Eurozone : lires, drachmes, escudos, pesetas de retour ?

Marine Le Pen doit être ravie. Tout est déjà prêt chez FXall, le « right partner » (du Front national aussi ?), spécialiste des opérations de change, pour que ses clients trouvent, le jour dit, à s’approvisionner en drachmes et autres monnaies européennes (s’ils ne les fuient pas). Mark Warms, de FXall, a tout prévu. ICAP et CLS Bank, rapporte The Wall Street Journal, ont aussi scénarisé l’abandon de l’euro, contraint et forcé, par divers pays. À tout « hasard » et en plein hazard (risque).

Si, en dépit de toutes les pressions exercées sur l’Allemagne, divers États de l’Union européenne étaient contraints de revenir à des monnaies nationales, tout est prêt (dans les logiciels des agents de change). Mais ce ne sera pas tout à fait « business as usual ».
Car un retour à certaines monnaies nationales, dont possiblement, après la drachme, et d’autres, le franc, risque de se faire dans un désordre indescriptible de dévaluations dites « compétitives », qui renchériront les importations sans forcément relancer la croissance par une remontée durable des exportations.

Même si l’Allemagne cédait, et laissait la Banque centrale européenne intervenir pour tenter de garantir les dettes des pays européens de l’Eurozone les plus fragiles, il n’est pas sûr du tout que cela suffise, à moyen terme (deux-trois ans), ni même à court terme.
Ni même à très court terme…

Le scénario obligeant à faire « la part du feu », soit à délester la zone euro des pays les plus fragiles, reste étudié, non seulement par diverses institutions financières privées, mais aussi par les États considérés encore « solvables » (à dix ans).

Le retour de la drachme, les plus riches Grecs, mais aussi les moins démunis d’entre les Grecs peinant à joindre les deux bouts aujourd’hui, le devront à eux-mêmes. Tandis que les Français le devront d’abord à leurs banquiers, champions européens des opérations hasardeuses avec un taux d’endettement faramineux.

Voici peu, Atlantico publiait une enquête prémonitoire : « Mais où les riches Grecs cachent-ils leur argent ? ». Réponse, dans l’immobilier et des banques à l’étranger, notamment. Mais aussi dans des coffres forts à domicile pour ceux qui n’ont pas déjà fui.
L’ennui, c’est que ceux qui n’ont pas vraiment de quoi s’acheter un coffre ont recours au matelas, à la chasse d’eau, à n’importe quoi…
Résultat, les banques grecques s’assèchent encore plus vite que l’ex-mer d’Aral devenue le lac d’Aral, qui a déjà rétréci de plus de la moitié de sa superficie. Il ne s’agit plus seulement de dissimuler le montant de son compte bancaire au fisc, mais aussi d’avoir de quoi graisser la patte du voisin, du médecin, et de pratiquement tous les prestataires de services qui minorent la facture mais exigent « un supplément en liquide ».

The Financial Times à répercuté hier l’alerte : George Provopoulos, qui préside la Banque nationale grecque, a constaté que les retraits, déjà au niveau de 5,5 milliards d’euros en septembre, avaient progressé encore d’un autre milliard en octobre. Nous sommes tout début décembre, et à ce rythme, ce ne sont plus 7 % des dépôts qui s’évaporent, mais bientôt au-delà de 10 %. « Dans les dix premiers jours de novembre, les mouvements se sont poursuivis, » a-t-il ajouté.

« En face », soit au FMI (qui soutient déjà la Grèce, le Portugal et un peu l’Irlande) ou à la BCE, il n’y a déjà plus de quoi combler totalement les dettes de l’Eurozone même si, heureusement, les Italiens se sont mis à racheter de la dette italienne, puisant dans le bas de laine.

Trop tard ?

Intervenir trop peu, et trop lentement, a certainement déjà coûté à l’Allemagne bien davantage que si elle avait agi promptement et plus massivement. Le « crédit » que les marchés lui accordent s’est effrité, la confiance n’est plus là.

Du coup, ce 30 novembre, The Financial Times rapporte que les multinationales, mais aussi les grosses PME, y compris au Royaume-Uni, où la livre n’est plus considérée telle une digue, envisagent le pire. Tui, le voyagiste allemand, a déjà signalé aux hôteliers grecs qu’ils pourraient être réglés en « nouvelles drachmes ».

