Certes, croit-on, il faut travailler davantage en Chine qu’en Roumanie ou Bulgarie pour atteindre le salaire minimum. Croit-on car souvent, Bulgares et Roumains cumulent deux emplois, parfois à plein temps ou presque, parfois à temps partiel. En Roumanie, les rémunérations des fonctionnaires et assimilés (« budgétaires ») ont fléchi d’un quart, ce qui entraîne aussi une baisse de facto des autres rémunérations. « Moralité », à Shenzen, on gagne davantage qu’à Cluj ou même à Sofia désormais. Au Forum de Davos, on vante la Chine… mais aussi la sortie du « carcan » du salaire minimum…

 

J’étais aujourd’hui sur Twitter, des sites étrangers de presse et des réseaux sociaux, à suivre la crise grecque et le Forum mondial économique de Davos. Mais, comme hier, j’avais suivi le discours du président roumain dont les Indignés d’Occupy Bucarest et d’autres villes réclament la démission, j’ai fait un tour sur les sites roumains. Lesquels ressortent deux articles récents du Financial Times. Les salaires minimums, fixés par les régions chinoises, augmentent de 8 à 16 % et atteignent désormais le niveau de ceux, officiels, équivalents en Roumanie et Bulgarie.

Adevarul, le quotidien gratuit le plus lu de Roumanie, en fait un titre de tête de page d’accueil. Il y a de quoi. D’une part, petitement mais sûrement, la Roumanie importait des travailleuses chinoises pour œuvrer dans des entreprises de l’Europe de l’ouest. Elles risquent de rester chez elles…
D’autre part, c’est simple, cette hausse risque de nous être bénéfique : ce qui est recherché, c’est de faire tomber dans toute l’Europe les salaires – préalablement déréglementés – au niveau chinois. C’est déjà, d’ailleurs, le fait en Allemagne pour une frange croissante de travailleurs marginalisés. Mais ce n’est pas suffisant.

 

Bien sûr, les firmes occidentales, hormis les financières, qui renforcent chaque jour leurs effectifs en Asie, vont fuir la Chine, pour le Vietnam, ou Madagascar, ou on ne sait où… Mais au moins, même si Nokia s’est retirée de Roumanie (remplacée par un fabricant italien d’électro-ménager), cela devient plus rentable de s’implanter en Roumanie ou Bulgarie, là où commence à venir une main-d’œuvre grecque qui n’a pu envisager de filer en Australie. Les ex « Conti » français, dans deux-trois ans, arrivés en fins de droits, viendront peut-être frapper à la porte de "La Continental", à Timisoara. 

Les chiffres sont simples. Plus 16 % pour l’équivalent smic à Shenzen (Apple va sans doute migrer, on n’obtient pas une capitalisation égale au PIB de la Grèce avec de tels salaires), soit 180 euros. À Pékin, c’est un peu moins : 150 euros. Salaire minimum roumain : 160 euros.
Certes, en Chine, peut-être, comme en Roumanie, un studio en ville se louera bientôt dans les cent euros. Mais on peut toujours s’entasser dans un studio… Certes, les prix vont augmenter… Mais cela donne une idée…

 

Nokia a cédé des brevets, qui seront peut-être acquis au final par Lenovo ou d’autres constructeurs chinois, et après avoir raclé des subventions en Allemagne, en Roumanie, elle s’implante au Vietnam. La société finlandaise y finira peut-être par sous-traiter des smartphones Lenovo… L’américaine Coach Leathers (bagages, maroquinerie) vient de rapatrier de Chine partie de sa production, après 71 ans au service du luxe « made in the USA » et… là où c’était moins cher à produire.

Mais la Chine conserve bien des avantages. Le salaire minimum existe, mais on l’atteint souvent en travaillant aux pièces. Tiens, à Davos, on n’a pas encore évoqué le retour à la rémunération à la pièce. Pas de précipitation : on y viendra… Et puis, nulle inquiétude, ce n’est qu’une situation transitoire : les capitalistes et financiers européens et américains, après avoir obtenu des gouvernements de s’affranchir du « carcan » du salaire minimum, finiront bien par convaincre le Parti communiste chinois de faire de même, pour préserver la « compétitivité » des marchés…

D’ailleurs, dans le Financial Times, Alan Greenspan, l’ancien patron de la FED (la banque centrale étasunienne), vient de lancer une sévère mise en garde. Il ne faut pas fausser les jeux des marchés. La « bataille » pour le capitalisme est « loin d’être gagnée », alors qu’il a fait croître l’espérance de vie, réduit la pauvreté, assuré le bonheur, la félicité, et bien évidemment, toute régulation favorise la corruption, tandis que la dérégulation, le laissez-faire, c’est l’essence même du bon capitalisme.

D’ailleurs, pour lui, c’est assez simple.
Si les États-Unis ne sont pas compétitifs, c’est parce qu’ils ont voulu préserver des emplois domestiques au lieu de laisser des immigrés plus qualifiés et plus travailleurs s’y installer. Que le meilleur gagne. Lui, Greenspan, meilleur d’entre les meilleurs, a bien mérité sa confortable retraite.