Battisti, Aurore Martin, Auvergnats : l’idiot utile persiste

Je suis sans doute du nombre des « idiots utiles » qui, selon Éric Conan, de Marianne, « se sont contentés de signer les habituelles pétitions sans regarder ». C’est de l’affaire Cesare Battisti dont il s’agit, non de celle d’Aurore Martin, cette militante basque extradée vers l’Espagne, en faveur de laquelle je n’ai pas (encore, déjà) signé de pétition alors que je l’avais fait pour Battisti. D’une part, « l’idiot utile » persiste et resigne,  mais il s’interroge encore : Ibn al-Dhib (patronyme : Mohammed al-Ajami), poète qatari, a été condamné récemment à la prison à vie, alors que l’émir du Qatar a été reçu à l’Élysée. Autant ne pas risquer de passer pour un « idiot utile » en s’abstenant de lui manifester le moindre soutien ? Car, hein, sait-on jamais…

Oui, j’ai été « abusé » lorsque j’ai signé une pétition afin de tenter d’obtenir que Cesare Battisti ne soit pas livré à l’Italie. J’ignorais alors qu’il avait été exclu de la « doctrine Mitterrand », celui des affaires Rainbow Warrior et des Irlandais de Vincennes, ce qui m’a été révélé récemment par Karl Larske sur Mediapart, journaliste dont je n’ai pas lu (et ne lirai pas, sauf si on me le prête ou que je le trouve, parmi d’autres, dans un carton sur la chaussée). La belle affaire ! Cela ne change que très peu mon appréciation rétrospective que je consignai à l’époque à l’appui de ma signature. La voici de nouveau :
« Je me souviens d’un pays, la France, qui a toujours accueilli les opposants de certains pays africains, leur assurant des moyens de subsister, tant bien même étaient-ils originaires de pays aux dirigeants amis. Ils étaient, sont, envisagés en tant que “solutions de rechange”, d’ailleurs susceptibles de changer par la suite d’alliances, de ne pas plus respecter les droits de l’homme que leurs prédécesseurs au pouvoir, mais il n’était pas question de se priver de leurs bons offices.

Cesare Battisti n’est guère susceptible d’apporter des appuis ou services à la France, alors, qu’importe.
Je me souviens d’un pays, la France, qui accepta certes qu’un Ben Bella libéré de sa mise en résidence surveillée puisse venir en France, mais s’empressa de trouver une solution d’accueil en Suisse. Ben Bella, libéré par Chadli, était considéré pouvoir favoriser des contacts avec le F.I.S. Le renvoyer en Algérie les aurait compromis. Cesare Battisti n’est guère susceptible de favoriser des contacts avec une fraction de l’opposition italienne, alors, qu’importe. Je me souviens d’un pays, la France, qui utilisa Michael Plunkett, Stephen King et Mary Reid (les “
Irlandais de Vincennes”), et se ridiculisa. Cesare Battisti n’est guère susceptible de faire un terroriste crédible, alors, qu’importe. Qui seront les prochains ? Des Formosans livrés à la Chine populaire ? Des Sarahouis au Maroc ? ».

D’idiot à triple buse

Oui, j’admets aussi que si Claude Mesplède ne m’avait pas signalé cette pétition, il est possible que je ne m’y serais pas joint. Pas du tout pour éviter de me retrouver du côté des Carla Bruni (« bourge » assumée de droite à présent), des Bernard-Henri Lévy (dont je ne me prive pas d’écrire tout le « bien » qu’il m’inspire), ou afin de me joindre aux « saltimbanques du show-biz » comme Bedos ou Lio « remplaçant Sartre ou Foucault ». Je ne vais pas présumer qu’Éric Conan méprise la culture populaire mais je ne vois pas vraiment pourquoi Bedos ou Lio seraient moins lucides qu’un Sartre ou un Foucault qui ont pu tout autant, à diverses occasions, se fourvoyer, ou être abusés, comme tant d’autres.

