Il est deux crémets d’Anjou, celui d’Angers, proche du crémet nantais, de moindre renom, et celui d’Anjou (en particulier de Saumur). Progressivement disparus des tables angevines, ceux d’Anjou sont désormais revenus à l’honneur grâce à des pâtissiers et des restaurateurs. À redécouvrir aussi ailleurs.
Curnonsky, qui tenait le lointain arbois pour le « prince des vins », n’avait aussi qu’éloges pour les bonnezeaux et savennières, issus de deux vignobles angevins réputés, et les gouleyants quarts-de-chaume. Mais on peut aussi déguster les crémets angevins avec un crémant de Saumur, élaboré selon la méthode champenoise, et rivalisant avec la crème des effervescent mondiaux. Parlant de crème, les crémets sont sans doute la crème de la crème des desserts lactés.
Le même Curnonsky qualifiait ceux d’Anjou de « régal des dieux » surpassant toute autre préparation laitière : « aucune crème chantilly n’égale ce petit mulon mousseux parfumé, onctueux et léger. ».
Léger, c’est selon. Particulièrement goûteux au palais, cela peut-être, selon le mode de préparation (en n’utilisant – ou presque – que le « top of the milk » à l’ancienne), consistant et roboratif.
Mais les diététiciens vous le diront, cela ne signifie pas que l’apport calorique soit faramineux, loin de là… Or donc, le crémet d’Anjou se rapproche de la faisselle en ce sens qu’il se présente, à l’ancienne, dans une gaze, ou étamine, lui ayant permis de s’égoutter.
C’est tout simplement de la crème fouettée, avec adjonction de blancs d’œufs battus en neige et d’un ou de plusieurs éléments sucrés (sucre, miel, coulis fruité), à sa façon. Chez soi, on déposait le petit paquet directement dans l’assiette, ouvrant l’étamine ensuite pour commencer à se régaler. Les restaurateurs servent plutôt en ramequins ou nu, agrémenté de caramel ou de coulis.
Le crémet d’Angers, lui, est préparé à base de fromage blanc fermier fouetté. Il se prête à une variante proche du bibeleskaes alsacien (ou bibbelskäse badois) – les fromages « de poussin » –, en lui ajoutant des fines herbes (mais point de munster ou autre fromage).
Dans la catégorie des desserts lactés, son seul rival en excellence, à mon avis, c’est la tarte au fromage onctueuse, tressaillante, à la façon ashkénaze des origines (mais, avouons, lescheese-cakes d’à présent, tout aussi denses mais plus secs, sont aussi un régal), et de très rares ricottas.
Patience et tour de main
Rien ne semble plus aisé que de préparer un crémet d’Anjou. C’est presque un mets à faire confectionner en classe maternelle…
Pour trois personnes, compter trois blancs d’œufs à battre en neige, environ 20 cl de crème liquide (ou plus consistante, idéalement du dessus d’un lait vraiment fermier, à rendre moins épaisse), un apport sucré (à doser à votre convenance, 40 g de sucre vanillé pouvant convenir), puis ce qui vous semblera attrayant (tout petits dés d’ananas, par ex.). Très peu de sel fin.
Soit vous disposez d’un moule égouttoir, soit pas. Vous enrobez le tout de l’étamine, laissez reposer ou suspendez pour toute une nuit (ou une huitaine d’heures), au frais (en cave troglodyte, par ex., mais un réfrigérateur conviendra).
Évidemment, vous pouvez confectionner un crémet d’Anjou plus angevin d’Angers ou un crémet d’Angers plus angevin des alentours, et inversement. Pas d’étamine ? La gaze pour pansements est parfaite. Voyez en ligne, tout un chacun semble avoir ses dosages et recettes, mais pour la méthode, consultez le site Du miel et du sel (.com), le mieux illustré.
Or donc, tout est question de goût pour obtenir la consistance voulue. C’est une recette simplissime quant à la réalisation, mais à ré-expérimenter sans cesse, tant elle se prête à des variantes.
D’aucuns vous proposent de mettre la crème préalablement au réfrigérateur. Eh, antan, les crémets se préparaient et dégustaient en toute saison, mais oncques n’ois-je, naguère, de crémets de frimas ou de canicule.
Pour le vin accompagnant le crémet (ou plutôt les, car vous serez vite tenté d’en servir des paires, par exemple, une mousseuse, l’autre moins) d’autres suggèrent le saumur-champigny rouge. Un fin rosé convient de même, quoique les blancs (voir supra) me semblent plus appropriés.
Histoire fantasmée ?
Mais c’est aussi très bien accompagné d’un digestif. Sans doute pas, à mon goût, un Cointreau, mais la maison angevine Giffard propose une gamme d’eaux-de-vie et liqueurs ou sirops assez étendue.
Tentez son fameux guignolet-kirsch (le guignolet étant une liqueur à la guigne locale, une cerise).
Mais en d’autres régions, une préparation assez voisine a recours au génépi.
Pour vos coulis, Giffard propose aussi toute une gamme de sirops, et de crèmes de fruits (16°).
De passage à Angers, visitez le musée Cointreau (Saint-Barthélémy d’Anjou), et la boutique Giffard (Avrillé, aussi tout proche), et demandez conseil pour vos crémets.
