Selon un sondage CSA-Le Parisien-Aujourd’hui en France, 54 % « des Français » (sous-entendu : des  quelques 900 sondé·e·s par téléphone) jugeraient « la pratique de la religion musulmane compatible avec la vie en société en France… ». Faute de définir ce qu’est « la vie en société » et ce que peut-être « l’islam », on se gardera d’en tirer des conclusions hâtives.


Selon un sondage CSA-SDVP (Groupe Amaury) pour les titres Le Parisien et Aujourd’hui en France (éditions datées jeudi 10 décembre 2009), 1 001 personnes majeures vivant en France auraient, les 2 et 3 décembre derniers, considéré, à 54 %, que « la pratique de la religion musulmane » est compatible avec « la vie en société en France ».  Ouf, il s’est trouvé 6 % des personnes interrogées pour ne pas se prononcer du tout. Dans une moindre mesure, on peut trouver rassurant que 18 % des personnes ayant répondu ont pu estimer que la pratique de la « religion catholique » n’est pas vraiment compatible avec « la vie en société en France » (et 28 % ont considéré que « la religion juive » ne l’était guère davantage). En tout cas, est-il bien sûr que 46 % des « Français » considéreraient que des pratiques culturelles plus ou moins liée à des rituels mahométans ne seraient plutôt pas ou pas du tout compatibles à la vie sociale telle qu’elle est majoritairement vécue ou représentée en France ? Difficile, voire impossible, de se prononcer. Depuis que des merguez garnissent des galettes de blé noir, il convient de rester très circonspect sur ce que les Françaises et Français jugent ou non ingérables… par voie buccale en tout cas.

 

Je ne sais pas si la vie en société en France consiste ou non à avorter lorsqu’on est préadolescente et violée mais pubère. Je ne sais pas si la vie en société en France consiste à pouvoir vivre une sexualité épanouie dès son adolescence. Je ne sais pas si la vie en société en France est liée à la consommation modérée – forcément modérée – de boissons alcoolisées. Je ne sais pas… La liste pourrait être longue.

 

Ce que je sais, c’est que la communauté espagnole du Valenciano a recensé récemment 400 nouvelles communautés religieuses (pas au sens de congrégation) ou du moins cultuelles diverses. Dont des mahométanes, des chrétiennes, des catholiques, des israélites, des bouddhistes, des baha’is, &c. Cela, sans parler des diverses communautés spirituelles ou autres du type de celles prônant la pratique de la méditation, de la contemplation du nombril, et j’en passe.

 

Ce que je sais, c’est que l’église anglicane se définit telle une église catholique parmi tant d’autres qui ne sont pas forcément apostoliques ou romaine (il y a bien une demi-douzaine d’églises catholiques relativement importantes de par le monde en sus de la catholique apostolique et romaine dont le siège est au Vatican). De même, l’islam comporte de multiples « églises », toutes plus mahométanes les unes que les autres. Quant au judaïsme, je me garderai de faire le décompte en Israël même, mais le film des Monty Python, La Vie de Brian, et les divers évangiles (dont le copte), donnaient déjà une idée de la diversité des pratiques religieuses et cultuelles dans le monde israélite.

 

Autant dire que ce sondage repose sur l’imposture de religions supposées unifiées, ou du moins dont les pratiques ou les orientations seraient fort similaires, alors qu’il n’en est strictement rien. C’est donc avec un scepticisme prudent, voire très précautionneux, qu’il convient d’aborder les résultats de ce sondage destiné à gonfler des ventes en agitant des notions plus que confuses.

