Surprenant, hormis Wauquiez, sibyllin, les ténors de l’UMP ont surtout tapé sur Mediapart, qui avait révélé – à l’affirmative, sans conditionnel (voir notre article d’hier) – que Jérôme Cahuzac avait détenu un compte en Suisse, chez UBS Genève, dont les fonds auraient été transférés à Singapour. L’hypothèse d’une manipulation dont Mediapart aurait été le jeu était avancée, en l’absence de réaction de la rédaction après le démenti formel de l’intéressé. Ce mercredi soir, Fabrice Arfi (Mediapart) réplique : ses sources sont fiables. Et Edwy Plenel, cette nuit, sur I-Télé, a réaffirmé : « nous n’avons aucun doute sur notre information. ».
Qu’un journaliste, qu’une rédaction, ne dévoile pas nominativement ses sources est parfaitement recevable.
Il s’agit de les préserver, parfois de les mettre en confiance pour obtenir des compléments ou suppléments d’information.
Que, face à un démenti formel, un titre comme Mediapart ne tente pas d’étayer ses informations (ou allégations), ne manque pas de surprendre…
Dans le cas de Jérôme Cahuzac, ex-député, ex-président de la commission des Finances à l’Assemblée, actuel ministre du Budget, présumé avoir détenu un compte chez UBS Genève, qui a démenti formellement avoir jamais eu de compte à l’étranger, l’attentisme de Mediapart pouvait surprendre.
La rédaction aurait-elle été abusée par des informateurs ayant produit des documents entachés de soupçon sur leur authenticité, comme dans l’affaire Clearstream II dont Edwy Plenel fut l’un des mis en cause (parmi tant d’autres, dont un certain Sarkozy, sans qu’on puisse déterminer son prénom) ?
Fabrice Arfi réplique ce mercredi soir. Il a eu accès à l’enregistrement d’un répondeur téléphonique. Au bout du fil, Jérôme Cahuzac, qui évoque un compte en Suisse qu’il détiendrait et qu’il voudrait discrètement clôturer.
Non seulement le gouvernement, par la voix de sa porte-parole, Najat Vallaud-Belkacem, a proclamé sa solidarité avec Jérôme Cahuzac, mais la plupart des parlementaires UMP (Rump, Ump canal historique, non-alignés) ont renchéri, mettant lourdement en cause Mediapart.
La voix de Jérôme Cahuzac a été formellement reconnue par le destinataire du message. Il déclare ce que Médiapart publiait hier : « moi, ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS, mais il n’y a plus rien là-bas, non ? La seule façon de le fermer, c’est d’y aller ? ».
Le correspondant, laisse supposer Mediapart, serait le chargé d’affaires de Jérôme Cahuzac.
La conversation aurait été passée peu avant les municipales de 2001. Le compte est peu fourni, mais il aurait été bien réel.
Rien d’irréfutable ?
P. Arfi admet que le rapport de Rémy Garnier, inspecteur à la Dircofi Sud-Ouest (le fisc), est bien l’une de ses sources. Dans un premier temps, Jérôme Cahuzac a déclaré n’avoir jamais eu, comme ses prédécesseurs au Budget, Woerth et Pécresse, jamais eu connaissance de l’existence d’un tel rapport. Puis, après parution de l’article de Mediapart, il le produit à RTL, ce mercredi matin, en soulignant des incohérences, ou des supputations hasardeuses.
Mediapart affirme détenir d’autres informations. Le compte aurait été clos début 2010 (soit près de neuf plus tard à la suite du fameux enregistrement), Jérôme Cahuzac se serait rendu en train à Genève, et le ministre ne dément pas un tel déplacement. Marc D., de l’UBS Genève, aurait facilité le transfert des fonds restants vers Singapour.
Mediapart produit aussi un document attestant que Jérôme Cahuzac avait payé pour large partie comptant l’achat d’un appartement personnel : avec un apport de près des deux-tiers d’avoirs personnels, le tiers restant (environ 3 000 euros) provenant d’un prêt bancaire.
