Dans un long texte intitulé « L’abîme ou le réveil », Edwy Plenel fait part de ses frustrations, éprouvées par une large part de l’électorat de François Hollande, et de son espoir de voir l’individuel et le collectif apoliticiens provoquer le sursaut. « Ni dieu, ni césar, ni tribun… », cite-t-il. Ce véritable appel n’étant pas en accès libre sur Mediapart, souffrez de ne trouver ci-dessous qu’une évocation caricaturale assumée.
Quelques mots tout d’abord sur Edwy Plenel. Une cure d’opposition véritable, hors du grégarisme d’une corporation incitant au compromis permanent, lui aura sans doute été fort salutaire.
Ce qu’il reproche à la caste politique en général, à la socialiste en particulier, peut, à divers degrés, lui être aussi, si ce n’est reproché, imputé. Non point qu’il se soit montré totalement paralysé, ou incapable « d’audaces individuelles » (à présent de relever un « défi collectif ») mais on relèvera que sa critique désormais annoncée radicale de la nébuleuse financière ne l’avait pas porté à soutenir très hardiment un Denis Robert, le franc-tireur de l’affaire Clearstream.
De même, nombre de commentatrices et dubitatifs ayant consulté son « L’abîme ou le réveil » remarquent que le collectif Mediapart, sous son impulsion, avait majoritairement – non unanimement – écarté l’hypothèse Front de gauche lors de la présidentielle.
Tentons de rester mesurés
Il ne s’agit pas de le reprocher à Plenel, quoique je puisse me le reprocher à moi-même. Je n’étais plus vraiment en mesure de soutenir activement Denis Robert à l’époque, mais aurais-je encore été incorporé dans le moule d’une rédaction de la PQR, avec ce que cela suppose de rapports avec l’univers de la finance, de l’industrie, de la politique politicienne, que je n’aurais guère pu faire preuve que d’une faible audace individuelle. De même, j’ai maintes fois attiré l’attention ici sur les faits, gestes et surtout dires de Jean-Luc Mélenchon, mais je n’étais pas trop fâché de voir la moitié de mes proches se porter directement sur François Hollande.
Lequel Mélenchon, évacué du texte de Plenel, tourne peut-être, comme l’estime un commentateur, au « bon produit d’appel pour la télé ». Il n’en reste pas moins le seul – actuel – susceptible de susciter chez celles et ceux considérant qu’une « marée citoyenne » de plus (ou de mieux, espérons-le) suffisamment d’ardeur pour ne pas se contenter de faire (un peu) bouger les lignes. S’il parvient à galvaniser au-delà de l’enceinte du tribunal d’Amiens où « les Conti » ont obtenu une victoire symbolique, tant mieux : excusons-le du « pneu », mais c’est ainsi qu’on met la gomme. Pour le moment, on n’a pas constaté que Marine Le Pen mobilise très fort lors des conflits industriels et autres (ou me tromperai-je ?).
Plenel souhaite l’accélérateur enfoncé autant. C’est à la fois ancien et récent de sa part. Tout comme Mélenchon redevenu « luxembourgiste » (mais aussi partisan des conseils ouvriers ?), Plenel plaide pour l’audace. « Osons, osons ! », tel était aussi le leitmotiv de la marionnette de Laurent Fabius aux Guignols de l’info. Les conditions sont peut-être propices : Fabius n’avait guère le dos au mur, Plenel (et surtout tant d’autres), s’en rapprochent sans doute ou s’y trouvent déjà.
Plenel dresse un constat des débuts du quinquennat qu’il résume ainsi : « urgences prises pour l’essentiel tandis que l’urgence ne va pas à l’essentiel ». C’est la résultante des travers de la caste politique que dénonça le François Mitterrand en cure d’opposition avant d’en jouer revenu au premier plan.
À la veille d’heures sombres ?
Qui pariait « sur la dynamique d’un vote dont les exigences ne seraient pas aussitôt remisées ou dévaluées », ce qui, hors mariage pour tous, semble s’être produit, est déçu (moi peu, qui espérait que le mariage soit remplacé par un contrat civil devant notaire ou officier ministériel). Globalement. Certes, on peut trouver de quoi se raccrocher aux branches, ou plutôt à quelques ramilles, quelques timides avancées (surtout sociétales), mais « l’avorton de réforme bancaire obtenu par les lobbys financiers » n’est guère compensé par la publication des filiales dans les paradis fiscaux qui n’engage à strictement rien. Hommes et femmes au pouvoir se sont coulés dans le creuset des pouvoirs.
Plenel pointe les timides exceptions Taubira, Peillon et Montebourg. Mais dont les écarts « ne marquent pas de différence évidente avec une politique de droite modérée et encore moins avec celle qu’aurait incarnée Dominique Strauss-Kahn ». Ce qui conforte le Front de gauche « dans sa contestation radicale ». Car, insensiblement, « par habitudes, conforts et pesanteurs, s’adaptant sans jamais rompre », plus que par appât du gain, ou des honneurs (qui valent souvent déshonneur), chacun se rapproche de « la conformité à sa nature foncière » du tandem Hollande-Ayrault.
