Qui croire ? Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France qui, dans Le Télégramme (dit de Brest), considère que l’accord du Conseil européen à Bruxelles est « bon », que les agences de notation roulent pour le dollar, et qu’elles devraient commencer « par dégrader le Royaume-Uni » ? Ou Ludovic Lamant et François Bonnet, de Mediapart, qui, comme pratiquement toute la presse internationale, ayant décrypté l’accord, le décortiquent pour dévoiler « les dessous d’une supercherie » qui apparaît de plus en plus pour ce qu’elle est.

Selon divers observateurs, l’euro, s’il survit, devrait se négocier à 1,20 contre le dollar d’ici six mois. Hmm… qui peut encore prévoir quoi que ce soit à six mois ? L’euro vient de tomber sous la barre de 1,30 et la Banque centrale européenne (BCE) n’aura sans doute plus longtemps les moyens de colmater. Mario Draghi, de la BCE, annonce qu’il n’y aura pas « de sauveur externe » pour les dettes souveraines. L’un de ses adjoints considère que les gouvernements sont comme des alcooliques ou des toxicos réclamant chaque jour une nouvelle dose en promettant que ce sera la dernière ou l’avant-dernière. Pour les dettes des banques, la BCE et le FMI (auquel la Russie vient de promettre des fonds, limités, soit des prêts de 10 ou 20 milliards de dollars), voire la FED (la banque centrale étasunienne), interviendront peut-être comme elles le pourront, sans trop se dévoiler (la Federal Reserve a caché au Congrès étasunien plus des trois-quarts de ses interventions pour favoriser les banques, en prêtant à des taux symboliques l’argent qu’elles se reprêtent entre elles ou qu’elles injectent à des taux dix fois supérieurs).

Peu pour racheter les autres

Quoi que puisse en dire Christian Noyer, les banques françaises sont mal en point, les assurances aussi (Dexia, Groupama…). En Europe, très peu d’établissements financiers, même pas des banques « mutualistes » peuvent se targuer d’une réelle bonne santé. Il y a deux types de dettes, les bonnes et les mauvaises, les souveraines et les « privées ». Si on les additionne, la remarque de Christian Noyer se conçoit. Mais il aurait pu ajouter que les dettes allemandes ne placent pas vraiment l’Allemagne dans une meilleure position que le Royaume-Uni ou la France, voire quelques autres pays encore considéré « vertueux ».

Quant à l’accord de Bruxelles, il était prévu qu’il soit consolidé lors d’un autre sommet, en mars. Ce sera sans doute plutôt fin janvier, a indiqué Herman Van Rompuy. Noyer dit, mais Lagarde aussi : pas un pays, pas une région au monde n’est à l’abri, pas même la Chine, donc, qui entreprend de revoir sa politique industrielle et financière. Le retour au scénario de la Grande Dépression, aggravé du fait de l’interconnexion beaucoup plus forte des économies qu’en 1930, n’est pas du tout à exclure.

Comment s’en sortir ? Par, automatiquement, plus d’austérité, mais aussi par un retour à la croissance. La seule question : l’austérité pour qui, et quelle croissance pour qui ?

Les catastrophes « naturelles » (la plupart induites par l’activité humaine, en réalité), ont provoqué deux fois plus de dommages d’une année sur l’autre, soit 108 milliards d’USD en 2011 (contre 48 en 2010). On en était à 128 en 2005 (dévastation de la Louisiane). Alors, bien sûr, détruire et reconstruire, cela fait toujours du PIB.

Pendant ce temps, Merkozy se hausse du col, indique Mediapart, tout simplement pour tenter d’assurer la réélection de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel, ou ne pas mécontenter leurs clientèles. Il en est de même pour l’Anglais Cameron, mais ce dernier peut au moins prétendre qu’il va défendre l’emploi britannique, via les PME-PMI. Et les opinions sont partagées, derrière l’unanimité de façade des 26, qui se fissure, risque très vite de se briser…

Un accord bidon

Conclusion de Mediapart, la plupart des mesures de Bruxelles n’ont aucune chance d’entrer en vigueur et « d’ici là, l’Europe et l’euro ont le temps de couler… ». C’est peut-être allez un peu vite en besogne, mais ce n’est absolument pas faux. Vu d’ailleurs que du Figaro, les déclarations de Noyer (et avant lui, Pécresse et Baroin), s’apparentent à des gesticulations.