Cela ne devrait gêner en rien Jérôme Cahuzac, si ce n’est du fait qu’il a déclaré au micro de RTL que cet appartement, acquis sous acte notarié daté du 28 octobre 1994, n’avait fait l’objet d’un apport personnel de seulement 15 % environ.
On peut peut-être dissocier les deux affaires (la détention présumée d’un compte à l’étranger, un apport personnel important pour l’acquisition d’un bien immobilier). D’ailleurs, sur son blogue-notes, Jérôme Cahuzac réfute qu’un compte à l’étranger ait pu lui permettre « de financer de manière illicite [son] appartement parisien. ». Ce n’est pas du tout ce que soutient Mediapart.
Certes, on pourrait le supposer si le compte avait été ouvert avant 1994, ce que n’indique pas Mediapart.
Pour Jérôme Cahuzac, le prêt bancaire est bien d’un tiers du montant de l’achat de l’appartement, son apport personnel en propre est bien de l’ordre de 15 %. La différence s’explique par des apports de ses propres parents, de son épouse de l’époque (Patricia Ménard, mère de ses trois enfants), et de fonds provenant de la revente d’un appartement. Donc, pas de versement en propre en numéraires.
Peu après la mise en ligne du nouvel article de Mediapart, le blogue-notes de Jérôme Cahuzac est devenu inaccessible. Mais son accessibilité a été depuis rétablie. « De soi-disant traces de pseudo conversations qui me seraient attribuées » ne peuvent être qualifiées de preuves matérielles, insiste-t-il (à juste titre, car, hors écoutes autorisées par un juge, des enregistrements sans témoins restent peu recevables devant un tribunal).
Tentons de résumer
Sur Europe 1, Fabrice Arfi a déclaré : « Dans un dossier comme celui-là, Mediapart ne peut pas se permettre de se tromper et si nous affirmons qu’il a détenu un compte à l’UBS, c’est que nous avons les preuves. ».
Le Point emploie les guillemets de distanciation (« preuves ») pour faire état des nouveaux éléments divulgués par Mediapart.
L’inspecteur des impôts mis en quarantaine puis à présent retraité, Rémy Garnier, a révélé de son côté que son intérêt pour Jérôme Cahuzac découlait des dires d’un « aviseur », en 2006.
Il n’y a donc que deux éléments ayant fait surface : un aviseur contacte un inspecteur du fisc, un enregistrement téléphonique d’un certain X, qui pourrait être Jérôme Cahuzac (pour employer la terminologie policière), corrobore les dires du dit aviseur.
Mediapart dispose-t-il d’autres éléments encore ? Oui, semble-t-il, les déclarations d’un employé ou ex-employé d’UBS Genève. S’agit-il du mystérieux aviseur ou d’une tierce personne ? La date d’ouverture présumée du compte est floue : entre 1988 et 1991.
Cette affaire secoue l’univers des médias. Mediapart semble de bonne foi, mais l’enquête a-t-elle été poussée assez loin ? Que risque, politiquement, Jérôme Cahuzac ? Il aurait voulu fermer ce compte en 2000, mais il joue déjà alors un rôle politique. S’il ne l’a fermé qu’en 2010, pour transférer des fonds à Singapour, même si la dissimulation fiscale n’est pas vraiment établie ou peu importante, le mal est fait : en niant, Jérôme Cahuzac se retrouve contraint à la démission si les faits ne lui donnent pas raison.
Toutes les hypothèses restent possibles : l’interlocuteur dont la voix n’est pour le moment identifiée par une seule personne n’était pas Jérôme Cahuzac, l’informateur de l’inspecteur des impôts, sachant que Jérôme Cahuzac est une étoile montante de la politique du secteur de l’inspecteur, lui donne à entendre ce qu’il est peut-être trop prompt à vouloir entendre, et le financement de l’appartement n’éclaire en rien le fond de l’affaire.