En fait, je le vois par exemple à Belfort où deux tenants de la rupture d’avec « le vieux monde » ont vu la solidité de leurs convictions s’estomper au point de s’affronter pour rester ou devenir maire, et cumuler les fonctions, la « nature foncière », du fait aussi du fonctionnement des institutions autant que du relatif confort qu’apportent gains et honneurs, évolue, s’édulcore, jusqu’à se compromettre. Ils vont jusqu’à faire preuve de « la brutalité et virulence sarkozystes » que dénonce Plenel. Piqués au vif, ou voyant leurs intérêts fortement contrariés, je ne sais si François Hollande ou Jean-Marc Ayrault n’adopteraient pas les mêmes attitudes. Faux mous et faux consensuels finissent souvent, quand tourne le vent, en Edgar Faure encore, hélas, beaucoup moins inspirés.
Hier soir encore, au forum d’un zinc de quartier, au vu de la campagne électorale italienne, nous estimions que dans ce pays, tout en comme en France, la démocratie pourrait finir par accoucher d’un Hitler ou d’un Mussolini. Plenel n’est pas loin de le penser à la lumière de l’histoire du siècle dernier : « elle peut tourner en catastrophe par la faute d’une humanité imprévoyante ou inconsciente, aveuglée ou dépossédée », du fait « d’une addition de conformismes et de suivismes, de résignations et de soumissions ».
Les relais de l’oligarchie…
La même élite gestionnaire qui « impose ses vues hors de toute publicité et de tout contrôle », en symbiose avec « les cabinets ministériels et élyséen » exerce « une secrète main mise ». Ajoutons que la plupart des représentants du peuple (Assemblée) ou de la ruralité (Sénat), confortée par la presse (locale, nationale), s’en montre davantage le relai que l’aiguillon.
Plenel s’en prend aussi aux nominations aux fonctions lucratives et prestigieuses dans les instituts (Lang au Monde arabe) ou « machins » et établissements divers (Jacques Toubon), dont la BPI (S. Royal), et même au rôle auquel voudrait prétendre la « Première » concubine, et bien sûr – sans le nommer – à J. Cahuzac illustrant « une sorte d’asthénie morale liée à l’exercice du pouvoir ». Nous vivrions « un semblant de décadence typique d’un ancien régime épuisé ».
Je condense, donc dénature quelque peu, mais la teneur dominante est bien là, avec mention de la farce Tapie alors que « l’information ne cesse d’être malmenée par le divertissement, le rire ayant détrôné la conscience et le doute désabusé tenant lieu de conviction enracinée. ».
Après le constat, la proposition de trouver en nous-mêmes « cette radicalité pragmatique, réaliste et concrète, qui s’invente au plus près des expériences et des résistances, des luttes et des refus. ». Notons que la plupart du temps, cette radicalité, hors colloques ou tribunes de parti pris, répond le plus souvent à la logique des « urgences prises pour l’essentiel tandis que l’urgence ne va pas à l’essentiel ». Hors des collectifs d’approvisionnement (en produits bio, par ex.), des initiatives culturelles durables, et de quelques expériences, associatifs ou militants réagissent en fonction d’exemplarités (le plus souvent médiatisables).
Plenel et Mediapart, en sus de gérer et alimenter une édition quotidien, ce qui n’est pas rien, s’efforcent, en s’imposant des déplacements en région, ce qui n’est pas toujours gratifiant, ni si plaisant (qui a vécu de multiples voyages, périples, sait qu’ils ne sont pas toujours d’agrément), d’animer des rencontres qui ne sont pas qu’autopromotionnelles.
Un peu comme Politis (et ses prédécesseurs, mensuels ou hebdomadaires) ou Le Monde diplomatique qui, faute de moyens ou trop marqués pour fédérer large, tentent de se mettre à l’écoute et au contact. C’est louable, cela n’a guère suffi. Je ne sais dans quelle mesure cela aurait pu contribuer à l’aggiornamento du Front national qui n’a que fort peu émané de sa base mais ce n’est pas totalement exclu. Peut-être même se trouvera-t-il un sympathisant du FN au débat de Politis sur la Palestine (1er mars, Paris, Maison des métallos).
Gens de La Fontaine
Denis Sieffert, dans Politis, considère que, par les temps qui courent, faire de la morale « n’est pas ce qu’il y a de plus répréhensible ».
Plenel n’est pas le seul journaliste enclin à vouloir, selon les termes de Vincent Peillon, ébranler le monde « beaucoup plus que ne le feront jamais les politiciens » (Éloge du politique, Seuil).
Conclusion valable pour toutes et tous, dans les médias ou hors d’eux, « nous voici donc requis, sommés d’agir et de découvrir. De ne plus seulement commenter ou contempler, en spectateurs passifs, mais de chercher à tâtons, là où nous sommes, où nous vivons et travaillons, les lueurs qui perceront le brouillard où l’on nous égare. ».