Si tant était que l’accord puisse avoir des effets, en tout cas ceux annoncés, cela conduirait à ce que l’austérité engendre un plus fort ralentissement économique qui, à son tour, renforcerait l’austérité.

Mais cet accord est déjà fissuré : la Tchéquie et la Hongrie rejoignent le Royaume-Uni. Cameron pourrait fort bien convaincre la Suède et l’Irlande, faire valoir qu’il peut encore lancer des emprunts à 2,1 % (contre 3 pour la France), et il sera de toute façon présent au futur sommet à 27, de Bruxelles, fin janvier. Au temps pour le « bon accord » de Noyer. Cependant, Cameron assure que ses discussions avec les Suédois, les Tchèques et les Irlandais ne visent pas à détricoter l’Europe.

Que font les banques ?

Le Crédit agricole va se recentrer sur son cœur de métier, abandonner les lucratives interventions sur les matières premières et les produits de base (commodities) ou les dérivés actions, céder des filiales étrangères. Il est prévu que Fitch Ratings abaisse sa note à A+. Effectivement, dans ce cas, ce n’est pas si grave : le CA aura moins besoin de liquidités, il rétribuera moins, mais il peut s’en sortir. Ce recentrage sur le territoire, voire le « terroir » (les caisses bretonnes vont lancer des publicités en ce sens : votre épargne reste en Bretagne), peut restaurer la confiance. Car d’un autre côté, l’épargne grecque a fui les banques grecques (-20 %, dû aux retraits massifs, à la moindre capacité d’épargne). On verra ce que fera le nouveau patron de la BPCE. Quelles mesures seront prises par le Crédit Mutuel (lui aussi dégradé à A+ par Fitch). Car ce que pourraient précipiter les atermoiements des dirigeants européens, c’est une crise de confiance : de la gouvernance, mais aussi de la finance européenne.

Noyer n’a pas tout à fait tort, et Wolfgang Schaeuble, le ministre allemand des Finances, abonde dans son sens : peut-être convient-il de ne plus se focaliser sur les menaces des agences, admettre les dégradations, mais aussi prendre des mesures fermes, et rassurer sur le moyen-terme.

L’un des problèmes de l’État français, c’est qu’il reste « emberlificoté » avec les banques françaises, trop, estime Andrew Lilico, d’Europe Economics, contrairement au Royaume britannique… Pour Lilico, s’exprimant dans The Telegraph, la France n’est pas en meilleure posture que l’Italie. La dette privée française cumulée avec la dette souveraine, est supérieure à celle de l’Italie (de 30 % du PIB).

Fillon, qui, depuis Sao Paolo, peut bien conforter Noyer et indiquer que le Royaume-Uni est plus endetté que la France (avec un déficit budgétaire de 9,4 % contre 5,8 % du PIB pour la France), cela ne passe que pour un dérisoire plan de communication, pas vraiment crédible. Pour Richard Bradley, du Wall Street Journal, ce n’est qu’une « guerre des mots ». Le déficit public n’est pas la raison principale d’une prochaine dégradation de la France…

Maquiller sa paille ou la poutre du voisin pour les grossir ou les amincir n’avance à rien.

Pour restaurer la confiance, sur le plan intérieur déjà, l’annonce par Merkozy que la finance ne sera pas mise à contribution pour dégonfler les dettes souveraines était sans doute contre-indiquée. Elle était destinée à rassurer les marchés, qui ne l’ont pas vraiment été. Cela exonérait la finance de ses responsabilités antérieures, voire futures.

Les Britanniques préparent leurs financiers à envisager un effondrement de l’euro. Que font les dirigeants de l’Eurozone pour que les leurs retrouvent une crédibilité dans la défense de l’euro ? Quel type d’austérité consentent-ils à s’imposer ? Car quand on voit la BCE refuser de prêter à des dirigeants irresponsables pour soutenir des financiers tout aussi irresponsables, la confiance s’effrite de plus en plus… Ce qui pose problème en Europe, c’est le partage de l’austérité. Entre les pays de la zone Euro et les autres de l’Union européenne, et à l’intérieur de chaque pays.