Ceux qui me connaissent, savent que je suis un scientifique de formation et que les sujets que je traite habituellement, se cantonnent généralement à cette discipline.

Si je viens aujourd’hui parler d’un fait historique qui me tient à cœur, certains de mes futurs lecteurs vont me demander de quoi je me mêle et de quel droit je visse en ce jour sur ma tête une prétentieuse casquette d’historien…

Je n’en ai nullement l’intention, je viens simplement rétablir une vérité, qui touche certains membres de ma famille.

 

J’attendais bien plus, de la visite conjointe du Président allemand Joachim Gauck aux côtés de son homologue français François Hollande, dans le village martyr d’Oradour-sur-Glane. Ce petit village laissé volontairement en ruine de la Haute-Vienne, où furent brûlés vifs 642 de ses habitants en Juin 1944, par la division de l’armée allemande "Das Reich".

J’ai dans ma famille de nombreux alsaciens, dont la plupart sont à présent décédés. J’imaginais ces jours-ci leurs enfants, mes cousins donc, devant leur petit écran, caressant l’espoir d’entendre le président allemand, ou à défaut le français, innocenter en quelque sorte une certaine catégorie de ces soldats alsaciens, enrôlés de force dans les rangs de l’armée allemande… Je veux parler des "malgré-nous"…

 

Immense déception, il n’en fut rien.

 

Pourtant en 1942, 130.000 jeunes alsaciens et lorrains furent enrôlés de force et une petite dizaine d’entre eux faisaient partie de la sinistre division "Das Reich".

Je peux vous assurer à titre personnel qu’un de mes oncles, faisaient partie de ces enrôlés de force, de ces "malgré-nous" (pas dans la division Das Reich mais il aurait pu) et qu’au moment où il s’est insurgé du haut de ses 17 ans, quelques officiers nazis ont fait irruption chez lui, le menaçant de mort comme opposant au régime et pour s’assurer de ses bons et loyaux services, ont enlevé sa sœur sous les yeux terrifiés de ses parents, pour la conduire soi-disant dans une Kommandantur, afin qu’elle y soit employée jusqu’à la fin de la guerre et qu’on la reconduirait à son domicile, avec un petit pécule, après le conflit…

Non seulement elle ne revint jamais, mais 20 plus tard mon oncle apprenait qu’elle avait "servi" dans un "bordel à soldats" sur le front russe et qu’elle s’était suicidée.

Anecdote sympathique, les officiers avant de quitter la ferme avaient incendié la grange contenant les récoltes, pour punir ces effrontés qui avaient osé critiquer les idées du régime hitlérien.

Je me souviens aussi de ces années où enfant, je questionnais innocemment mon oncle Fritz sur son passé militaire et que ses propos, mourraient dans sa gorge nouée et ses yeux s’emplissaient de larmes…

 

La dizaine de ces "malgré-nous" qui avaient été sévèrement condamnés, après un procès retentissant,  furent toutefois amnistiés en 1953. Cela bien entendu n’enleva rien à l’horreur du massacre d’Oradour-sur-Glane, mais ce jour là, je fus heureux de voir un sourire timide s’esquisser, au coin des lèvres de l’oncle Fritz.

Je pense qu’il aurait été de bon ton que les deux Présidents réhabilitent quelque peu la mémoire de ces enrôlés de force, victimes eux-aussi de la monstruosité nazie, obligés souvent malgré eux à commettre des crimes que la morale, à juste titre, réprouve.

 

Sachez que 40.000 de ces "malgré-nous" ont été considérés comme portés disparus, sans que les familles sachent où et si ils avaient été enterrés et que pour 10.000 autres on n’a jamais eu de nouvelles.

 

A noter que le prédécesseur de François Hollande avait déclaré courageusement en 2010 : "les malgré-nous ne furent pas des traîtres mais, au contraire, les victimes d’un véritable crime de guerre" notre cher Président actuel, a préféré les ignorer avec dédain dans son discours et c’est là l’origine de mon pincement au cœur de ce jour.

 

Je comprends à présent, pourquoi mon oncle Fritz me répondait invariablement lorsque je lui demandais s’il était allemand ou français, "Je suis alsacien !"

Sans doute avait-il compris, qu’il finirait dans l’oubli et qu’il serait à jamais un mauvais français pour les uns et un sale boche pour les autres.