Le hic, le hiatus, c’est que Plenel, lyrique, moraliste (et pourquoi pas), n’offre guère d’autre perspective que celle que soulève un commentateur et que je résume ainsi : le citoyennisme de Plenel semble revendiquer une société de libre-échange utopique « voulant faire accroire que le spectateur est un citoyen ou pourrait le devenir dans les bras d’un État bienveillant » qui ne fait que conforter « la liberté dictatoriale du marché » qui ne se « moralisera » que le temps d’un repli tactique. Le citoyen « consommateur de la marchandise démocratie représentative » restera un éternel insatisfait. Jacques Bolo estime que le texte de Plenel « fait un peu attente de l’homme providentiel tout en disant le contraire ». Plutôt « des hommes providentiels », et la nuance n’est pas anodine.
Cela étant, la critique est faible dans la mesure où Mediapart donne une tribune aux critiques du marché et non pas qu’à celles de la finance. Encore un effort, Plenel ?
Dupés ou borgnes ?
En fait, les déçus de François Hollande sont sans doute des dupés, comme l’exprime un commentateur : « Je ne fais pas partie des déçus de M. Hollande car je n’attendais qu’une seule chose de sa part: qu’il cesse d’insulter la langue française comme son prédécesseur. ». De ce point de vue, c’est vrai, on aurait pu préférer Mélenchon (quand il n’est pas surmené et se relit).
Le « Parti pris » de Plenel est plutôt majoritairement bien reçu, y compris par Philippe Corcuff qui avait tant fait parler de lui en décrivant son parcours l’amenant à la Fédération anarchiste.
J’attendrai à présent, dans environ une année, le prochain édito de Plenel s’inspirant de ses observations de ce que pourra obtenir l’hétéroclite rassemblement citoyen des partisans de Beppe Grillo en Italie : n’est-ce point un rassemblement citoyen (avec des composantes aux conceptions parfois opposées) ?
J’attends aussi de voir comment Mediapart évoluera en fonction de l’impulsion donnée par son fondateur. De quoi en faire, tel le Victor Hugo qu’il cite (ce que relève un commentateur), un sénateur après avoir vitupéré contre la création du Sénat ? La question n’est pas insidieuse : tout juste ironique, mais si ce n’est sa personne même, Mediapart va-t-il promouvoir des personnages politiques plus vertueux que d’autres (comme il le fait avec René Dosière) et s’en contenter, sans relever leurs contradictions ? Ou prendre davantage le taureau par les cornes ?
Quelle presse « engagée » en journalisme ?
Guy Letellier m’interpelle autant qu’il aiguillonne Plenel et Mediapart : « le vrai journalisme ne doit pas se contenter d’être un “marchand d’impatience” ». Ce qui est déjà quelque chose : voir la majorité de la presse dite d’information, plus vendeuse d’impatience de consommer ou paraître que d’autre chose. Le même Guy Letellier s’inquiète que le journalisme volontariste devienne aventuriste : « qu’adviendrait-il (…) en cas de dissolution de l’Assemblée nationale aujourd’hui ? ». Plenel pose en fait le dilemme du compromis et de la compromission avec l’existant. La ligne (c’est trop simpliste, plutôt la zone) passe en chacun de nous… selon des convictions fluctuantes et des accommodements, tout comme ce que Plenel dénonce chez d’autres.
Quelques commentateurs ont aussi soulevé la question des corporatismes.
Signalons que Plenel était grassement rétribué au Monde qu’il n’a pu transformer en coopérative ouvrière… Moi non plus, sauf à mes tout débuts… ailleurs, où c’était tellement plus facile.
Pöur prolonger, faute d’accéder à la tribune d’Edwy Plenel, voyez donc, avec un moteur de recherche, les réactions des blogueuses et blogueurs de Mediapart (en accès libre). Comme celle de Becquet53. L’adresse http://blogs.mediapart.fr/ est aussi en accès libre. Des membres de la rédaction s’y expriment aussi, pour pas un rond. C’est forcément inégal et parfois aussi verbeux que je peux l’être. Plenel et Mediapart ont le grand mérite de savoir susciter des débats, dont celui portant sur le devenir d’une presse en pleine mutation. Voyez, à ce sujet, la tribune de Jean Kéhayan, Christian Poitevin, Harald Sylvander, dont le propos dépasse de fort loin le cas de la presse marseillaise. C’est intitulé « L’appel du figuier à palabres ». Le verbe précède parfois l’action, en tout cas celle qui n’est pas qu’impulsion.
Posez-vous aussi cette simple question : sans Mediapart, sans les localiers de la PQR, les journalistes et pigistes soutiers de la presse nationale et internationale, sans la presse en ligne, que serait Come4News ? Le reflet de ce qui se dit ou se voit gratuitement « dans » les postes ou les étranges lucarnes ?
Mais qu’il est pénible ce Edwy Plenel avec son sourire ironique toujours pendu aux coins de sa moustache ! Oui, mais, heureusement qu’il est là