Sinon, avec un vin d’Anjou, utilisez le verre du terroir…
Selon Curnonsky, que je tiens pour aussi farceur que Rabelais (qui attribua le nom du village angevin de Bouzillé à l’intervention fécale de l’un de ses personnages s’y étant soulagé), le crémet serait né chez une future crémière, Marie Renéaume, épouse Girault, vers 1890. Allons donc…
Curnonsky (Maurice-Edmond Sailland), Angevin d’Angers, a peut-être donné un coup de pouce à sa meilleure fournisseuse. C’est en tout cas un beau « rimiau » (poème).
Car pour les quernons d’ardoise (de Trélazé), une confiserie, oui, c’est bien une création contemporaine (des années 1980, de mémoire), tout comme la soupe angevine (cocktail à base de Cointeau et de crémant), mais les crémets… immémoriaux !
Où les déguster ?
Évidemment, partout, partout, partout… même en camping. Mais, sur place, je ne saurais vous conseiller un restaurateur ou un traiteur plutôt qu’un autre. Un restaurateur, proche de la gare (Le Relais ? Oublié le nom), les propose en dégustation ou à emporter. Entre la gare et le château (rue Delaage), Le Crémet d’Anjou, de Jean-François Favreau, ne saurait décevoir – notez qu’il préserve au frais et sert de cinq à dix jours après élaboration. Le très urbain et gastronomique La Salamandre (proche de l’hôtel de ville) les a remis aussi à sa carte.
Évidemment, Les Douceurs angevines (à Saint-Lambert-du-Lattay, en coteaux du Layon), un gîte-restaurant-boutique, en proposent.
Mais ils sont servis aussi en tables d’hôtes (au Rideau Miné, à Thorigny d’Anjou, et vous pourrez peut-être participer à la préparation). Le domaine viticole du Manoir de la Tête rouge du Puy-Notre-Dame (M&L), sous la houlette du chef de L’Alchimiste (Saumur), dispense des cours de cuisine… avec les crémets au cursus.
Mais vos en trouverez aussi dans le voisinage, à Laval, par exemple (Le Mermoz, proche de l’aéroport, sur la route d’Angers) et désormais dans la plupart des restaurants mettant en valeur la cuisine angevine (brochet au beurre blanc, rillaux d’Anjou…).
À Paris, Le Bistrot Chantefable, proche de la station Gambetta, propose une version savoureuse, mais point trop mousseuse, ce qui peut s’apprécier diversement (en tout cas, c’est toujours bon).
Les crémets vivent une véritable renaissance. Ils ont pâtis du fait que l’industrie agro-alimentaire a dédaigné des leur adjoindre des conservateurs et de les rendre stockables et transportables. De pâles et vagues imitations n’ont jamais osé revendiquer l’appellation « crémet », fort heureusement.
Restons simples
Certains mets sont inimitables et résistent à l’industrie. Ainsi des fameux « véritables yaourts du Liban » de l’épicerie-crèmerie Trias-Bauzas (une famille espagnole) de la rue Saint-Aubin d’Angers. Ils étaient vendus en rebondis petits de grès consignés, et fermés par une étiquette transparente fixée par un élastique. Incomparables ! Ils ont disparu avec l’enseigne, remplacée par une boutique de fringues franchisée.
Faire des crémets angevins et les servir, c’est un peu un acte de résistance. Idéologiquement fort. J’exagère ? En sus, calculez le coût de revient… Pour des communs, avec des ingrédients du commerce, c’est donné… ou presque.
Pour des exceptionnels, c’est simple, tentez de trouver de la vraie crème fermière en supermarché… soit fabriquée à partir de lait de vaches broutant du trèfle (ce que les Britanniques redécouvrent, en utilisant des trayeuses mobiles en plein pâturage).
J’espère vivement que les crémets retrouveront le chemin des cartes et menus les plus humbles mais aussi les plus honnêtes. Ils se déclinent tant que la tendance aux versions chichiteuses les guette…
Tenez, sur le site de Marie-Prout-Ma-Chère-Claire, le degré de difficulté est qualifié de « délicat ». Insane, comme ne l’auraient pas dit les rois d’Anjou et d’Angleterre, les Plantagênets (voir ce mot sur Come4News), qui parlaient davantage les patois angevins que l’anglais. Une seule crainte à nourrir, qu’ils soient trop vite victimes de leur nouveau succès !
P.-S. – pour en savoir plus, consultez, en PDF, le numéro spécial du collège Félix Landreau intitulé « Sur la route du crémet d’Anjou » auquel je pompe une illustration…
Bonjour,
je suis ravie de constater que nous sommes plusieurs à nous régaler encore des crêmets d’Anjou® ! je vous remercie de m’avoir citée dans votre article.
Je vous fais juste ce petit mot pour vous signaler que je relance la production des moules à crêmets d’Anjou® selon le modèle original que je tiens de Bonne Maman Reynouard qui était angevine d’Angers… Karin Chopin-Lolliérou, potière à Doué la Fontaine, « la Rose Bleue », s’est lancée dans la fabrication artisanale et nous commencerons les ventes lors du marché gourmand du Puy Notre Dame le dimanche 7 octobre 2012, date à laquelle je servirai également les crêmets lors du déjeuner (sur réservation).
Voila, j’espère que ce délicieux dessert va donc renaître de ses cendres et profiter de toutes les déclinaisons possibles aussi bien sucrées que salées.
encore bravo pour votre article et au plaisir de vous rencontrer… autour d’un crêmet peut-être…
cordialement,
Sophie REYNOUARD
manoir de la Tête Rouge