Mais je reconnais bien volontiers une erreur de formulation : « Cesare Battisti n’est guère susceptible de faire un terroriste crédible, » écrivais-je. J’aurais dû préciser « n’est plus guère susceptible », soit d’être une marchandise de première fraîcheur.

J’aggrave mon cas, je vais passer d’idiot utile à triple buse indécrottable : je me souviens d’un pays, La France, qui a couvert d’honneurs Maurice Papon avant de le condamner, âgé de 78 ans, pour complicité de crimes contre l’humanité. Il n’aura fait que trois ans de prison puisqu’il fut libéré pour raisons de santé, raisons admises par un certain Robert Badinter, « caractère lucide » qui, pour Éric Conan, a évité au Parti socialiste de trop « se compromettre dans cette pitoyable affaire » que fut le soutien à Battisti, réfugié en France, qui ne présentait même plus l’intérêt d’être encore actif dans des réseaux autres que littéraires. Au fait, Éric Conan est l’auteur d’un Procès Papon, un journal d’audience (Gallimard). L’indignation, comme la louange, est parfois sélective.

Méfiance, méfiance…

Je ne nourris aucune présomption ou prévention à l’endroit des Perrault, Laske, Péan et autres qui, le temps d’un essai, d’un ouvrage, abandonnent les colonnes de la presse pour celles de l’édition. J’ai tendance à penser qu’ils forcent parfois le trait, se sentent un tant soit peu obligés de corser le propos, de décortiquer la complexité de manière à la rendre un peu trop aisément accessible à un comité de lecture.

Mais nous sommes samedi, l’affaire Cahuzac marque un peu le pas, il n’y a pas grand’ chose à glaner du côté de l’UMP ou du Rump, et il faut pourtant bien remplir les pages. D’où, peut-être, ce morceau d’Éric Conan « Pourquoi les battististes sont-ils devenus muets ? » qui aurait pu se passer de la forme interrogative (ce qu’on apprend dans les écoles de journalisme).

C’est en fait du « pipeule ». Bien centré intelligentsia germanopratine. La même qui, peut-être échaudée par l’affaire Battisti, n’a pas trop donné fort de la voix lors de l’affaire de Tarnac. L’ami Marcel Gay, auteur du Coup de Tarnac (éds Florent Massot), a-t-il lui aussi forcé le trait ? J’ai lu son enquête de journaliste (de L’Est républicain), qui fait rimer Tarnac avec arnaque. Comme lui, cette histoire impliquant Julien Coupat et Yildune Lévy m’a semblée tirée par les cheveux. Histoire de ne pas passer par la suite pour un « idiot utile », j’aurais du m’abstenir d’insister. Sait-on jamais ? Coupat et Lévy ont-ils été voleurs de poules, voire pire, d’œufs et de bœufs, ou, comme Battisti, deviendront-ils des truands. Comment vraiment savoir ou prédire ?

Tout comme je devrais bien me garder à présent d’opérer le moindre rapprochement entre l’arnaque de Tarnac et l’affaire de l’attentat de Provins (fin 1986), censé viser l’ancien ministre Alain Peyrefitte, attribué de manière particulièrement insolite à Action directe, alors que Charles Pasqua entendait durcir la loi Sécurité et libertés de son prédécesseur. La victime, un employé municipal handicapé, ne vaut sans doute pas qu’on s’y intéresse si tardivement, et n’a vraiment pas de quoi mobiliser l’attention de l’intelligentsia germanopratine ou de l’univers de l’édition. Et si c’est encore une fois pour passer pour un « idiot utile », autant rester couché, n’est-il pas ? Que lors du procès d’Action directe à Lyon, personne n’ait songé à reprocher un attentat pourtant revendiqué n’a intéressé et n’intéressa durablement personne. N’en parlons plus, nous risquerions de nous attirer les foudres d’Éric Conan, un samedi de vaches maigres.