La banque japonaise Nomura (l’économie japonaise souffre déjà des répercussions de la crise dans la zone euro) a diffusé à ses clients une note d’information sur les risques légaux qu’entrainerait pour leurs contrats un éclatement de l’euro.

Wolkswagen Autoeuropa (filiale portugaise) envisage déjà un retrait du Portugal : si l’escudo revient, dévalué, les voitures allemandes seront trop chères pour le marché intérieur portugais.

« Le coût pour toute l’Europe serait incroyable, » considère Baldomero Falcones (FFC, Formento de construcciones y contratas, partenaire de Citroën Espagne), et d’autres industriels européens, n’étudient pas, de ce fait, de « Plan B » (chute ou démantèlement de l’euro).

Mais dans le même temps, tout le monde y pense et Tony Barber, du FT, fait état d’une étude d’IT2 Treasury Solutions qui a interrogé 75 contrôleurs de gestion ou directeurs financiers internationaux. L’échantillon est faible, mais 53 % des interrogés s’attendent au fractionnement de l’Eurozone avant la fin 2012. La plupart s’avouent désemparés quant à la manière de réagir rapidement et efficacement.

Tony Barber a donc lui aussi interpellé divers dirigeants, dont un cadre supérieur français du secteur industriel qui se cache les yeux : ce scénario lui paraît aussi improbable que la chute de la monarchie anglaise dans les mois qui viennent.

En fait, en soi, une dévaluation concertée pourrait, théoriquement, fonctionner. Mais allez demander aux industriels français de « casser » leurs exportations en maintenant un franc fort, pour ne pas trop alourdir la facture en yuans, yens et dollars, sans pouvoir importer à moindre frais des produits européens avant longtemps ? Car les pays qui dévalueront, qui quitteront l’euro, ne vont pas produire très rapidement à moindre coût : leur tissu industriel peut s’effondrer.

Après avoir balancé qu’il lui suffirait de claquer des doigts pour revenir au franc, Marine Le Pen a déclaré dimanche dernier : « nous envisageons de conserver l’euro monnaie commune » en sus du franc. L’écu (l’ancienne European currency unit), resterait utilisé en parallèle au franc. C’est déjà moins hasardeux, mais l’obtenir serait une autre paire de manches.

En revanche, Marine Le Pen est parfaitement fondée à penser, comme Attali, bien d’autres, que l’euro actuel « pourrait ne pas passer l’hiver ».

Catastrophe annoncée

Deux titres récents du Telegraph : « Si le Foreign Office se prépare à un crash de l’Eurozone, pourquoi n’en prévient-il donc pas les Britanniques qui voyagent à l’étranger ? »
(Charles Crawford, ancien ambassadeur au Kosovo),
et « Préparez-vous à des émeutes si l’euro s’effondre »
(James Kirkup, redchef-adjoint, service politique).

L’ancien ambassadeur met en doute la véracité et surtout la crédibilité de faire quoi que ce soit : sans ferries, sans avions, sans essence dans les stations services, comment rapatrier dans le bastion Albion tant de Britanniques ? En fait, ce que craint le Foreing Office, dans un premier temps, c’est l’impossibilité pour ses ressortissants de retirer de l’argent dans les banques ou les distributeurs de billets. Mais aussi, dans un second, des émeutes, une hausse de la criminalité liée au chômage dont les étrangers de passage seraient les premières cibles, &c.

De fait, beaucoup d’expats britanniques en Grèce se sentent sur le départ ou malheureusement « coincés », faute de perspective de retrouver du travail ailleurs. Pour les retraités, le retour au Royaume-Uni, déjà amorcé en raison de la chute du montant de leurs pensions, serait difficile : se reloger au pays est une gageure. Mais certains s’y verront contraints : le système hospitalier britannique accumule de multiples défauts (merci Madame Thatcher et successeurs), mais déjà, en Grèce, les hôpitaux sont en faillite, les médecins fuient ou réclament des honoraires supplémentaires.

Mais ce que révèle surtout l’article de Kirkup, c’est que le Parti populaire espagnol, désormais au pouvoir, envisage d’avoir recours à la BCE ou au FMI, ce qui n’était pas prévu si tôt. Nicolas Sarkozy a estimé que la faillite de l’Italie « marquerait la fin de l’euro ». Ce que, aussi, les analystes des grandes banques prévoient, dans ce cas, c’est un chômage vraiment massif, une chute du PIB de certains pays de moitié, avec pour conséquences criminalité et mouvements sociaux violents.

