Publication de l’enquête nationale sur le budget des ménages de 2005
Une si longue attente… des choses que l’on ne voudrait point exhiber
Par Mahmoud Ben Romdhane
Sans effet d’annonce, dans la discrétion la plus absolue, avec un très grand retard, vient d’être publié et mis en vente le Rapport de l’Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de 2005.
Et pour cause: ses résultats ne sont pas bons. Ils sont gênants à plus d’un titre: même en référence au seuil de pauvreté de 1980, devenu aujourd’hui anachronique, la pauvreté n’a, pour ainsi dire, pas reculé et la distribution des revenus (plus précisément des budgets des ménages) s’est détériorée.
Sur le front, de la lutte contre la pauvreté, la Tunisie a réalisé, dans le Passé, des percées remarquables. Jusqu en 1985, du moins. Car depuis que des enquêtes statistiquement significatives sont réalisées (la première étant celle de 1965-1968), le taux de pauvreté et le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté absolue ont baissé de manière spectaculaire : d’une enquête à l’autre, le taux est passé de 33,8 % en 1965-1968, à 22 % en 1975, 12,9 % en 1980, et 7,7 % en 1985 et l’effectif des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté absolue a reculé de 300 mille à chaque fois.
Depuis 1985, l’élan est brisé: le taux ne baisse plus que de manière imperceptible et l’effectif des très pauvres ne recule, pour ainsi dire, Plus: au cours des vingt dernières années, il est passé de 554 mille à 376 mille: soit une diminution moyenne de 9 mille par an contre 50 à 60 mille durant les deux décennies
Evolution des principaux indicateurs relatifs à la pauvreté absolue en Tunisie | |||
Effectifs | Taux de pauvreté | Rapport du 9e au 1er décile | |
1965-68 | 1 533 000 | 33,8% | |
1975 | 1 223 000 | 22% | 7,3 |
1980 | 823 000 | 12,9% | 7,0 |
1985 | 554 000 | 7,7% | 6,6 |
1990 | 544 000 | 6,7% | 6,2 |
1995 | 559 000 | 6,2% | 6,7 |
2000 | 399 000 | 4,2% | 6,2 |
2005 | 376 000 | 3 ,8% | 6,7 |
Source : Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages. INS – Tunis |
Entre 1985 et 1990, l’effectif des trés pauvres a pratiquement stagné et, entre 1990 et 1995, il a même augmenté. Pour cacher cette évolution, l’Institut National de la Statistique a reçu pour instruction de ne publier, ni les informations relatives à la pauvreté de 1995, ni les informations relatives à la distribution des ménages selon leur niveau de dépense. Ces informations, nous les connaîtrons quelque temps plus tard à travers une publication de la Banque mondiale. En 2000, parce que l’évolution est positive, la publication est complète: comme les précédentes (sauf celle de 1995), elle passe en revue toutes les dimensions: budget, structure de la consommation et distribution des ménages selon leur niveau de dépense. Sa présentation est faite en grande pompe: conférence de presse du Ministère du Développement Economique: reprise dans tous les médias, communiqués de presse, … et dans des délais très rapides.
L’enquête qui a été réalisée en 2005 ne connaît pas le même sort: ses résultats sont reportés de mois en mois. Et ce n’est que ce 11 avril, soit près de deux ans et demi après son achèvement que ses résultats sont publiés. Elle sera pratiquement amputée de tout ce qui concerne la distribution des ménages par niveau de dépense: aucune comparaison ne sera faite avec la situation des périodes précédentes et on ne fournira aucune analyse concernant l’évolution des indices relatifs à l’équité ou à l’iniquité de la répartition des revenus (plus précisément des budgets) comme l’indice de concentration ou le rapport du 9è décile au 1er décile. Mais ces informations, un économiste ou un statisticien un peu rodé peut les reconstituer et c’est ce que nous avons fait. Voici ce qu’on voulait cacher:
le rapport entre le 9è décile (le budget moyen des personnes situées dans les 10 % les plus riches) et le 1er décile (le budget moyen des personnes situées dans les 10 % les plus pauvres) a augmenté entre 2000 et 2005, passant de 6,2 en 2000 à 6,7 en 2005, ce qui signifie un accroissement des écarts entre riches et pauvres et un effacement des progrès accomplis sur ce front depuis 1980; la masse des dépenses réalisées par les 20 % de la population ayant les dépenses les plus faibles est tombée de 6,9 % à 5,9 %, tandis que celles réalisées par les 20 % de la population ayant les dépenses les plus élevées a augmenté, passant de 47,3 % à 48,0%.
Quant au nouveau seuil de pauvreté, il rapproche le niveau communal du niveau non communal (ce qui est correct), mais sans prendre en considération le (plus que) doublement du niveau de vie des tunisiennes et des tunisiens et les nouveaux besoins devenus vitaux; il reproduit, pour ainsi dire, le seuil de 1980. Il est difficile de trouver un seuil si faible à l’échelle mondiale pour un pays ayant atteint le niveau de revenu de la Tunisie. Son utilité analytique est bien douteuse, sa capacité à éclairer la conduite de la politique sociale de lutte contre la pauvreté est bien faible; sa vertu est à rechercher ailleurs : la propagande
Mahmoud Ben Romdhane – Attarik Al Jadid – Samedi 19 avril 2008
Publication de l’enquête nationale sur le budget des ménages de 2005
Une si longue attente… des choses que l’on ne voudrait point exhiber
Par Mahmoud Ben Romdhane
Sans effet d’annonce, dans la discrétion la plus absolue, avec un très grand retard, vient d’être publié et mis en vente le Rapport de l’Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de 2005.