Aurore Martin ? Pas assez médiatique

Oh, que j’ai bien fait, dans le cas d’Aurore Martin, de ménager la chèvre et le chou, soit la version officielle et celle de ses soutiens (voir « Aurore Martin : versions contradictoires ») et de m’en laver les mains. Elle n’a que peu écrit, jamais fait de cinéma (même pas dans le porno, c’est dire son peu d’importance), sa notoriété ne dépasse guère deux-trois départements, et nul besoin « d’être dans le coup », comme Éric Connan estime que les idiots utiles ont cherché à le devenir avec l’affaire Battisti.

Idem pour Ibn al-Dhib, poète condamné à la prison à vie au Qatar, alors que, selon son avocat, même en biaisant les chefs d’accusation, il n’aurait dû risquer qu’un maximum de cinq ans de détention. Il est traduit vers le français, cet Ibn al-Dhib ? Il n’y a guère que Vents contraires (.net) à en faire vraiment état. Histoire « d’être dans le coup », sans doute. Il avait écrit « Nous sommes tous la Tunisie » : laissons aux Tunisiennes et Tunisiens le soin de se la jouer idiots utiles. Nous risquerions de faire le jeu de la Syrie, de l’Iran, voire de la Corée du Nord (non, là, même pas de Cuba : pas d’invitation à glaner sous les cocotiers).

Cuisine prédominicale

Cela étant, je comprends fort bien le point de vue d’Éric Conan. Qui n’a pas tout à fait tort de considérer l’affaire Battisti révélatrice « d’une double tradition française : la faible appétence pour la réalité d’une partie de l’élite politico-intellectuelle française et l’importance de l’identité politique du messager de la vérité. ». Ou de relever qu’« une partie de l’intelligentsia préférera toujours la dénégation à la reconnaissance de ses erreurs. » Appelez-moi Lesieur (« pas d’erreur, c’est Lesieur ») ! Je mets de l’huile !

Je ne suis pas non plus exempt d’erreurs. Céline, Drieu La Rochelle, très peu pour moi, mais Eric Blair (George Orwell) conserve ma sympathie et même mon admiration. « Socialo mou », tendance Fabian Society attardé, Orwell avait permis que la CIA produise un cartoon inspiré d’Animals Farm en 1950. Et maccarthyste avec cela, dit-on à présent ! Je persiste et signe pourtant ! Benêt très niais, je tombe dans tous les panneaux !

Heureusement, Éric Connan est là pour vous éviter de vous fourvoyer dans mes erreurs.

C’est fort dommage, Erri de Luca, écrivain, scénariste, ancien de Lotta Continua, n’est pas réfugié en France et son extradition n’est pas réclamée par l’Italie (la ville d’Ischia en a fait son citoyen d’honneur). Comme l’écrit Éric Connan, « la gauche transalpine » s’indignait de son « délire » : il avait signé la pétition pour Battisti. Quel idiot utile ! Ah, non, pas lui, pardon, il doit faire partie des « vrais malhonnêtes » que dénonce Éric Connan. Toutes mes excuses, je persiste dans mon erreur…

C’est toujours mieux torché, un papier vachard. Quelquefois, pour ne pas tomber dans le mièvre, on épice. « Insanités », « déni de la réalité », « complices », « consentement au mensonge », « mépris », « désastre », « pitoyable affaire », je vous en passe. Je comprends et concède : c’est un samedi…

Tiens, tirons-en la conclusion à imputer (à tort, mais c’est tellement plus enlevé) au billet d’Éric Conan : « en démocratie, comme en dictature, ferme-là, c’est plus prudent ! ». Ou cause toujours, mais ne fâche que celles et ceux rôdés à se faire chauffer les oreilles. D’autant qu’ils ne t’en voudront guère et que tu sauras aussi, par la suite, leur renvoyer l’ascenseur. Rien ne fâchera durablement…

C’est d’ailleurs le cas ici. Éric Conan en a lu et entendu d’autres… Proférées aussi avec une parfaite mauvaise foi. Dont je ne suis pas loin, en reconnaissant son talent de polémiste, de créditer Éric Conan, au moins par omission.