Pour le Washington Post de ce jour, ce n’est pas déjà « plié », mais les dirigeants européens ne savent plus vraiment vers quelle(s) solution(s) se tourner.

Les conséquences de la crise sont déjà mondiales, pour des économies hors Europe, pour des monnaies comme le dollar néo-zélandais. Le Nigeria, État pétrolier, s’alarme : « notre économie est dépendante de celles des pays en crise. ». Ce n’est pas plus rose en Asie.

Sole 24 Ore (Rome, titre économique) rapporte que l’Italie a engagé de nouvelles discussions avec le FMI, mais que le FMI a démenti. Il Tempo indique que l’absentéisme dans le secteur public, qui contribue à « l’économie grise », était déjà vigoureusement combattu par le nouveau gouvernement.

En fait, c’est toute l’Europe qui se tourne vers le FMI, et dans toute l’Europe, la rigueur se renforce, pas que pour les fonctionnaires trop souvent absents.

Der Spiegel alerte sur « Le très fort coût d’abandonner l’euro » et titre « Un continent face à l’abîme ».

Quant au gouvernement allemand, il rappelle : « nous avons, nous aussi, nos propres dettes à éponger. ».
La zone euro cumulera 794 milliards de dettes en 2012 (estimation basse), voire 821 milliards.
L’Allemagne et les pays « crédibles », ce qui n’est pas le cas de la France, ne peuvent seuls éponger. D’où l’appel au Fonds monétaire international…

Et il se trouve que c’est la France qui, en 2012, aura le plus besoin d’en appeler aux marchés.

Dire qu’il suffira de changer les traités, ou de passer des accords gouvernementaux à 17 (les pays de la zone euro), ne change rien à la réalité. La note d’UBS (Suisse), et de Rabobank (Pays-Bas), vient d’être baissée par Standard & Poor’s sans attendre les discours des dirigeants européens ou de savoir ce qu’ils envisagent au juste, au vrai. Et d’ailleurs, qu’envisagent-ils vraiment de concret et d’immédiat autre que des conférences de presse ? Il n’est pas du tout sûr qu’ils le sachent eux-mêmes unanimement, voire séparément…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Eurozone : lires, drachmes, escudos, pesetas de retour ? »

  1. Alors que, ces jours derniers, la presse généraliste française était généralement à la traîne des presses étrangères (ne reprenant que plus tard dans la journée, voire le lendemain) sur la crise de l’Eurozone, net changement aujourd’hui.
    [i]Libération[/i] (tête de page d’accueil) :
    « Le Fonds de stabilité européen ne sera pas au niveau ».
    [i]Le Figaro[/i] (en cinquième position) :
    « Le FESF sera renforcé, mais à moins de 1 000 milliards ».
    [i]Le Monde[/i] (juste un petit titre d’accroche, pas de photo) :
    « Pour renforcer le FESF, la zone euro veut faire appel au FMI ».
    [i]La Tribune[/i] (simple accroche) :
    « Bienvenue dans ces laboratoires qui testent la désintégration de l’euro ».
    [i]Les Échos[/i] (tête de page d’accueil, graphique) :
    « Zone euro : 800 milliards de dettes en 2012 ».
    Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que le Fonds européen, ce n’est pas tout à fait la Banque centrale européenne qui, elle, peine à présent à intervenir au jour le jour.
    Malte, Chypre, la Hongrie, la Pologne, mais aussi la Belgique, reçoivent de sévères avertissements de Bruxelles. Pour la France, c’était déjà fait…
    Quant au forint (Hongrie), ce n’est pas vraiment la panacée… Alors le retour au franc, allez savoir ?

  2. Imaginons des Etats qui ne peuvent plus rembourser leurs dettes! Non pas en se déclarant en faillite mais en faisant comme les entreprises ne pouvant pas rembourser leurs dette s: c’est-à-dire se déclarer en « cessation de paiement ». Il s’agirait en fait d’une négociation cachée d’effacement d’une dette négociée. Certes là les Etats décident de ne plus rembourser leur dette, mais se sont –ils demandés auparavant s’il le pouvait ! ».

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