« Il advient donc aujourd’hui exactement ce qui est prévisible. ». Telle est la chute du papier de Laurent Mauduit, de Mediapart, intitulé sobrement « Lagarde convoquée par la Cour de justice de la République ». Viendra, viendra pas ? Dans tous les cas, estime Laurent Mauduit, à la fin mai, Christine Lagarde se retrouve mise en examen, in absentio ou non, pour son arbitrage en faveur de Bernard Tapie. Le contribuable aurait pu verser à Bernard Tapie moins de 145 millions d’euros. Cédant aux injonctions de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, via la ministre, il s’est défaussé de 403 millions, soit une fort « légère » différence de 253 millions, puisée dans ses poches.
Scénario « rigolo ». Christine Lagarde ne se présente pas devant la Cour de justice de la République, est mise en examen (soit inculpée) in absentio, puis se retrouve condamnée par contumace. La suite ? Comme Didier Schuller, munie ou non d’un vrai-faux passeport, elle va couler des jours heureux dans une île antillaise ou, comme Assange, trouve une ambassade complaisante pour s’y réfugier.
Hier, sur Come4News, nous évoquions le livre 92 Connection, d’un ancien commandant de la PJ et d’un enquêteur retraité du fisc.
Ils estimaient que la corruption dans les Hauts-de-Seine (fief de Pasqua, Sarkozy, Ceccaldi et Balkany, Schuller et consorts) renchérissait généralement la note pour les contribuables d’un tiers. Avec Christine Lagarde, calculez le pourcentage : 253 millions par rapport à, mettons, 144, c’est du combien ? Largement plus que 33 %, n’est-il point ?
Ce qu’il y a de bien à présent avec Mediapart, c’est que sa crédibilité est devenue telle après l’affaire Cahuzac (nonobstant quelques détails de dates rectifiés par la suite) qu’il n’est plus besoin de détailler ses arguments… Mediapart dit que Christine Lagarde sera mise en examen (et annonce implicitement une condamnation), donc elle sera condamnée, ce qu’il n’est même plus besoin de démontrer. Enfin, s’il n’en était pas ainsi, Jean-Luc Mélenchon peut organiser début juin une seconde marche, cette fois vers l’Élysée et le Palais Bourbon, et nos braves CRS ou gardes mobiles, tels de braves pioupious du 17e, lèvent leurs crosses en l’air.
Mais il faut cependant résumer brièvement. Quand l’affaire Tapie retombe sur le tapis de Bercy, le ministre est Thierry Breton. Pour se tirer du mauvais pas et ne pas capituler, lui et les contribuables, devant Sarkozy et Guéant, il trouve une fine astuce : s’en remettre à l’avis de trois personnalités irréprochables. Elles le seront.
Bernard Cieutat, Jean-Marie Coulon, Philippe Rouvillois estiment que porter l’affaire en cassation est envisageable mais comporte des aléas. Ils admettent qu’une transaction soit imaginable, à condition que son montant soit conforme à un jugement en appel. Bernard Tapie empocherait alors (un peu) moins de 145 millions…
De même qu’on se demande toujours si Bernard Kouchner n’avait pas été nommé ministre rien que pour faciliter le tour de passe-passe (via le Luxembourg) du siège parisien de l’Imprimerie nationale, privatisée par Sarkozy, retapé par le Carlyle Group qui saura remercier le demi-frère de Sarkozy après avoir réalisé une fantastique plus-value défiscalisée, qui du passage de témoin de Breton à Lagarde ? Finalement, c’est de cela qu’il s’agit.
En regard, Jérôme Cahuzac fait très petit joueur, innocent aux mains n’étant pleines que de moins de 600 000 euros (il n’en aurait concédé que moins de la moitié au fisc, beaucoup moins encore s’il avait sollicité la mansuétude d’Éric Woerth ou d’un prédécesseur).
La consigne était de faire en sorte que Bernard Tapie ne soit ni failli, ni enrichi, quoi qu’il advienne. Qu’il puisse gratter quelques modestes gratifications devant une seconde cour d’appel pouvait certes plaider pour une transaction, mais en aucun cas aboutir au résultat final des courses tel que Christine Lagarde l’a organisé.
D’un, elle admet le principe d’un préjudice moral plafonné à 50 millions d’euros, que la note remise à Th. Breton ne prévoit pas, de deux, elle ne fixe pas une directive cadrant l’indemnité principale. Jusque là, c’est de la « négligence ». Mais « elle aurait pu se ressaisir, au lendemain du 7 juillet 2008 » lorsqu’elle a connaissance du montant fort généreusement attribué à Tapie.
Que fait-elle ? Au contraire, elle donne « des instructions écrites (…) pour que les représentants de l’État écartent l’éventuelle introduction d’un recours, » résume Mauduit.
Plus tard, elle persistera encore, faisant fi du fait que l’un des dispendieux arbitres avait quelque peu masqué qu’il pouvait être considéré de mèche avec Maurice Lantourne, l’avocat de Tapie. Diverses perquisitions domiciliaires et autres ont depuis permis de conforter l’appréhension du rôle des arbitres. L’un d’entre eux aurait pu être d’emblée, ou a posteriori, récusé.
