard, diverses projections de sortie de l’euro (désordonnée, limitée, générale…).
Ce jour, c’est David Cameron qui, comme Angela Merkel, plaide pour plus de gouvernance, mais à la mode très libérale : déblocage du système, des freins bridant la compétitivité, dérégulation des professions protégées (taxis, notaires, on ne sait quoi encore). Son discours a été diffusé à la presse, et il est conforté par d’autres déclarations en d’autres tables rondes.
Tenez, par exemple, Tidjane Thiam (Prudential) plaide pour s’affranchir du « carcan » du salaire minimum garanti. Des coolies ne remplaceront plus un tunnelier, mais on voit l’idée : des renards toujours plus libres… Pourtant, à Shenzen, le salaire minimum va grimper de 16 %, à 1 500 yuans, soit 180 euros, celui en vigueur à Pékin, un peu moins (+8,6 %) mais, donc, globalement « on » gagne à présent autant en Chine qu’en Roumanie ou en Bulgarie… (où les rémunérations baissent). On vante pourtant beaucoup la Chine, à Davos…

D’autres, bien sûr, pointent d’autres ressources, comme Raymond Baker, qui considère que 5 % de la richesse mondiale file dans des paradis fiscaux, et que la corruption, si elle était muselée, ramènerait partout des liquidités, des fonds suffisants pour redresser les économies nationales. Bref, rien de très neuf si ce n’est qu’en dépit du volontarisme de Cameron, près d’un participant sur deux ne donne pas cher de la survie de l’euro, l’autre estimant qu’il tiendra. L’issue ne dépendra pas que des tractations sur la dette grecque, mais une moitié s’attend au pire, l’autre à un sursis suivi d’une lente convalescence.

La BCE, créancier prioritaire

Alors que la pression sur les taux des emprunts italiens se relâchent, sans doute du fait d’interventions indirectes (voire directes) de la BCE, la question est la suivante : Francfort a-t-il fait son deuil de la Grèce pour tirer d’affaire les autres pays du sud de l’Europe ? La BCE est l’un des créanciers prioritaires de la Grèce et la question reste de savoir si elle consentira à subir des pertes sèches en effaçant partie de sa créance. Christine Lagarde l’a suggéré hier si… les créanciers privés ne fléchissent pas autant qu’espéré, soit consentent à des pertes plus importantes. La CDU allemande ne veut pas en entendre parler et qualifiait hier la suggestion du FMI d’« indécence ».

Mais finalement, la question grecque est-elle si cruciale ? Les tractations peuvent perdurer jusqu’en mars. Cela s’arrangerait d’ailleurs. Les banques européennes font mine de céder, laissant entendre qu’elles accepteraient des taux de 3,75 % pour leurs créances grecques (soit sous les 4 % de l’avant-veille), mais elles posent des conditions : que les créanciers prioritaires lâchent aussi du lest. Mais la BCE reste inflexible.

De mon humble point de vue, le résultat des soldes, en France et ailleurs, aura davantage d’impact sur les décisionnaires européens. Au Royaume-Uni, ce fut un flop, deux-trois chaînes (chaussures, habillement…) ont dû jeter l’éponge et nombre de commerçants ont baissé à jamais leur rideau. Comme à Davos, à Londres, Paris ou ailleurs, ce qui importe, c’est une croissance soutenue par les achats et les ventes de vraiment n’importe quoi (comme des produits Apple, dont la capitalisation est supérieure au PIB de la Grèce et d’autres pays).
Mangez gras d’un côté, achetez des pilules minceur de l’autre… Jetez vos vieux vêtements devenus trop étroits, puis ceux dans lesquels vous flotterez, et recommencez.

Cameron, à Davos, se félicite d’être hors de la zone euro, mais à Londres, la CBI (le patronat, la British Industry) annonce au même moment que les ventes au détail ont fléchi de 22 % lors des deux premières semaines de janvier (44 % des volumes des commerces en baisse, 22 % en hausse). Tiens, et si la livre devenait trop chère pour assurer le succès des Jeux olympiques de Londres, cet imparable « moteur de la croissance » qui fut si impitoyable pour Athènes ? Boris Johnson, « maire » de Londres, s’est amusé à exposer une sculpture en glace (d’eau de la Tamise) à Davos. Les recettes vont-elles fondre aussi ?