Mais est-ce bien vraiment le même qui déplorait que « les journalistes (…) sont formés à des recettes » (in Magazine Sciences-Po Grenoble nº 39, 2008) ? Notamment celles d’évacuer toute complexité, d’approfondir un angle, un seul, de fouetter le ressenti, l’émotionnel, de susciter l’adhésion plus que la réflexion ? N’est-ce point un peu de la cuisine prédominante, prédominicale ?

Eh, ne reculant résolument pas devant la facilité, je lui emboîte le pas : je réchauffe mes petits plats. Ce n’était que ma singulière saturnale (sic), mon inutile polémique du moment, ma disputatio d’un jour creux.  Meuble qui ne dorera pas plus mon blason que son billet ne rehausse celui d’Éric Conan.

Ah, ouf, sur l’Huffington Post, voici Marjane Satrapi, Jeanne Moreau, Yannick Noah, Emmanuelle Béart, Samin, Renaud, et d’autres saltimbanques du chôbiz ou des médias, tel Benjamin Stora, Stéphane Hessel, et même Bernard-Henri Lévy (ne manquent pratiquement que Carla Bruni et Éric Conan) qui diffusent une pétition pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. On va pouvoir passer à autre chose ! Mais là, je m’abstiens de signer et tenir le rôle de l’idiot utile : on ne sait jamais, parmi ces étrangers qui voteraient, tel le Charlie de Martin Branford, pourrait se dissimuler un autre Battisti. C’est comme les Auvergnats, un, ça va… c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. Merci, Éric Conan, on ne m’y reprendra plus !

En sus, la pétition émane de Sos Racisme. Pourquoi pas Ni putes, ni soumises, ou la franc-maçonnerie, pendant qu’on y est ? Prudence, prudence, on pourrait devoir plus tard se le reprocher ou, pire, se faire montrer du doigt. Pour vivre heureux, loin des bateleurs, restons muets et surtout pas dupes !

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Battisti, Aurore Martin, Auvergnats : l’idiot utile persiste »

  1. Allez, Misanthrope, vous avez oublié les déportations des [i]Schwaben[/i] non dans des camps de travail, mais en pleine nature hostile, totalement laissés à eux-mêmes, sans vivres, sans vêtements, sans rien, et le fameux canal de Ceaucescu. Vous oubliez quelques massacres, aussi, pendant la Guerre d’Espagne…
    Non, classé « anarcho-éthylique » par les gauchistes plutôt staliniens de toutes tendances dès mon adolescence, non seulement je n’ai rien oublié, mais j’en ai encore d’autres pour alimenter votre liste, et même des témoignages très directs (je fréquente quelques milieux des Balkans, de l’ex-Urss, &c.).
    Mais comme le disait, bien en face à d’autres « résistants », un résistant de la première heure ayant pris pour lui et sa famille des risques inouïs (de la première heure, donc pas communiste, en général et à priori, je vous le concède, car il y eu des résistants, rares, communistes de la première heure, en dissidence) : « [i]si j’avais su que j’allais me retrouver avec vous, finalement, je crois que j’aurais fait du marché noir[/i] ». On a tenté plusieurs fois de lui fourguer des décorations, il a même refusé toute gerbe officielle sur sa tombe. Je ne fais pas parler les morts, j’ai des témoins directs à vous produire.
    Il m’est effectivement difficile de rester très droit dans mes bottes : elles sont trop usées, élimées, crevassées. Les talons n’en sont pas uniformément râpés. Et les vôtres ?

  2. Coucou !

    SaMo_Dz envoie toujours des signaux de fumée, c’est très étrange :

    [url]http://unpetitcoucou.over-blog.com/article-et-samo_dz-113280019.html[/url]

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