Christine Lagarde a pour elle un élément supplémentaire en sa défaveur. François Bayrou avait reçu une note blanche affirmant que c’est Jean-Louis Borloo qui lui aurait imposé la marche à suivre. D’un côté, cela la dédouane : elle aurait été contrainte, peut-être victime d’un chantage. De l’autre, cela l’enfonce : elle cède aux injonctions d’un proche de Tapie, son ancien avocat de surcroît. En fait, elle aurait dû signaler cette pression au parquet, comme tout fonctionnaire ou détenteur de l’autorité publique. Charitablement, Mediapart ne s’étend pas sur cet aspect des choses, mais le rappel me semble nécessaire. D’autre part, toujours galamment, Laurent Mauduit ne revient pas sur les déclarations publiques de l’alors ministre des Finances qui se gargarisait de son rôle ayant conduit à un tel désastreux résultat pour les finances publiques.
Dans un arbitrage, il est souvent considéré qu’il est bon lorsque les deux parties se disent mécontentes. Là, c’était embrassons-nous, Folleville !
Me Lantourne espère à présent une entourloupe juridique permettant à la Cour de justice de s’estimer incompétente ou au moins de se dessaisir du dossier. Cela serait apparemment moins scandaleux que de voir Christine Lagarde comparaître en tant que témoin assisté puis déposer telle devant la cour qui se montrerait indulgente, se contentant d’un rappel à la loi.
Mais là, comment les contribuables n’y verraient-ils pas la main de l’UMFNPS ?
Mauduit estime que Sarkozy a ensuite exfiltré Lagarde au FMI, espérant sans doute comme elle que l’histoire pourrait être enterrée. Ou donnant du temps au temps…
On peut se demander aussi à présent si Dominique Strauss-Kahn ne sera pas rappelé pour une mission d’intérim au FMI qui a renouvelé sa confiance « dans les capacités de la directrice générale à assumer efficacement ses fonctions ».
Mais imaginez que Christine Lagarde passe aux aveux (feints ou sincères) et crache le morceau telle un Cahuzac ? Soit face état d’un véritable harcèlement de la part de Guéant, Sarkozy, Borloo et d’autres ? Du style « ils voulaient me sauter » (de mon ministère), et « c’était cela ou la porte ».
Il y a quand même de troublantes coïncidences. Ainsi, Bernard Cazeneuve, ministre actuel du Budget, faisait partie du cabinet d’avocats de Me Gilles August, qui fut conseil du Consortium de réalisation (CDR) du Crédit Lyonnais. Petit monde. On ne va pas du tout avancer que cela suffise pour impliquer Bernard Cazeneuve, mais on peut se poser des questions : que savait-il pour l’affaire Tapie, et depuis quand ?
Rappelons qu’au départ, l’État, via Le Crédit Lyonnais (LCL), rachète Adidas à Tapie et la revend plus du double. Tapie veut sa part des plus-values et réclame 229 millions, puis, en 1998, pas moins de 990 millions d’euros… Gonflé, le Nanard.
Comme l’écrit si bien Christine Ockrent dans The Guardian à propos de l’affaire Tapie, “Sarkozy is rumoured to have favoured the deal.”
Bon, résultat provisoire des courses, Christine Lagarde a déclaré qu’il n’y avait rien de nouveau sous le soleil avec une convocation dont elle savait depuis 2011 qu’elle devrait l’honorer. « Je serais très heureuse de me rendre à Paris, mais cela ne va pas modifier mes priorités, mon attention et mon enthousiasme pour mon travail ». Elle parlait ce jour à l’issue de la réunion du FMI et de la Banque mondiale. Elle a évoqué une « économie à trois vitesses ». Celle de l’affaire Tapie pourrait bien connaître un coup d’accélérateur.
Quand à notre bon Bernard Tapie, il vient de proposer de racheter tout le patrimoine déclaré par les ministres en leur accordant une plus-value de 30 %. Il flaire la bonne affaire… Au fait, chiche ? Il en aurait donc les moyens ? Lagarde veut donner un coup de pouce à la croissance mondiale, à lui seul, Tapie relance l’immobilier français. Si Lagarde devait démissionner, voilà un remplaçant tout trouvé au poste de directeur général du FMI.
Selon Laurent Mauduit, Christine Lagarde aurait reçu une convocation mentionnant sa mise en examen : « mes sources m’indiquent qu’elle est convoquée en vue de sa mise en examen… ».
Borloo, lui, outre d’avoir à s’inquiéter de l’affaire des sondages de l’Élysée, voit son autorité menacée de toutes parts à l’occasion des investitures UDI au municipales. Il n’y a de candidat naturel presque nulle part, des ambitions opposées, et à Paris, Pozzo di Borgo prend les devants. « On a attendu Jean-Louis Borloo pendant six mois. On ne va pas attendre Rama Yade pendant encore des mois entiers, » a résumé celui qui veut affronter Rachida Dati dans le septième arrondissement de Paris. Pour Borloo, celui des Baumettes, à Marseille, pourrait convenir. Histoire de réduire les temps de trajets si un conflit d’intérêts apparaissait dans l’affaire Tapie…