 

Les personnes interrogées s’étant prononcé (un peu plus de 900, donc), seraient, selon le CSA, 14 % à considérer la pratique « de l’islam » (sic, lequel ?) « tout à fait compatible », 40 % « plutôt », tandis que 19 % répondent « plutôt pas » et 21 % « pas du tout compatible ».  L’article ne dit pas si ces personnes ont ou non elles-mêmes pratiqué des cultes mahométans ou non, savent à peu près ce que cela implique vraiment selon les « obédiences » diverses, &c. Ne préjugeons pas du fait que les mieux averties d’entre ces personnes sont peut-être les plus nombreuses à se prononcer pour ou contre cette compatibilité. Ce que je peux affirmer, c’est qu’une partie des sondées sachant vraiment ce que la pratique de tel ou tel culte mahométan a ou peut impliquer pour elles-mêmes sont totalement persuadées de l’incompatibilité totale avec leurs aspirations de personnes voulant adopter ou suivre le mode de vie paraissant majoritaire en France, en tout cas, celui qu’elles considèrent dominant. Ce que je peux affirmer, c’est que des catholiques romains pratiquants peuvent tout à fait considérer que ce mode de vie dominant heurte fortement leurs convictions du fait de ses « dérives » laïques, athées et « pernicieuses », voire « diaboliques », tout comme des mahométans convaincus que la place qui est faite à leurs pratiques les incommode et les marginalise et que donc, ces pratiques sont très peu compatibles avec « la vie en société en France ». Qu’on se souvienne aussi du temps où le service militaire était obligatoire et que, parmi les objecteurs de conscience, on trouvait des chrétiens et des israélites prônant que la vie militaire était, en France, totalement incompatible avec leurs convictions religieuses et leurs pratiques rituelles.

 

C’est dire à quel point les diverses commentatrices et les habituels chroniqueurs qui vont se prononcer avec toute l’autorité de leurs prétendus savoirs ou fonctions, ou positions sociales, ou localisations sur l’échiquier politique, devront être écoutés ou lus avec circonspection. À bon chat, bon rat, mais à sondage douteux, analyses fantaisistes et commentaires farfelus… aurait pu ajouter Boris Vian, déserteur des débats oiseux.

 

Qu’on ne se méprenne pas. Je considère la prière musulmane aussi compatible avec la vie sociale en France que les multiples moments de recueillement quotidiens symbolisés par L’Angélus de Millet. Cela ménageait au moins des pauses aux ouvriers agricoles et d’un point de vue hygiéniste modéré (car je ne lie pas surdité ou crétinisme et masturbation), je suis plutôt enclin à trouver supérieure la prosternation mahométane. De même, le jeûne et la consommation de poisson frais le vendredi me semblent tout à fait recommandables. J’admets fort bien qu’un pasteur se prononce lors d’enterrements de proches et je ne quitte pas ostensiblement le crématorium (la crémation est tolérée par le Vatican depuis le siècle dernier, en 1963), ni même ne boude les funérailles religieuses. Je tolère très bien – actuellement – que les mahométans et la majorité des israélites refusent la crémation, en dépit des problèmes d’urbanisme, voire bientôt de salubrité publique, que cela suppose. Je préférerai voir la Suisse envahie par des minarets plutôt que de revenir aux pratiques calvinistes de la Genève « républicaine » et théocratique des années 1540. Tout comme Françoise de Panafieu, je préfère des mosquées dans Paris plutôt que de devoir éviter – par commodité – certaines rues lors des prières du vendredi. Je suis un « mauvais laïcard » de ce point de vue (entre autres). J’ai un peu honte de mon laxisme, mais bon, je me consens quelques accommodements, histoire de ne pas heurter de front des gens que j’estime par ailleurs. Aggravons mon cas : le voile des musulmanes indonésiennes ne manque pas de charme à mes yeux. Je ne suis pas le premier à jeter la pierre à Peppone pour ses coupables accommodements avec Don Camillo. De même, seul Breton parmi neuf Françaises ou Français encore quelque peu allophones ou personnes d’origines et nationalités étrangères lors d’une visite médicale dans un centre agréé par la Sécurité sociale,  je trouve qu’à travail ou chômage et devoirs égaux, droits égaux, et accès aux soins de même qualité.