Et pour cause: ses résultats ne sont pas bons. Ils sont gênants à plus d’un titre: même en référence au seuil de pauvreté de 1980, devenu aujourd’hui anachronique, la pauvreté n’a, pour ainsi dire, pas reculé et la distribution des revenus (plus précisément des budgets des ménages) s’est détériorée.
Sur le front, de la lutte contre la pauvreté, la Tunisie a réalisé, dans le Passé, des percées remarquables. Jusqu en 1985, du moins. Car depuis que des enquêtes statistiquement significatives sont réalisées (la première étant celle de 1965-1968), le taux de pauvreté et le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté absolue ont baissé de manière spectaculaire : d’une enquête à l’autre, le taux est passé de 33,8 % en 1965-1968, à 22 % en 1975, 12,9 % en 1980, et 7,7 % en 1985 et l’effectif des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté absolue a reculé de 300 mille à chaque fois.
Depuis 1985, l’élan est brisé: le taux ne baisse plus que de manière imperceptible et l’effectif des très pauvres ne recule, pour ainsi dire, Plus: au cours des vingt dernières années, il est passé de 554 mille à 376 mille: soit une diminution moyenne de 9 mille par an contre 50 à 60 mille durant les deux décennies
Evolution des principaux indicateurs relatifs à la pauvreté absolue en Tunisie | |||
Effectifs | Taux de pauvreté | Rapport du 9e au 1er décile | |
1965-68 | 1 533 000 | 33,8% | |
1975 | 1 223 000 | 22% | 7,3 |
1980 | 823 000 | 12,9% | 7,0 |
1985 | 554 000 | 7,7% | 6,6 |
1990 | 544 000 | 6,7% | 6,2 |
1995 | 559 000 | 6,2% | 6,7 |
2000 | 399 000 | 4,2% | 6,2 |
2005 | 376 000 | 3 ,8% | 6,7 |
Source : Enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages. INS – Tunis |
Entre 1985 et 1990, l’effectif des trés pauvres a pratiquement stagné et, entre 1990 et 1995, il a même augmenté. Pour cacher cette évolution, l’Institut National de la Statistique a reçu pour instruction de ne publier, ni les informations relatives à la pauvreté de 1995, ni les informations relatives à la distribution des ménages selon leur niveau de dépense. Ces informations, nous les connaîtrons quelque temps plus tard à travers une publication de la Banque mondiale. En 2000, parce que l’évolution est positive, la publication est complète: comme les précédentes (sauf celle de 1995), elle passe en revue toutes les dimensions: budget, structure de la consommation et distribution des ménages selon leur niveau de dépense. Sa présentation est faite en grande pompe: conférence de presse du Ministère du Développement Economique: reprise dans tous les médias, communiqués de presse, … et dans des délais très rapides.
L’enquête qui a été réalisée en 2005 ne connaît pas le même sort: ses résultats sont reportés de mois en mois. Et ce n’est que ce 11 avril, soit près de deux ans et demi après son achèvement que ses résultats sont publiés. Elle sera pratiquement amputée de tout ce qui concerne la distribution des ménages par niveau de dépense: aucune comparaison ne sera faite avec la situation des périodes précédentes et on ne fournira aucune analyse concernant l’évolution des indices relatifs à l’équité ou à l’iniquité de la répartition des revenus (plus précisément des budgets) comme l’indice de concentration ou le rapport du 9è décile au 1er décile. Mais ces informations, un économiste ou un statisticien un peu rodé peut les reconstituer et c’est ce que nous avons fait. Voici ce qu’on voulait cacher:
le rapport entre le 9è décile (le budget moyen des personnes situées dans les 10 % les plus riches) et le 1er décile (le budget moyen des personnes situées dans les 10 % les plus pauvres) a augmenté entre 2000 et 2005, passant de 6,2 en 2000 à 6,7 en 2005, ce qui signifie un accroissement des écarts entre riches et pauvres et un effacement des progrès accomplis sur ce front depuis 1980; la masse des dépenses réalisées par les 20 % de la population ayant les dépenses les plus faibles est tombée de 6,9 % à 5,9 %, tandis que celles réalisées par les 20 % de la population ayant les dépenses les plus élevées a augmenté, passant de 47,3 % à 48,0%.
Quant au nouveau seuil de pauvreté, il rapproche le niveau communal du niveau non communal (ce qui est correct), mais sans prendre en considération le (plus que) doublement du niveau de vie des tunisiennes et des tunisiens et les nouveaux besoins devenus vitaux; il reproduit, pour ainsi dire, le seuil de 1980. Il est difficile de trouver un seuil si faible à l’échelle mondiale pour un pays ayant atteint le niveau de revenu de la Tunisie. Son utilité analytique est bien douteuse, sa capacité à éclairer la conduite de la politique sociale de lutte contre la pauvreté est bien faible; sa vertu est à rechercher ailleurs : la propagande
Mahmoud Ben Romdhane – Attarik Al Jadid – Samedi 19 avril 2008
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