En effet, si les explications du ministre sur le financement, par des proches, de l’achat de cet appartement semblent tout à fait plausible, tant que le détail n’est pas davantage explicité, il est permis d’imaginer (pure supputation que rien n’étaye à ce jour) que ces proches auraient été des prête-noms. Cet élément reste de toute façon subsidiaire.
Une « bombe » pour Mediapart
Mediapart a noué une relation très particulière avec son lectorat d’abonnés. Pour le moment, certains s’interrogent mais ne désavouent pas la rédaction formellement. Sauf exceptions, rares, du style « encore un effort avant la résiliation de mon abonnement ». Ou « donnez tout de suite vos infos, car il m’importe de ne pas passer pour un abruti aux yeux de mes voisins. ».
Si Cahuzac a parfaitement raison, il passera pour un Salengro qui a « tenu bon », et Mediapart se retrouvera relégué au rang de quotidien à sensations, ce qu’il n’est pas, ce que sa déontologie lui interdit, ce que son histoire dément. Mais il lui sera rétrospectivement reproché, dans l’affaire Bettencourt par exemple, d’avoir accordé trop de foi à des interlocuteurs peu fiables. Là, cependant, on ne peut évoquer un Hollande bashing (l’UMP a déjà dénoncé un « torchon » qui s’était distingué dans l’antisarkozysme primaire).
Un peu trop vite, tant du côté de la base du FN que celle du Front de gauche, le « tous pourris », et tous « copains-coquins » tient lieu d’argumentation. D’autant que Jérôme Cahuzac avait montré une certaine propension à ne pas trop accabler Woerth dans l’affaire de la vente de l’hippodrome de Compiègne et que ce dernier semble lui renvoyer l’ascenseur.
Il reste que Mediapart a travaillé « proprement » : enquête de plusieurs semaines, tentatives de joindre J. Cahuzac d’urgence (lundi dernier), différé de vingt-quatre heures avant de mettre l’article en ligne (hier, mardi). Les communicants de J. Cahuzac, mardi, proposent une rencontre « avocat-ministre et journaliste-avocat », selon François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart. La rencontre dure moins de dix minutes. « Le ministre (…) semblait avoir comme première préoccupation d’être en mesure d’identifier nos sources ou de voir si d’autres pans de sa vie avaient pu être explorés. ». Dans un premier temps, J. Cahuzac déclare qu’il ne s’est jamais rendu à Genève (« pas davantage qu’à Turin, Milan ou New-York »).
Puis il nie jusqu’à l’existence du rapport de Rémy Garnier qu’il allait, mercredi, livrer à RTL. Il n’élude plus le lendemain un éventuel déplacement à Genève.
Sud-Ouest fait état de la procédure de divorce entre Patricia Ménard-Cahuzac et le ministre. Laquelle dément avoir actionné un cabinet parisien de détectives privés chargés d’enquêter, dans le Lot-et-Garonne, sur son futur ex-époux. Elle n’infirme pas formellement (« vous n’avez qu’à le lui demander ») que Jérôme Cahuzac ait pu détenir un compte en Suisse mais n’en réfute pas non plus l’hypothèse. Il semble que Mediapart n’est pas le seul à s’intéresser à un ministre qui a fait part de différents fiscaux avec diverses grandes multinationales.
Mediapart a fait un début de mise au point : « Mediapart n’est nullement adepte du “feuilletonage” et de mise en scène outrancière d’information comme on peut nous en accuser. » (comme l’a fait Bruno Roger-Petit, ex du Post passé au Plus du Nouvel Observateur).
Les rédactions divisées
En fait, agir en deux fois, à 24 heures d’intervalle, est une assez bonne méthode. Cela permet de laisser venir d’autres éléments, d’autres informateurs, pouvant étayer possiblement les premiers éléments divulgués. Il s’agit d’un processus qu’un chroniqueur politique, tel Roger-Petit, peu au fait de l’investigation de longue haleine, peut dénoncer, mais qui peut se justifier.