 

De plus, vu les multiples apports ou « invasions » (guerrières ou autres, pacifiques et autres) que la Bretagne a subi ou dont elle a bénéficié, je me considère d’ascendances protéiformes, dont arabe, juive, africaine, asiatique, sans doute aussi amérindienne,  selon des proportions qui me sont inconnues. Aux dernières nouvelles, l’humanité se serait, à une certaine lointaine époque, réduite à quelques dizaines de milliers d’individus, nos communs aïeules et ancêtres.

 

En Espagne, vous trouvez des églises chrétiennes qui occupent le rez-de-chaussée d’immeubles d’habitation. Au fond du hall, c’est un lieu de culte, dans les étages, des logements. Pas de clocher, mais très souvent une croix en façade. Bah, c’est moins agressif que les fameux toros publicitaires des boissons de la maison Osborne (devenus monuments nationaux, on s’habitue à tout). Toujours en Espagne, le gouvernement (centre-droit mais se proclamant de centre-gauche, voire de gauche) rechigne à appliquer une directive européenne (observée en Italie) bannissant les crucifix dans les salles de classe et de cours des établissements d’enseignement laïcs d’État. La politique, c’est bien connu, est l’art du compromis. Parfois aussi, celui de la manipulation, du travestissement des faits (pourtant têtus, estimait Lénine). Ce sondage, assurément commercial, est-il aussi « politique » ?

 

Je ne sais pas si on va découvrir si ce sondage particulier a été commandé par l’UMP ou l’Élysée et offert au Groupe Amaury. Toujours est-il qu’il vient à point pour conforter le compromis de Nicolas Sarközy, qui veut ménager tant la Scientologie que « son » islam et « ses » autres groupes religieux de pression (si ce n’est d’oppression) et se poser, au moins sur diverses questions sociétales, en tant que « président de tous les Français ».

 

A-t-on les sondages qu’on mérite ? Sur celui-là en particulier, effectué par téléphone (ne touchant donc que les abonné·e·s disposant d’un poste fixe ?), il est difficile, voire impossible, de se prononcer.  Son commentaire en ligne (sur le site Parisien.fr) relève que les sympathisants du MoDem seraient mieux disposés envers l’islam (77 %) que ceux se déclarant de gauche (65 %, dont sans doute un bon nombre de laïcards) ou de droite (51 %). Comment corréler ces indications, et avec quoi ? Le Modem, c’est la (ou une) suite de l’UDF, de la démocratie-chrétienne incarnée un temps par le Centre des démocrates-sociaux, parti continuateur du MRP, mouvement fort proche du catholicisme dit « social ». Mais, bon, tout cela est inessentiel quand on se destine à la statistique, puisque c’est de l’histoire, discipline qu’il est question de bouter hors des classes terminales scientifiques. Le CSA a fourni des chiffres, pour l’interprétation, merci de vous en remettre à ceux qui sauront aussi oublier ce genre de détails « superflus ». Place à l’actualité, au débat identitaire, aux futures élections régionales…

 

Oui, finalement, on a les sondages qu’on mérite…

 

Post Scriptum…

Je me suis amusé, postérieurement à la publication de ce texte, à voir comment d’autres médias traitaient ce sujet.

Sur Le Post, un contributeur « invité », Jess, avait proposé, à 01:00 (heure de Paris), ce 10 décembre, le même sondage. Quelques heures plus tard, vers 04:00, près de730 personnes avaient vu sa page et son sondage, mais 156 seulement avaient trouvé utile de s’y attarder en votant à leur tour. Et le pourcentage des « Je crois que cela n’est pas du tout compatible… » atteignait… 91 %. Jess devait par ailleurs commenter plus tard que ce pourcentage avait progressé, cette fois sur 167 votes. « Flippant ! » s’exclamait-il.
On peut imaginer que des « posteurs » d’occasion ou réguliers se soient mobilisés pour arriver à ce résultat. Ce qui est sûr, c’est que la crédibilité du sondage CSA semble mieux assurée que celle du sondage – improvisé – du Post. Mais en sommes-nous si persuadés ?

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