Mesures urgentes

À Davos, Cameron préconise pour la mise en œuvre de mesures urgentes de soutien à l’économie et l’emploi, tout comme, à Bruxelles, Herman Van Rompuy plaide pour que, le 30 prochain, lors du sommet européen, des décisions applicables très rapidement soient prises. Sont espérées des mesures « radicales, difficiles », immédiates. Cameron pointe les failles de l’euro : déséquilibre de la compétitivité des pays de la zone, faiblesse de la banque centrale, mutualisation des dettes insuffisante, &c. La survie de l’euro passera, pour lui, par des volées de coups de fouet.
Sa survie reste, pour lui, pour l’instant, en suspens. Il faut aussi à tout prix éviter d’imposer une taxe sur les transactions financières, qui serait « de la folie pure et simple ».

Bob Diamond (Barclay’s) renchérit : la régulation financière, c’est la « balkanisation », cela oblige à restreindre le crédit, à revoir à la hausse les frais bancaires… David Rubenstein (Carlyle Partners) se frotte les mains. Cameron obtiendra de Bruxelles encore moins de contraintes, plus de flexibilité de l’emploi, moins de contrôles tatillons, &c. Ce jeudi restera la grande journée des dérégulateurs…

Il n’y a bien que Michel Barnier (ex-ministre français, commissaire européen) pour pointer, sur Tweeter, « une attention croissante à l’entreprenariat social, nouvelle source de croissance en 2012. ». Belle déclaration qui ne mange pas de pain. Social Business ou asocial, c’est toujours du Business.

Elle MacArthur (ex-championne de voile, recyclée dans les études économiques) plaide pour l’économie circulaire (démontage et recyclage facile des produits pour en refaire d’autres). Davos fait du vieux avec du neuf pour refaire du vieux… Plus cela change, plus c’est la même chose, les marchés et les industriels savent mieux que quiconque ce qui convient pour tout le monde, laissez-faire…

Les économistes présents à Davos, surtout ceux opposés à ces vues dérégulatrices, font grise mine, tweete Jamie McGeever, de Reuters.

La grande perdante de Davos, c’est l’Allemagne de Merkel qui plaide l’austérité pour les autres. Faisal Islam, de C4 News (Channel 4), confirme. Merkel en prend pour son grade de toutes parts. De fait, avec le discours de Cameron, Sarkozy aussi.

À Davos, Cameron a aussi plaidé pour une recapitalisation des banques. Comment l’envisage-t-on à Athènes ? En émettant des actions non-assorties d’un droit de vote ! Tout le pouvoir aux sachants, aux dirigeants des banques !

Bien davantage que ce qu’impliquent les déclarations de Sarkozy, ou de Hollande, ou de quiconque, ce qui se dessine, c’est une offensive libérale généralisée. La tendance est à préconiser la baisse des bas salaires, la flexibilité, moins de protection sociale, au produire et échanger librement davantage pour faire consommer, si possible autant, des produits plus « compétitifs ». On s’en doutait, cela se confirme.

Ah oui, au fait, pour aller manger des petits fours à Davos, il faut compter, si on n’est pas invité officiel, 40 000 dollars US pour être accrédité, se déplacer, se loger, se restaurer. Par tête. Christine Lagarde est arrivée en fin d’après-midi à Davos où la neige a cessé. Elle ira ensuite en Tunisie et au Moyen-Orient, de quoi accumuler des miles ou des s’miles. Quant à la Grèce, inutile d’attendre quoi que ce soit avant début février, semblerait-il. Les Grecs disent que les discussions sont chaleureuses mais les créditeurs les qualifient de tendues et problématiques…
La réalité c’est que les créditeurs de la Grèce ne veulent pas aller trop loin. Cela ferait un fâcheux précédent pour eux lorsqu’il leur sera demandé de faire de même pour… le Portugal, lui aussi au bord de la faillite, et qui a dû, ce jour, emprunter à des taux catastrophiques.