Il reste que l’affaire est ancienne, embrouillée, et qu’elle pourrait se solder par une sorte de jugement de Salomon : si Mediapart n’apporte pas de preuves à la fois irréfutables et recevables, le titre pourrait se voir reconnaître sa bonne foi (et pas de particulière volonté de nuire à un individu per se), sans qu’on puisse jamais dire avec certitude que l’actuel ministre aurait détenu ou non un compte à l’étranger.
Nul doute que l’affaire soit suivie de près dans l’ensemble des rédactions et à proximité des machines à café des écoles de journalisme.
Mais, cette nuit de mercredi à jeudi, sur I-Télé, Edwy Plenel est monté au créneau :
« Les sources ont toujours des motivations. L’important est de savoir si elles disent vrai. C’est cela, notre travail (…) Nous mettons le doigt sur une imposture (…) d’un gouvernement supposé de gauche (…) Nous n’avons aucun doute sur notre information. ».
C’est peut-être l’essentiel. Non pas que le directeur de la rédaction couvre (avec sans doute la totalité de la rédaction) F. Arfi. Mais que la phrase « un gouvernement supposé de gauche » ait été prononcée.
Causeur, qui a pour collaborateurs d’anciens du Monde, s’interroge : « comment se fait-il que Mediapart soit si ingrat envers ses amis socialistes – d’autant plus que maintes collectivités locales PS contribuent au financement du site en souscrivant chaque année un ou plusieurs abonnements ? ». Réponse de Marc Cohen, redchef de Causeur : « si ça se trouve Mediapart penche plutôt pour Martine [Aubry] que pour François [Hollande] ». Un peu court.
Mediapart s’attache aussi à faire du journalisme, pas seulement au jour le jour, mais aussi de fond, de réflexion. Avec des invités, des experts, mais aussi l’expression d’engagements. Si Mediapart avait été piégé (ce que j’aimerais pouvoir exclure, par sympathie, tout en conservant de la sympathie pour Jérôme Cahuzac, technicien brillant, homme pourvu de nombreuses qualités), eh bien, soit. Mais n’oublions pas l’épisode des « armes de destructions massives » de l’Irak. Pratiquement toute la presse internationale est tombée dans le panneau. Et les conséquences ont été autrement plus graves… et durables.
c’est aussi parait il un amateur de montres de luxe……engranger des toquantes comme le ferait un écureuil avec des noisettes pour passer l’hiver, un truc que je comprends pas.
Ah, ce n’est pas comme aux temps exécrables de Sarko : les valeurs de la gauche, ça existe !
Bonsoir,
J’ai des scoops en veux-tu en voilà, mais qui n’intéressent pas grand-monde, apparemment, à moins qu’ils ne manquent de publicité.
En voulez-vous ?
Exemples récents :
[url]http://unpetitcoucou.over-blog.com/article-coucou-samo-112459599.html[/url]
[url]http://unpetitcoucou.over-blog.com/article-karachi-bombay-where-is-he-born-113155388.html[/url]
Bonsoir Jef et merci de ce suivi analysé. Qu’en penser ? Personnellement, j’ai refusé l’abonnement à Mediapart après un mois de lecture « gratuite » (pas tout à fait, car un client me l’avit permis) même si je ne doute pas de leur sérieux. Si l’actuel ministre a effectivement eu un compte en Suisse, cela ne serait pas un scoop tant le crédit porté aux Hommes politiques s’est délité. Si il n’en a jamais eu, que les journalistes du site commencent à envoyer des C.V., mais surtout pas en Suisse ni à Taiwan.
D’un côté les journalistes ne doutent pas de leur scoop et de l’autre le ministre affirme être droit dans ses bottes.
Décidément, qu’elle qu’en soit l’issue, nous sommes menés en bateau de part en part
Merci pour l’info en tout cas
Amicalement
Eric
Hello, crevé, pas encore mangé (il va se faire minuit).
J’essaye de suivre cette affaire autant que possible avec détachement.
Bon, pas sûr que j’y parvienne.
je vous le confirme nous sommes encore dans la Veme république des nécrophages.